Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
S

Somalie (suite)

Le théâtre

Le théâtre somali apparaît vers 1940 dans l'environnement urbain et connaît aujourd'hui une grande popularité. Considéré dans son ensemble, c'est une innovation qui ne doit rien aux modèles européens, tant pour le fond que pour la forme, une synthèse de prose et de poésie : les intermèdes composés en poésie allitérative traditionnelle, souvent chantée ou accompagnée de l'orchestre, constituent les parties nobles de la pièce et contiennent, à l'image des chœurs tragiques grecs, le message de l'auteur. Satire et humour dominent dans les scènes en prose, en partie improvisées par les acteurs. Avec des personnages et des sujets tirés de la vie quotidienne (masques et costumes sont exclus), le théâtre reflète le goût marqué de l'ensemble de la littérature somalie pour le réalisme et s'affirme dans son rôle de véhicule de pensée philosophique ou politique. Samawada (1968) d'Axmed Cartan Xaange met en scène la vie et la mort d'une étudiante engagée dans des activités politiques. Le Léopard et les Femmes, composé en 1968 par Xasan Sheekh Muumin, est une satire résolument féministe de l'instabilité du mariage dans l'environnement urbain. Les œuvres de Cali Sugulle (également célèbre poète), de Cali Ibraahiin Iidle s'affirment elles aussi dans leur rôle patriotique et réformiste.

La prose traditionnelle, le roman

Les dits (odhaah), proverbes (maahmaah), fables, et le vaste corpus de légendes (sheekoogin), soit arabes d'origine, soit spécifiquement somalies, transcrits et publiés à ce jour en de nombreux recueils (dont le plus connu, Xikmad Soomaali, bénéficie d'une édition exemplaire par Muuse X. I. Galaal et B. W. Andrzejewski), constituent le fonds national qui nourrit l'inspiration des écrivains contemporains. Dès avant la réforme orthographique et linguistique de 1972 s'était développé le goût de la fiction, à peu près étrangère à la littérature somalie. Première œuvre romanesque, Qawdham iyo Qoran, écrit en 1967 par Axmed Cartan Xaange, est une histoire d'amour inscrite dans le cadre historique de la prérévolution. En commun avec elle, les Esprits et Lutter pour vivre, deux nouvelles écrites en 1973 par Shire Jaamac Axmed, possèdent le caractère engagé, la gravité des thèmes jusque-là réservés à la poésie traditionnelle. L'ignorance est l'ennemie de l'amour, de Faarax M. J. Cawl, écrit en 1974 d'après une histoire vraie préservée par les traditions orales, est celle de deux amoureux séparés par les lois de leur société dans la dramatique période du soulèvement de Maxamad Cabdulle Xasan contre les forces britanniques. L'originalité de l'œuvre, où de nombreux poèmes mêlés au récit en prose soulignent les points de tension dramatique, comme celle des Chaînes de la colonisation (1978), du même auteur, qui insère l'exposé purement historique de la domination du peuple somali dans le cadre fictif du récit, promettent beaucoup pour l'avenir du roman somali. On peut aussi mentionner l'œuvre réaliste, sensible et acerbe, de Nuraddin Faarax (né en 1945), écrivain somalien de langue anglaise, comme appartenant à la pure tradition littéraire nationale.

Sønderby (Knud)

Écrivain danois (Esbjerg 1909 – Copenhague 1966).

Son roman, En pleine époque de jazz (1931), le signale comme un représentant de la génération d'après-guerre, désillusionnée, et sceptique. La forme expérimentale de Deux êtres se rencontrent (1932) inscrit encore cette distance à la réalité. Son roman le plus connu – également porté à la scène – Une femme est superflue (1936), montre la rupture entre des enfants et une mère abusive et tragique, qui finit par se suicider.

sonnet

Ce poème à forme fixe, d'origine italienne (XIVe s.), s'étendit à toute l'Europe au XVIe s., son âge d'or, en particulier en France, où il se fige en une forme « impeccable ». Mais, jugé artificiel, parodié, transformé en madrigal ou en jeu de salon, occasion de montrer son esprit, il perd de sa noblesse au cours du XVIIe s. Il connaît alors (comme les autres formes fixes) une longue éclipse, jusque vers 1850, où il redevient une forme poétique majeure chez Baudelaire, Verlaine, Heredia, Rimbaud, Mallarmé... En dépit d'Apollinaire et des manifestes surréalistes poussant à l'éclatement des contraintes, et à la pratique des vers « libres », le sonnet reste paradoxalement le seul type de forme fixe que les poètes contemporains acceptent d'affronter. Ainsi Desnos et Jouve, Queneau, J. Cassou (33 Sonnets composés au secret), Guillevic, Neruda, Brecht, J. Roubaud...

   Les règles du sonnet sont strictes. Il doit comporter deux quatrains et deux tercets (pour certains, il s'agirait de la conjonction d'un huitain et d'un sixain). Les rimes doivent être embrassées et semblables (abba x 2) pour les quatrains, celles des tercets adopter soit la disposition ccd/eed (sonnet dit « italien »), soit ccd/ede (sonnet dit « français »). La singularité réside dans ce découpage en deux parties inégales (elles-mêmes binaires) : un changement de rythme résulte du passage d'un groupement de deux fois quatre unités (nombre pair) à un groupement de deux fois trois unités (nombre impair). Dans les quatrains, la disposition assure un parfait parallélisme et une cohésion (identité de la rime du 4e et du 5e vers), et en même temps une nette séparation entre les deux strophes, « comme les deux miroirs d'une image, ou miroirs l'un de l'autre » (Aragon). Dans les tercets, la disposition ccd/eed laisse l'esprit en suspens jusqu'à la résolution du vers final : « C'est ici la beauté sévère des deux vers rimant, qui se suivent immédiatement, pour laisser le troisième sur sa rime impaire, demeurée en l'air, sans réponse [...] jusqu'à la fin du sonnet, comme une musique errante » (Aragon).

   L'élaboration d'un tel système est due à une conception humaniste qui lie musique, mathématiques (et même astronomie : la musique des sphères) et poésie : Baudelaire (qui pratique le sonnet « irrégulier ») lui trouve « une beauté pythagorique » (allusion au nombre d'or). La longévité du sonnet a prouvé, même lorsque la poésie s'est séparée de la musique, que cette formule est féconde : Queneau propose un mode d'emploi qui permet à tout un chacun de composer à volonté « cent mille milliards » de sonnets ; J. Roubaud, poète-mathématicien, le présente sous le signe de la relation d'appartenance (∊, 1967).

   Car le cadre ainsi tracé force le poète à organiser son discours en parallélismes et contrastes sémantiques autant que rythmiques ; le poème devient « un appareil où se fait une construction de déductions et inductions affectives » (Jouve), « une machine à penser » (Aragon). Le passage des quatrains aux tercets est souvent le lieu décisif d'une charnière logique (la volta), et le dernier celui d'un point d'orgue, ou d'un retournement final (la chute, la pointe).

   À la Renaissance, les recueils de sonnets représentent la prouesse d'un renouvellement inépuisable dans le cadre fixe d'une forme et d'un sujet. À la fin du XIXe s., les sonnets deviennent entités isolées, portant chacune son titre. Mais l'idée de sonnets en séries a été reprise par Desnos, Queneau, Neruda, Roubaud : l'ensemble des sonnets forme alors un seul long poème organisé rythmiquement en cellules homologues et dépendantes les unes des autres, comme dans une mesure en musique.