Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (XVIIe siècle) (suite)

L'installation de l'absolutisme

La Réforme protestante marque incontestablement une rupture du point de vue religieux, et nombreux ont été ceux qui, à l'époque, ont perçu comme telle la séparation de l'Église en confessions diverses, l'éclatement de l'Église catholique et de son pouvoir intégratif, universel donc, en une série d'Églises, atomisées en pratiques, qui se disputent un Texte et une Vérité désormais offerts à l'interprétation plurielle. Mais la Réforme a aussi une conséquence politique : la substitution de la Raison d'État à la Vérité religieuse unique, la naissance d'une politique monarchique dont les liens avec la divinité sont pour le moins distendus. Dès lors, la périodisation peut s'effectuer selon les règnes, dont la succession dessine une possible représentation de l'époque et de ses grandes articulations.

   Après les calamités des guerres de Religion, l'avènement de Henri IV et sa réussite politique ont fait figure, immédiatement, de rupture salutaire et de retour à une harmonie perdue. 1598, date de la signature de l'édit de Nantes pourrait bien, de ce fait, constituer le début du XVIIe s., parce qu'elle scelle la coexistence de deux confessions et engage pour tout le siècle l'histoire mouvementée des rapports entre l'État catholique et la minorité protestante. De l'avènement de Henri IV, en 1594, à 1661 – qui voit tout à la fois Colbert entrer au gouvernement, Fouquet arrêté, Mazarin mourir et commencer le règne personnel de Louis XIV – s'installerait le temps du Premier dix-septième siècle, selon le titre donné par Robert Descimon et Christian Jouhaud à un ouvrage récemment publié. Entre ces deux dates et ces deux rois, les caractères fondamentaux de la monarchie française se mettent en place. De Henri IV à Louis XIV – grands pourvoyeurs de mythes littéraire et politique, sur lesquels les « périodes » devaient, plus tard, s'articuler –, s'organise, pour l'historien et pour tous ceux qui pensent que l'histoire littéraire doit inclure l'actualité politique et ses représentations, l'absolutisme monarchique. Au concept d'État se substitue celui, mystique, de royaume : en 1594, Henri IV entre à Paris, se fait catholique, réalise l'union symbolique entre le corps politique dont le roi est le chef, c'est-à-dire la tête, et les divers états (ou ordres : noblesse, clergé, tiers-état) qui sont les membres de ce corps. La monarchie absolue insiste sur le caractère spécifique de la relation entre le roi et Dieu ; seul le roi est juge de ses devoirs envers les hommes, seul le roi tient son autorité de Dieu, sans médiation. De ce nouveau corps de droit divin, hérité des théories de la souveraineté élaborées par le civiliste Jean Bodin à la fin du XVIe s., naquit sans doute l'idée moderne de politique, car ce n'est plus l'Église qui, comme le souhaitaient les Ligueurs ultracatholiques et comme le souhaitent encore les dévots, peut assurer la cohésion sociale et culturelle de la France, mais cette monarchie de droit divin où le roi « absolu », c'est-à-dire délié des lois, peut promulguer une nouvelle loi du moment qu'il respecte les formes légales et qu'il se soumet à l'enregistrement des parlements. L'absolutisme n'est pas une tyrannie, même si cette nouveauté française, gallicane, a empêché l'évolution politique vers un « État des états » où les représentants des ordres auraient pu se doter de pouvoirs propres, comme c'est le cas dans beaucoup d'États allemands à la même époque. L'absolutisme est un outil administratif et légal qui a permis de construire la paix politique après les guerres de Religion, dans un système de conflits avec les parlements, en sorte que le roi – personnalité publique – devenait l'incarnation passagère d'un principe supérieur, abstrait, que les juristes finirent par assimiler à l'État.

« L'État, c'est moi »

Si Louis XIV n'a sans doute jamais prononcé cette phrase, elle reste dans les mémoires comme trace de cette nouvelle incarnation que Louis XIV entendit produire sur la scène politique. La crise de la Fronde s'est passée sans que le roi n'ait eu besoin de convoquer les États généraux, ce qui montre assez dans quel sommeil durable était tenue cette institution représentative depuis 1614. Les puissances clientélaires aristocratiques ont été largement domestiquées, souvent par des procès expédiés où des Grands perdirent la tête, comme Chalais, Montmorency, Cinq-Mars ; le temps des Richelieu et des Mazarin honnis était fini : le roi gouvernerait seul en se dotant d'une administration rationnelle que ses prédécesseurs avaient eu le temps de mettre en place. Lors des révoltes antifiscales, durant les troubles de la Fronde, la politique mise en cause n'avait jamais été attribuée au roi, mais à des ministres qui, n'ayant pas de légitimité propre, étaient regardés comme fatalement mauvais, réincarnations haïes des favoris de l'époque des Valois. Louis XIV décida, dès la mort de Mazarin, le 10 mars 1661, qu'il gouvernerait seul, et que le conseil d'En-Haut n'admettrait plus ni la reine mère, ni les maréchaux de France, ni Condé, prince du sang. Le surintendant des finances Fouquet fut arrêté aux lendemains d'une fête somptueuse qu'il donna dans son château de Vaux et que le roi perçut comme une emprise menaçante sur le système fisco-financier. Jean-Baptise Colbert lui succéda, comme intendant des finances, tandis que le roi signerait dorénavant toutes les ordonnances de dépenses. Colbert allait peu à peu cumuler la direction de toutes les administrations des revenus royaux et diriger une sorte de grand ministère des Finances, de l'Économie et de l'Intérieur. Dès lors, la tutelle royale est en place, les nobles sont peu à peu soumis.

