Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
L

Lernet-Holenia (Alexander)

Écrivain autrichien (Vienne 1897 – id. 1976).

Poète épigonal influencé par Hölderlin et Rilke (Pastorale, 1921), auteur de drames (Demetrius, 1926) et de comédies (Comédies autrichiennes, 1927), il peint dans ses romans l'irrésistible décadence de l'empire austro-hongrois (la Standarte, 1934 ; Baron Bagge, 1936 ; Un rêve en rouge, 1939 ; la Dame Blanche, 1965). Dans le roman le Comte de Saint Germain (1948) Lernet traite l'Anschluss de 1938 sur le mode fantastique.

Leroux (Gaston)

Journaliste et écrivain français (Paris 1868 – Nice 1927).

Avocat, chroniqueur judiciaire au Matin, il y débuta dans le roman-feuilleton avec l'Homme de la nuit (1897, signé Larive), puis la Double Vie de Théophraste Longuet (1903). En 1905, il mena une grande enquête en Russie (dont les textes seront réunis en 1978 sous le titre l'Agonie de la Russie blanche). Il devint célèbre en 1907 en publiant, dans l'Illustration, le Mystère de la chambre jaune : son héros, le reporter Rouletabille, créera un nouveau type de détective qu'il confronte ici à l'énigme d'un meurtre en chambre close et qui reviendra dans d'autres récits (le Parfum de la dame en noir, 1908 ; Rouletabille chez Krupp, 1917). Avec le Roi mystère (1908-1909), Leroux proposa une réécriture du Comte de Monte-Cristo de Dumas, qui joue avec la fiction, et avec la Reine du sabbat (1910), un foisonnant et fascinant roman d'aventures. On lui doit aussi le fameux cycle de Chéri-Bibi (1913-1925) ainsi que des récits mélodramatiques, où l'angoisse s'associe à l'humour, tels le Fauteuil hanté (1909) ou le Fantôme de l'Opéra (1910). Mentionnons encore la Poupée sanglante (1923), un étrange roman où des thèmes fantastiques se conjuguent à un récit policier. Avec A. Bernède, Leroux créa en 1919 la Société des cinéromans pour laquelle il écrivit aussi des scénarios.

Léry (Jean de)

Historiographe français (Lamargelle, Côte-d'Or, v. 1534 – L'Isle-près-Montrichet, pays de Vaud, v. 1613).

Pasteur protestant, il est l'auteur d'une Histoire mémorable de la ville de Sancerre (1574), relation du siège de Sancerre par les catholiques au cours des guerres de Religion, et d'une Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil (1578), remarquable document ethnologique dans lequel il décrit notamment la vie des Tupinambas.

Lesage (Alain René)

Écrivain français (Sarzeau 1668 – Boulogne-sur-Mer 1747).

Orphelin, il mena, jusqu'en 1730, une double carrière littéraire d'homme de théâtre et de romancier. À la charnière de deux époques, Lesage a élaboré une œuvre nouvelle qui mêle certains héritages classiques à des apports étrangers (surtout espagnols) et à un esprit moderne. Après les Lettres galantes d'Aristénète (1695), adaptation d'un recueil grec tardif, et les Nouvelles Aventures de l'admirable Don Quichotte de la Manche (1704), tirées de la suite anonyme du roman de Cervantès, le Diable boiteux, qu'il publia en 1707, d'après un ouvrage de Luis Vélez de Guevara, fut l'un des plus grands succès de librairie du siècle : Asmodée, « le diable boiteux », guide un jeune écolier, Don Cléofas, dans un périple qui les fait pénétrer dans toutes les maisons de Madrid. Ainsi est démasqué l'envers de la comédie sociale. Lesage vécut désormais des revenus de sa plume. Il collabora aux Mille et Un Jours (1710-1712), contes orientaux traduits par Pétis de la Croix, et donna, en 1715, le premier tome de l'Histoire de Gil Blas de Santillane, qui fut suivi d'un second (1724) puis d'un troisième (1735). Inspiré du roman picaresque espagnol Lazarillo de Tormes, c'est un roman-Mémoires : au cours d'une succession d'aventures qui lui font traverser l'Espagne, le narrateur apprend à vivre et accède finalement à une sorte de sagesse épicurienne. La succession des épisodes semble n'être régie que par le hasard mais, utilisant avec habileté les rappels thématiques et la division en tomes, Lesage a donné à l'œuvre la cohérence d'un triptyque : premières expériences, équilibre de la maturité, sagesse de l'âge. Lesage renouvelait la tradition picaresque dans un sens désinvolte. Exploitant les procédés du Gil Blas, Lesage publia une série de gros romans, comme l'Histoire de Guzman d'Alfarache (1732), les Aventures de Robert Chevalier dit de Beauchêne (1732), le Bachelier de Salamanque (1736). La création de Lesage s'avoue d'emblée comme re-création, réélaboration d'un matériau littéraire préexistant, traductions de l'espagnol ou du turc, romans, historiettes ou anecdotes. Son talent se révèle dans un jeu conscient et souvent parodique sur la littérature. Rien ne manque à ses romans : brigands, enlèvements, aventures d'amour et d'humour ; c'est un jeu perpétuel sur les situations et les personnages dont la liberté séduit encore le lecteur contemporain.

