Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (XVIIIe siècle) (suite)

Les spectacles

La production théâtrale de la décennie révolutionnaire est immense : environ trois mille. Le 13 janvier 1791, l'Assemblée constituante abolit les privilèges de la Comédie-Française, de l'Opéra et de l'Opéra-Comique, et proclama la liberté des théâtres. Cette décision eut pour conséquence la multiplication anarchique des salles, une extension sociale du public sans précédent, une grande liberté dans les expériences dramatiques et l'éclatement des formes rigides traditionnelles qui avaient sclérosé le théâtre pendant tout le siècle. Cette période d'innovations désordonnée permit une rupture féconde dont naquirent des formes dramatiques qui s'épanouirent pleinement au cours du XIXe s. Elle s'achève en 1806, lorsque Napoléon fit fermer nombre de salles et réglementa sévèrement les autres.

   Dès le début de la Révolution, le théâtre est plus que l'écho des débats politiques du temps. Il est aussi un terrain d'affrontement. Le théâtre est une seconde assemblée en même temps qu'il est une école. La tragédie de Marie-Joseph Chénier, Charles IX, interdite en 1788, ne put longtemps être représentée à cause de l'opposition d'une partie des Comédiens-Français. L'intervention des acteurs acquis aux idées nouvelles, comme Talma, Dugazon, Mme Vestris, et celle du public furent déterminantes, mais Charles IX ne fut régulièrement représenté qu'après novembre 1789. Le Théâtre-Français se scinda en 1791 pour ne se réunifier qu'en 1802. D'autres spectacles furent mémorables : des bagarres éclatèrent lors de la représentation de l'Ami des lois de Laya (2 janvier 1793) et de Paméla ou la Vertu récompensée de François de Neufchâteau (1er août 1793), pièces ressenties comme contre-révolutionnaires, cependant que les sans-culottes firent un triomphe au Véritable Ami des lois de Cizos de Duplessis (21 septembre 1793) ou à l'Époux républicain de Pompigny (8 février 1794), qui était un hymne à la loi des suspects. Liées à l'actualité politique, ces pièces en suivirent les fluctuations. La tragédie de Legouvé Épicharis et Néron, jouée en février 1794, permettait une assimilation entre Robespierre et Néron ; aussi son succès fut-il grand après Thermidor. C'est une pièce de Ducancel, l'Intérieur des comités révolutionnaires ou les Aristides modernes (7 avril 1795), qui devait être le plus grand succès de la réaction thermidorienne.

   Les formes du théâtre de la Révolution furent nombreuses. Les sujets historiques et patriotiques se répandirent, souvent accompagnés de mises en scène sophistiquées et de chants. On commémorait une victoire militaire ou un héros (Agricol Viala ou le Jeune Héros de la Durance, par Philipon de La Madelaine, le 21 juin 1794). Même l'Opéra, si traditionaliste fût-il, suivit le mouvement et représenta des pièces patriotiques comme le Siège de Thionville, le 14 juin 1793. Dès le début, on vit apparaître une dénonciation systématique du fanatisme religieux ou des mœurs conventuelles (les Victimes cloîtrées, drame de Monvel, 28 mars 1791), cependant que quatre pièces (de Lemierre d'Argy, Laya, Chénier et Pujoux) reprenaient autour de 1790 le sujet de l'Affaire Calas et que l'on représentait enfin l'Honnête Criminel de Falbaire (4 janvier 1790) qui dénonçait la persécution des protestants.

   La comédie reste fort conventionnelle avec Collin d'Harleville et, plus tard, Picard. Elle poursuit son évolution vers le genre sérieux dont le Philinte de Fabre d'Églantine est un bon exemple. Il faut signaler cependant une extension de sa dimension carnavalesque dans la pièce de Pierre Sylvain Maréchal, le Jugement dernier des rois (17 octobre 1793) ou dans les comédies d'Aude ou d'Ève Maillot qui mettent en scène le personnage de Madame Angot, la poissarde parvenue. Mais la grande invention de la Révolution au théâtre est le mélodrame. Le goût pour l'histoire et le romanesque, la découverte du roman noir anglais, la diffusion du pittoresque et de l'exotisme dans la comédie, le drame et la tragédie devaient rencontrer un nouveau public dans de nouveaux théâtres. Dès lors le mélodrame était né ; ses initiateurs furent Marsollier, Révéroni Saint-Cyr, Cammaille, Duval ou Loaisel de Tréogate. Il trouve sa forme classique avec les premières œuvres de Pixerécourt, Victor ou l'Enfant de la forêt (10 juin 1798) et Coelina ou l'Enfant du mystère (2 septembre 1800). À la faveur de la mode gothique, le public découvrit un drame nouveau, imité des Anglais ou des Allemands (Robert, chef des brigands, adapté par La Martellière, d'après Schiller, en 1792, ou Misanthropie et Repentir par Bursay et Molé en 1798, d'après Kotzebue – sans compter les adaptations de Shakespeare par Ducis). C'est l'œuvre de Népomucène Lemercier, Pinto (mars 1800), qui devait se révéler la plus féconde pour le théâtre romantique.

   On ne saurait évoquer la vie littéraire et culturelle de la Révolution sans comprendre dans ses spectacles ce qui en fut l'un des aspects dominants, la fête et l'organisation de la pompe publique. La fête de la Fédération du 14 juillet 1790 fut la première grande célébration nationale. Les fêtes scandèrent le nouveau calendrier et accompagnèrent les temps forts de la vie politique. Le transfert des cendres des grands hommes au Panthéon (Voltaire, Rousseau, Mirabeau), les pompes funèbres en l'honneur de Simonneau, Marat, Le Peletier, la fête de la Raison, celle de l'Être suprême, ou plus simplement de la Vieillesse, autant d'occasions pour David, Quatremère ou d'autres organisateurs de transformer la vie publique en théâtre, tableau ou procession. Dans leur diversité, ces fêtes portent la marque des groupes dirigeants successifs. Elles conservent malgré tout des traits communs à travers toute la décennie. Elles mettent en place un vocabulaire symbolique abondant : inscriptions, allégories, statues et bustes, tableaux vivants. Une autre fête exista d'ailleurs, qui rencontra parfois la première, plus populaire dans son inspiration, quoique dirigée souvent par des bourgeois. Carnavalesque, païenne, paysanne ou urbaine, elle déchaîna les ardeurs sacrilèges et s'en prit aux symboles de l'Ancien Régime. La plantation des arbres de mai célébrait une renaissance et une libération : l'arbre de mai traditionnel devint arbre de la Liberté et entra dans l'époque nouvelle.