   Confisquées par le roi, la politique directe et l'histoire trouveront à se faire et à se dire par d'autres moyens : la nouvelle, la tragédie, la fable, la fiction seront, pour toute la deuxième moitié du siècle, le laboratoire distancié des interrogations, des crises et des interrogations que suscite le politique. Ils constitueront l'espace paradoxal d'une République des lettres désormais éclatée, inféodée au pouvoir royal et capable, dans les interstices du service, de produire un premier champ littéraire déjà autonome ou en voie de l'être.

La question religieuse

Le roi de France est catholique, c'est ce que reconnaît Henri IV en abjurant. Entre la fin des guerres de religion et le règne personnel de Louis XIV se joue la grande question religieuse : doit-on et peut-on concilier action politique et engagement religieux ? Les relations entre protestants et catholiques, la place au cœur du royaume d'un parti dévot, les querelles entre jésuites et jansénistes, la fin de toute velléité mystique avec l'affaire du quiétisme à la fin du siècle, montrent bien que les relations entre religion et politique et les rapports entre religion, philosophie et littérature ne cessent d'occuper le XVIIe s.

Les protestants

En fait, si l'édit de Nantes offre aux protestants la liberté de conscience et un certain nombre de garanties pour l'exercice de cette liberté, il n'a pas pour mobile la « tolérance » et n'instaure pas l'égalité des deux religions. La religion prétendue réformée regroupe 5 % des dix-huit millions de Français qui se voient accorder des privilèges et des places fortes. Henri IV eut la force politique de faire appliquer l'édit, mais, dès le lendemain de son assassinat, les contradictions devaient apparaître au grand jour et jeter dans la rébellion un grand nombre de familles protestantes. Alliés aux princes dans la révolte, les protestants se battent durant le règne de Louis XIII, jusqu'au siège de La Rochelle que la détermination et la puissance des armées royales devait emporter après une famine terrible. Louis XIV devait reprendre, contre le parti protestant, une politique agressive, de sorte que l'édit n'était, de fait, plus appliqué depuis 1670, et fut révoqué en 1685. Les protestants émigrèrent en grand nombre dans divers pays d'accueil : la Hollande, l'Angleterre, la Suisse, la Prusse, les pays nordiques et donnèrent naissance à la littérature du refuge, c'est-à-dire de la diaspora protestante. Les familles d'émigrés comptaient des écrivains qui conservèrent le français comme langue et diffusèrent une littérature reconnaissable à ses thèmes. Ils trouvèrent principalement en Hollande un centre d'édition qui leur permit de répandre leurs écrits à travers l'Europe. Le nom le plus connu des réfugiés en Hollande est Pierre Bayle, qui nomma ce pays « la grande arche des fugitifs ». À côté d'œuvres de dévotion, les thèmes les plus fréquents de cette littérature furent ceux de la tolérance et de la libre discussion. Cet esprit critique fut repris et développé par la philosophie des Lumières.

Le parti dévot

Du côté catholique, on peut dire que si les idées ligueuses n'ont guère eu d'avenir au XVIIe s., la noblesse de robe et la haute bourgeoisie ont encouragé assez vite un militantisme politique et spirituel. Les réseaux qui constituent ce qu'on appelle le parti dévot, et bientôt la cabale dévote, se refusent à intégrer l'Église dans l'État et à lui faire perdre sa prééminence dans la conduite des affaires temporelles. Face à eux, les gallicans, ceux qui s'appellent les « bons Français », dénoncent les prétentions romaines d'exercer un pouvoir, fût-il indirect, sur les monarques de la chrétienté. Les rois du XVIIe s. eurent sans cesse à cœur de défaire tout parti ou tout réseau capable d'empiéter sur leurs prérogatives. C'est ce qui explique le bannissement des jésuites entre 1594 et 1603, parce qu'ils prônaient la suprématie romaine et défendaient de fait le « tyrannicide » tenté par Jean Chastel contre Henri IV en décembre 1594 et réussi en 1610. Mais les rois devaient aussi ménager la papauté dont ils avaient besoin pour assurer leur légitimité.

