Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Dostoïevski (Fiodor Mikhaïlovitch) (suite)

L'esthétique romanesque

L'influence de Dostoïevski sur le XXe siècle est considérable. Il a ouvert des voies nouvelles à la pensée religieuse (il écrit lui-même, dans une lettre à Maïkov, que l'existence de Dieu a été « la question principale » de sa vie), philosophique (les héros dostoïevskiens posent le problème de la liberté et de la détermination), sociale et politique, à la connaissance de l'être humain (voir l'intérêt de la psychanalyse pour son œuvre), tout en bouleversant l'art romanesque, le brassage des grandes questions ayant nécessité une forme nouvelle. L'habit de « réaliste » est bien trop étroit pour cet écrivain, qui dit lui-même : « J'ai mon regard particulier sur la réalité (en art) et ce que la majorité qualifie quasiment de fantastique et d'exceptionnel est parfois pour moi l'essence même de la réalité. La banalité des phénomènes et un regard conventionnel ne suffisent pas au réalisme. » L'écrivain perçoit de manière très aiguë les transitions qui agitent son époque : la société qui l'entoure lui apparaît comme un immense chaos au sein duquel des forces souterraines tentent de se faire jour ; il s'agit d'essayer de les découvrir, et pour cela, il nous propose un fil souvent ténu, celui d'une intrigue qui en général se déborde elle-même (importance des intrigues secondaires), où les personnages, eux-mêmes infiniment complexes, ne cessent de se multiplier, en reflet les uns des autres. Dans cet univers agité par l'angoisse, la catastrophe, pressentie puis réalisée, est omniprésente, ce qui conduira V. Ivanov et, à sa suite, de nombreux critiques, à parler de « romans-tragédies ». Ce n'est pas le seul point qui rattache l'œuvre de Dostoïevski à l'écriture dramatique ; l'importance quantitative du dialogue dans ses romans a été soulignée à maintes reprises. Le critique M. Bakhtine voit même dans le « dialogisme » l'apport essentiel du roman dostoïevskien : l'idée n'est plus monologique, elle est prise en charge par plusieurs voix (polyphonie) dont aucune ne prédomine sur l'autre, pas même celle du narrateur (souvent relayé chez Dostoïevski par un « chroniqueur »). Pour J. Catteau, le dialogue est la formule de la création littéraire chez Dostoïevski : l'étude des carnets préparatoires montre un écrivain qui compose dans un dialogue permanent avec ses personnages, qui naissent de et par la parole. C'est le dialogue qui permet au héros dostoïevskien de se découvrir, aux autres, à lui-même et au lecteur, au cours de deux types de scène qui reviennent fréquemment, les scènes de groupe, parfois appelées « conclaves », où tous les personnages sont réunis et font progresser l'action en se révélant les uns par les autres, et les scènes de confession. Sans cesse pourtant, dans ces « romans idéologiques » (B. Engelgardt), l'exploration des profondeurs de l'âme humaine, de la conscience se heurte à l'impossibilité irréductible que lui oppose la dualité fondamentale de l'être. C'est que l'œuvre de Dostoïevski n'est pas le lieu d'une certitude, mais celui du doute qui l'appelle désespérément.

Dotremont (Christian)

Écrivain et peintre belge de langue française (Tervuren 1922 – Bruxelles 1979).

Il participa aux activités des groupes surréalistes de Bruxelles et de La Louvière. Sous son impulsion naquit en 1948 le mouvement Cobra, avec Jorn, Appel, Constant, Corneille, Alechinsky et Noiret ; il en sera la cheville ouvrière pendant près de trois ans. Au début des années 1960 et après le choc d'un voyage en Laponie (1956), commença l'expérience des logogrammes (Logogrammes I, 1964 ; Logogrammes II, 1965). Le logogramme est un « manuscrit  de premier jet » traçant au pinceau des mots « à la recherche de leur figure ». C'est une « conspiration » de la lettre et de la graphie. Le logogramme veut refuser la « division du travail », la séparation de l'écriture et de son contenu. L'écriture du logogramme n'est asservie ni à un objet (au contraire du calligramme) ni à un sens : elle établit un équilibre entre les gaucheries et les virtuosités réciproques de la pensée et de la main. En 1974, le Logbook a réuni un choix de logogrammes.

Doubrovsky (Serge)

Écrivain français (Paris 1928).

L'un des initiateurs de la nouvelle critique, il donne une lecture existentialiste de la tragédie classique (Corneille et la dialectique du héros, 1963), et, à l'occasion du débat entre Barthes et Raymond Picard, définit, dans une perspective antiformaliste, la vocation littéraire en terme de projet (Pourquoi la nouvelle critique, 1968). Dans une étude sur Proust (la Place de la madeleine, 1974), puis dans Parcours critiques (1980), il identifie l'écriture à une psychanalyse active que son œuvre romanesque (Fils, 1977 ; Un amour de soi, 1982 ; la Vie l'instant, 1985 ; le Livre brisé, 1989 ; Laissé pour conte, 1999) rapporte à sa propre vie. Il propose le concept d'autofiction pour ces livres signés de son nom propre mais l'écriture, au fil des associations, transforme et recrée le matériau autobiographique. Jeux de mots, lapsus, rencontres verbales de toutes sortes donnent rythme et mouvement à sa prose savamment déconstruite.

Doukhnovitch (Aleksandr Vasylovytch)

Écrivain ukrainien (Topoli 1803 – Presov 1865).

Chanoine, linguiste, collecteur du folklore, il publia dans la presse de Galicie des essais ethnographiques, des vers patriotiques en dialecte (les Russes subcarpatiques) et des pièces édifiantes (Bonne Réputation, 1850) qui contribuèrent à l'éveil culturel des Ukrainiens de Ruthénie.

douma

En Ukraine, poésie populaire épico-lyrique à thème historique, accompagnée de musique et diffusée par les kobzars. Forme tardive et non strophique de l'épopée, comprenant de 50 à 400 vers assonancés de mètre variable, la douma surgit dans le contexte de la « démocratie » militaire cosaque. Alors qu'un premier cycle constitué au XVe et XVIe s. évoque surtout la résistance au joug tataro-turc (Maroussia Bogouslavka, Samoïlo Kochka, les Trois Frères), un second cycle patriotique s'organise lors de la guerre de 1648-1654 autour de la figure de l'ataman Khmelnitski (la Victoire de Korsoun, la Mort de Khmelnitski). En déclin au XIXe s., la douma a retrouvé à l'ère soviétique un regain de vitalité.