Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
B

Barakat (Salim)

Romancier syrien d'origine kurde (al-Qâmichlî 1951).

Parti en 1971 au Liban, il y milite dans les rangs de la résistance palestinienne, avant de s'installer à Chypre, puis en Suède. Il ajoute à la dimension épique et fantastique de ses romans (les Seigneurs de la nuit, 1985 ; le Passage du flamant rose, 1994) sa finesse de poète (Dîwân, 1992). On lui doit aussi plusieurs récits autobiographiques (le Criquet de fer, 1980 ; Sonne du cor !, 1982).

Baranczak (Stanislaw)

Poète, essayiste, traducteur et historien de la littérature polonais (Poznań 1946).

Étudiant en littérature à l'université de Poznań, il dirigea le Théâtre du Huitième jour. Ses études terminées, il enseigne à l'université et écrit d'abord pour le mensuel Odra de Wrocław, puis pour Nurt. Cofondateurs du Comité de défense des ouvriers (1976), il est interdit de publication et passe à la clandestinité, devenant l'un des rédacteurs de l'excellente revue littéraire des presses parallèles Zapis. En 1977, il est radié de l'université où il est réintégré en 1980 (naissance du mouvement Solidarnoś ć), mais l'État de guerre du 13 décembre 1981 le place à nouveau en tête de liste des individus indésirables. Il s'exile aux U.S.A. où il enseigne la littérature à l'université de Harvard, dirige la Polish Reviev of New York. Il collabore aux Les Cahiers littéraires publiés à Paris par Barbara Toruńczyk et introduits clandestinement en Pologne. Il est l'un des représentants majeurs de Nouvelle Vague ou Génération 68, courants de poètes qui, marxistes au départ, exigent un communisme débarrassé de ses mensonges et de la langue de bois, dénoncent le hiatus entre la vérité officielle et les pratiques sociales, le pouvoir absolu de l'appareil politique et policier. Leur poésie, initialement appelée « linguistique », évolue vers une forme élaborée de contestation du système par des moyens artistiques talentueux. S. Barańczak donne la pleine mesure de sa richesse créative en poussant la langue poétique jusqu'à des limites extrêmes (D'une seule traite, 1970 ; Journal du matin, 1974 ; la Respiration artificielle, 1978 ; le Triptyque en béton, fatigue et neige, 1980 ; l'Atlantide et autres poèmes, 1986 ; la Carte postale de ce monde, 1986 ; Voyage hivernal, 1994 ; Une précision chirurgicale, 1998). Il est l'auteur de nombreux essais de critique littéraire. L'impact de certains de ses livres fut déterminant sur la structuration des théories littéraires de la seconde moitié du XXe s. en Pologne et dans les pays dit du Bloc de l'Est (Suspicieux et pensifs, 1971 ; Ironie et harmonie, 1973 ; la Langue poétique de Miron Białoszewski, 1974 ; Éthique et poétique, 1979 ; les Livres les pires de 1975 à 1980, 1981 ; le Lecteur privé de volonté, 1983 ; le Fugitif de l'Utopie – sur la poésie de Z. Herbert, 1984). Il traduit D. Thomas, O. Mandelstam, J. Brodski, G. M. Hopkins, J. Donne, G. Herbert, W. Shakespeare, J. Merill, S. Heaney.

Barante (Guillaume Prosper Brugière, baron de)

Historien et homme politique français (Riom 1782 – Barante 1866).

Ami de Mme de Staël et de Mme Récamier, il se fit connaître par un essai sur les rapports de la littérature et de la société (Tableau de la littérature française au XVIIIe siècle, 1808). Préfet sous l'Empire, député sous la Restauration, ambassadeur sous Louis-Philippe, il réagit contre l'histoire romancée avec son Histoire des ducs de Bourgogne et de la maison de Valois (1824). Il a laissé des Souvenirs posthumes.

Baratachvili (Nik'oloz Melit'onis dze)

Poète géorgien (Tiflis 1817 – Gandja 1845).