   Il avait cependant obtenu un premier succès en 1707 au Théâtre-Français avec Crispin rival de son maître. Crispin est, comme Mascarille ou Scapin, un filou et un fourbe, mais il trahit son jeune maître. Entre Crispin et Valère s'établit une égalité crapuleuse troublante qui annonce les mutations sociales et idéologiques de la Régence. Turcaret fut représentée malgré l'opposition des milieux financiers en 1709 et assez peu jouée. Sur un canevas classique depuis Molière (une coquette et son amant noble rançonnent un riche parvenu), Lesage greffe une dénonciation impitoyable de la société et des mœurs à la fin du règne de Louis XIV. Il s'en prend au milieu des financiers, il n'épargne pas la noblesse qui les parasite. Cynique et débauché, le valet joue sa partie contre son maître et finit par l'emporter sur lui. Lesage, brouillé avec les Comédiens-Français, écrivit, souvent avec la collaboration de Fuzelier et d'Orneval, de nombreuses pièces pour le théâtre de la Foire.

Leskov (Nikolaï Semionovitch)

Écrivain russe (Gorokhovo, gouvern. d'Orel, 1831 – Saint-Pétersbourg 1895).

Issu, par son père, d'une famille de popes et, par sa mère, de la petite noblesse, il a 16 ans lorsque ses parents meurent. Ruiné, il doit quitter l'école pour gagner sa vie dans des bureaux et dans le commerce : au cours de ses voyages, il apprendra à connaître la diversité de la vie de province. En 1860, temps d'effervescence et de sectarisme politiques, il se lance dans le journalisme et, à la suite d'un article mal interprété sur l'incendie de Saint-Pétersbourg (1862), devient la cible de la presse radicale : on l'accuse d'être à la solde de la police. Ces attaques lui inspirent des romans dirigés contre les radicaux, Sans issue (1864), À Couteaux tirés (1870). Dans les années 1860, il publie plusieurs récits consacrés au monde rural, comme la Vie d'une bonne femme (1863) ou Lady Macbeth du district de Mtzensk (1865), sur le thème de l'amour passion. En 1872 paraît son roman Gens d'église, dans lequel il s'efforce de créer des personnages de justes, en lutte contre les abus de la hiérarchie cléricale. Chronique méticuleuse d'une petite ville de province, le livre offre une savoureuse galerie de portraits et constitue un témoignage simple et vrai sur la Russie profonde. Les figures positives de ce roman et le thème de la force du peuple russe trouvent leur prolongement dans deux récits de 1873, le Pèlerin enchanté et l'Ange scellé. Dans ce dernier, Leskov décrit les mœurs des milieux de vieux-croyants auxquels un fonctionnaire confisque une icône précieuse, la figure d'un ange peint, et y appose un sceau. Les raskolniki remuent toute la terre pour récupérer leur ange scellé, guidés dans leurs démarches par la Providence : à l'humour tendre, au réalisme des scènes de mœurs, se mêle un symbolisme surnaturel, une sorte de fantastique qui est l'intervention constante de Dieu. Dans le Pèlerin enchanté, Ivan Severianovitch Fliaguine, un colosse en habit de moine, traverse le lac Ladoga et raconte à ses compagnons de voyage les aventures successives qui l'ont amené à recevoir les ordres mineurs. L'histoire est contée à la première personne, sur un ton très vif, et les détails pittoresques, expressifs, se mêlent avec naturel aux éléments merveilleux. Nulle inquiétude métaphysique (« Qu'importe les voies du Seigneur pour appeler les hommes à Lui ! »), mais une sorte de fougue et d'humilité voue le pèlerin ensorcelé, guidé par la Providence, à recevoir le don de prophétie. Dans ces deux récits, Leskov sait faire parler ses personnages en gardant intacte la sève de leur langage. Les œuvres des années 1870 mettent au premier plan l'unicité du peuple russe : dans le Gaucher (1881), Leskov raconte comment un homme du peuple, grâce à son ingéniosité, dépasse des ingénieurs anglais sur le terrain de la technique. Il se rapproche de Tolstoï, rejetant comme lui l'Église institutionnelle (ses représentants sont la cible de ses satires, comme Menus faits de la vie épiscopale, 1880). Son œuvre compose une fresque de la Russie profonde, nourrie de légendes, de traditions, de récits pittoresques, où chaque mot est une trouvaille de style. Leskov reste dans le registre de l'étude de mœurs, sans jamais chercher de prolongements psychologiques ou métaphysiques. Il est avant tout un conteur, héritier de la tradition orale, l'initiateur, après Gogol, du skaz, terme employé par la critique pour désigner une forme de récit stylisé attribué à un narrateur fictif, et qui fait appel à une syntaxe, à un lexique et à une prosodie propres à la langue courante et parlée. Ce procédé sera repris au XXe siècle par Remizov, Biely, Pilniak et Zochtchenko.