Arrière-petit-fils du roi Erek'le II et neveu du prince poète Grigol Orbeliani, par sa mère, il est le fils d'un maréchal de la noblesse ruiné par ses libéralités. À la fin de ses études secondaires, il doit passer huit ans comme employé à la chancellerie avant d'être nommé adjoint civil du gouverneur de Gandja, où il meurt, à 28 ans, d'une congestion pulmonaire. Premier romantique (Pensées au bord du Mt'k'vari, 1837 ; La nuit tombe sur Mtats'minda, 1833-1836 ; Merani, 1842), il met en scène dans son long poème le Destin de la Géorgie (1839) un dialogue poignant entre le roi Irak'li, qui a décidé de placer son pays, ravagé par le shah de Perse Aga Mohammed Khan, sous la protection de la Russie chrétienne, et son fidèle chancelier Solomon, qui prophétise la perte irréversible de l'indépendance, mais la Tombe du roi Irak'li (1842), oubliant ces craintes, chante les bienfaits de la paix revenue.

Barbaro (Ennio Gallo, dit Paolo)

Écrivain italien (Mestrino, Padoue, 1922).

Ingénieur, il étudie dans ses premiers romans la question de la technique (Journal des travaux, 1966). Mais c'est dans ses œuvres les plus récentes, inspirées de la vie qu'il mène à Venise, que s'épanouit son écriture (Lunaisons vénitiennes, 1990 ; Îles perdues, 1992 ; la Maison aux lumières, 1995 ; Petit Guide sentimental de Venise, 1998).

Barbarus (Johannes Vares, dit)

Poète estonien (Kiisa 1890 – Tallinn 1946).

Influencé tour à tour par le néoromantisme de Jeune-Estonie (Fata-Morgana, 1918), l'expressionnisme (l'Homme et le sphinx, 1919), le cubisme et le constructivisme français (l'Homme géométrique, 1924 ; l'Homme multiplié, 1927), membre du groupe littéraire de gauche Tarapita (1921-1922), il dit sa déception devant la République d'Estonie, fustige l'injustice et le fascisme (le Monde est ouvert, 1930 ; R. E., 1932 ; Franchir le seuil, 1939), avant de soutenir le régime soviétique (Vers armés, 1943).

Barbey d'Aurevilly (Jules Amédée)

Écrivain français (Saint-Sauveur-le-Vicomte 1808 – Paris 1889).

L'ascension sociale de sa famille d'origine paysanne, anoblie récemment, fut interrompue par la Révolution. Barbey apprit très jeune à vivre dans un passé embelli par la nostalgie de ce milieu royaliste et janséniste. À Caen, où il fait son droit, il rencontre le libraire Trébutien, avec qui il correspondra longtemps. Auteur de deux nouvelles (le Cachet d'onyx, Léa) quand il s'installe à Paris en 1833, Barbey se tourne vers le journalisme, où ses débuts sont fort décevants. Il mène une vie de dandy sans renoncer à l'écriture : la Bague d'Annibal, l'Amour impossible, Memoranda, Du dandysme et de George Brummell (1845). Il se veut alors athée et libéral, mais la lecture de Joseph de Maistre prépare sa conversion. Avec les amis du salon de Mme de Maistre, il fonde en 1846 la Société catholique et redevient pratiquant en 1855. Après Une vieille maîtresse et les Prophètes du passé (1851), il se résout à une carrière de critique marquée par deux grandes collaborations, au Pays (1852-1862) et au Constitutionnel (1872-1885). Il revient cependant au roman, abandonné depuis l'Ensorcelée (1854), avec le Chevalier des Touches (1864), composé auprès de Mme de Bouglon, puis Un prêtre marié (1865). C'est à Valognes qu'il termine les Diaboliques (1874), tandis que Paris reste pour lui le terrain de polémiques d'autant plus violentes que son idéal monarchiste voit disparaître peu à peu ses chances de réalisation. Les dernières années contrastent par leur silence dans la vie de cet « iconoclaste » des idoles du siècle. « Connétable des lettres », il compose encore Une histoire sans nom (1882) et rassemble les articles des Œuvres et Hommes du XIXe siècle (1860-1909) avant de mourir, entouré de Louise Read et de jeunes disciples (dont Léon Bloy).

Un homme et une œuvre à part

À l'écart de tous les groupes, isolé en littérature comme en politique, Barbey vécut à contretemps. Républicain quand la mode est au romantisme catholique et monarchiste, il devint royaliste et ultramontain quand son époque se tournait vers le socialisme. Byronien à de nombreux égards, ce qui pour lui ne signifiait pas « être d'une école », mais « être d'une race », il fait figure de romantique impénitent par son goût de l'héroïsme inutile. Héritage familial, cette attitude le conduisit au dandysme, qui ne fut d'abord qu'un masque, une protection contre le monde, sur lequel il est vite sans illusions. Sans négliger les plaisirs de l'élégance (ses costumes devinrent légendaires), la recherche vestimentaire du dandy participe surtout d'une volonté d'étonner. La violence verbale des éreintements de Barbey est une autre façon d'attirer l'attention sur soi ; pour cela il lui suffit de céder à son naturel. Les scandales qui ponctuent sa vie ont pour fonction, plus ou moins inconsciente, de forcer l'intérêt (il fut longtemps victime d'une conspiration du silence) et lui valurent effectivement la célébrité. La passion dissipe l'ennui sensible dans les Memoranda, elle préside à la création et définit le ton du critique. « Mon esthétique n'est point bégueule », affirme Barbey, qui accorde aux autres les droits qu'il réclame pour lui-même. L'inévitable problème de la moralité est résolu par la profondeur d'accent, puisque toute peinture vraie ne peut être dangereuse. Barbey se veut le « dénonciateur » de son époque, un peu à la manière de Balzac qu'il admire : celui-ci est l'un des écrivains qui ont « pris le vice à pleine poignée pour le montrer mieux ». Mais l'Ensorcelée et les Diaboliques abordent un domaine au-delà de la morale, où l'homme doit choisir entre Dieu et Satan. L'œuvre de Barbey répond en cela à la « double postulation » baudelairienne. L'écrivain choisit le satanisme parce qu'il ouvre les possibilités littéraires du surnaturel et de l'insolite. Le satanisme s'accorde d'autre part avec sa tendance janséniste, qui confère aux passions leur aspect tragique. L'imagination conserve ses droits, c'est elle qui transfigure les héroïnes en « diaboliques », et qui fait de la Normandie un paysage de mystère, à travers une phrase toute d'accumulations, qui rebondit plusieurs fois, au détriment de la chute. L'auteur semble ne jamais se contenter de ce qu'il écrit, et renchérit, créant une sorte « d'arborescence ». Ce style surchargé veut, lui aussi, étonner, tout comme le rythme des romans : les prologues et les narrateurs y soulèvent des « rideaux » successifs, qui relativisent l'intérêt de l'action au profit de l'impression. L'idéal serait de provoquer chez le lecteur le « cri » dont les auditrices accueillent le récit, dans le Dessous des cartes d'une partie de whist. De façon symptomatique, le narrateur de l'Ensorcelée veut susciter une « rêverie », conclusion de toutes les Diaboliques, car pour Barbey l'œuvre doit se prolonger dans l'imagination du lecteur : il reprochait à Madame Bovary de ne pas avoir le « charme qui fait revenir au souvenir du livre par la rêverie ». La volonté de surprise du dandy aboutit ainsi à une esthétique du rêve et à la recherche d'un « ailleurs », qui préfigure le symbolisme.

Une vieille maîtresse (1851). Ryno de Marigny garde pour la Vellini, une ancienne maîtresse, espagnole et laide, qu'il n'aime plus, une passion charnelle insurmontable ; la belle et pure Hermangarde de Polastron, qu'il épouse, ne le fait pas renoncer à cette ensorceleuse. En ces deux personnages manichéens s'opposent l'ange et le démon. L'œuvre est d'ailleurs empreinte de romantisme, surtout dans le récit que Marigny, héros byronien, fait de sa liaison.

L'Ensorcelée (1854). Roman historique, il évoque la chouannerie du Cotentin ; roman catholique, il définit la fatalité du mal ; roman fantastique, suivant le terme même de Barbey et qui justifie le titre, il joue du surnaturel pour restituer la « volupté de rêverie » que provoqua sur l'auteur le récit de la passion paradoxale de Jeanne Le Hardouez pour l'abbé de la Croix-Jugan, horriblement défiguré par la guerre.

Un prêtre marié (1865). Jean Sombreval, marié après avoir été prêtre, vit dans l'adoration de sa fille Calixte (atteinte d'une étrange maladie) et de la science par laquelle il espère la sauver. La pieuse Calixte forme avec son père, apostat par orgueil, le couple romantique de Satan et Eloa. Calixte a prononcé ses vœux et repousse Néel de Néhou, dont l'amour fournit la trame romanesque de l'œuvre. Barbey s'est inspiré des idées de Joseph de Maistre selon lesquelles les innocents peuvent obtenir le pardon des coupables : il voulait faire le « roman de l'expiation », mais l'attrait du satanisme l'a finalement emporté. Calixte offre en vain ses souffrances pour le rachat de son père : elle mourra d'avoir découvert la fausseté du retour à l'Église de son père, et celui-ci se noiera, damné si l'on en croit les prédictions infaillibles de la Malgaigne, vieille visionnaire qui annonce leur destin aux personnages, ôtant toute surprise au roman teinté ainsi de jansénisme.

Les Diaboliques (1874). Difficiles à dater précisément (le Dessous de cartes a paru en 1850, le Plus Bel Amour de Don Juan, en 1867), les nouvelles devaient à l'origine figurer sous le titre « Ricochets de conversation », qui traduit bien le jeu narratif auquel chaque histoire, réduite à peu de scènes, sert de prétexte. Sans doute les héroïnes, plus que les histoires elles-mêmes, sont-elles les « diaboliques » : Alberte profite du sommeil de ses parents pour rejoindre son amant, dans les bras duquel elle meurt mystérieusement (le Rideau cramoisi) ; la duchesse de Sierra-Leone, par vengeance contre son mari, se prostitue (la Vengeance d'une femme). Aucune n'est innocente, pas même la fillette du Plus Bel Amour de Don Juan, ni la prétendue « Pudica » (À un dîner d'athées). Dans toutes les nouvelles, un auditoire, parfois réduit à une seule personne, écoute un récit. La lenteur voulue de la nouvelle, provoquée par de fréquentes interruptions et la multiplication des prologues, n'amène pas la résolution finale d'une énigme, malgré le thème récurrent de la femme-sphinx. L'intérêt des Diaboliques réside plus dans le récit que dans les événements, et l'auditoire suit bien plus le conteur que le récit lui-même. La fin du récit est d'ailleurs marquée par un retour à l'auditoire, sur la rêverie duquel se clôt la nouvelle. Cet univers onirique révèle l'imaginaire de Barbey, qui, sous le masque des narrateurs, laisse libre cours à ses fantasmes. Les héroïnes portent l'empreinte du surnaturel satanique régi par l'inconscient. Elles sont toutes l'occasion, ou presque, d'une allusion à la castration, et les thèmes sexuels, liés au danger, au mystère, traduisent le sentiment qu'une menace pèse non seulement sur la sexualité, mais aussi sur la vie. La profanation du cœur (À un dîner d'athées) et la découverte d'un enfant mort (le Dessous de cartes) traduisent cette angoisse. L'autodestruction est une manifestation d'orgueil ou une revanche, jamais une faiblesse ; paradoxalement, elle permet l'affirmation de soi, comme la recherche du scandale, que l'œuvre provoqua aussitôt (le livre fut saisi et l'édition partiellement détruite).