Les jésuites

Une génération après le concile de Trente, les jésuites sont dans toute l'Europe le fer de lance de la nouvelle culture née de la Contre-Réforme. Ils ont créé un style théologique et pédagogique, et disposent avec leurs collèges d'un puissant réseau scientifique. Or les jésuites échoueront en France dans leur tentative de régenter l'activité intellectuelle, malgré l'appui qu'ils apportent à la monarchie depuis leur rétablissement par Henri IV en 1604 et malgré leur dédoublement tactique entre jésuites érudits et jésuites rhéteurs. C'est que les jésuites se sont trouvés en concurrence avec la culture parlementaire, gallicane et janséniste, qui sut profiter de leur moindre faux pas. Ainsi les outrances de la Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps (1622) du P. Garasse, qui attaquait Théophile de Viau et la jeunesse libertine, entraînèrent une réaction des érudits qui posèrent la question de la légitimité de l'invective pour une conscience chrétienne, le risque aussi que faisait courir à la France pacifiée le recours à une éloquence zélée trop proche des excès bien connus durant les guerres de religion (Jugement et censure du livre de la Doctrine curieuse, 1623, de François Ogier). D'autre part, les jésuites se livrèrent à une mauvaise analyse de l'évolution de la société française : alors que le classicisme se formait sur le modèle de la conversation de cour et sur le rythme de la lettre familière, les jésuites (malgré le P. Josset qui célébrait Guez de Balzac dans sa Rhetorica, en 1650) restèrent fidèles à une rhétorique oratoire et populaire. Les jésuites passèrent ainsi à côté de la politique linguistique et littéraire de Richelieu : il n'y eut aucun jésuite dans les premiers membres de l'Académie française.

   Contrairement à la conception gallicane et janséniste de l'inspiration (l'élan du cœur inspiré par la grâce dans la méditation intérieure et le silence), les jésuites considèrent que l'âge de la création inspirée s'est achevé avec les Apôtres et que l'écriture et l'éloquence modernes doivent se fonder sur des techniques rhétoriques adaptées au monde et à ses variations. Dans cette perspective, leurs efforts d'harmonisation de la nature et de l'art correspondent exactement à l'équilibre qu'ils recherchent entre la grâce et le libre arbitre. Le territoire de l'homme, pour le jésuite, est le monde, domaine de son action, et l'action impose de s'adapter au terrain. Ce territoire est moins celui du vrai que du vraisemblable, celui des connaissances « probables », plus que des vérités.

Une France janséniste

Si l'augustinisme imprègne tout le siècle, c'est autour de la question de la grâce et de la liberté de l'homme que se concentrent les plus vives polémiques chez les catholiques du XVIIe s. Selon les jésuites, qui œuvrent au sein de la Contre-Réforme à s'adapter aux laïcs et aux mondains, un augustinisme trop radical qui laisserait l'homme à sa misère et à sa déchéance, serait capable de faire le lit du protestantisme et de favoriser les thèses de la prédestination. La radicalité du message augustinien allait aussi contre l'usage pédagogique et spirituel des grandes leçons de l'optimisme humaniste. Le jésuite Molina conçut ainsi en 1588 l'idée d'une grâce suffisante qui laissait au libre-arbitre une plus grande place que ne le supposait la doctrine augustinienne de la grâce efficace.

   Face au camp jésuite, Saint-Cyran, puis Jansénius, professeur d'histoire sainte à Louvain, allaient recentrer l'augustinisme sur son message le plus radical en rappelant le poids de la grâce, son infaillibilité, sa nécessité. Les conflits provoqués par son Augustinus commencèrent dès 1641 et se prolongèrent au-delà de l'interdiction de certaines de ses thèses par la bulle Unigenitus signée par le pape Clément XI à la fin du siècle. Mais le jansénisme n'est pas seulement une doctrine spirituelle, il suppose un héroïsme de la perfection qui se répandit à travers toutes les couches de la société du XVIIe s. et surtout les couches hautes et moyennes. Il suppose surtout des engagements pratiques, moraux, politiques qui vont du refus de tout compromis avec le monde (comme l'atteste un esprit de « désert » et de fuite dont Port-Royal sera le lieu), à l'accommodation critique avec les inévitables faiblesses de l'âme humaine. Malgré les interdictions, malgré la destruction par Louis XIV de Port-Royal, le jansénisme a profondément marqué la société française, sa politique, son droit, sa culture au sens large (il suffit de penser ici au rôle de la Logique de Port-Royal) et ce, jusqu'à la Constitution civile du clergé au moment de la Révolution. Entre le radicalisme de certains spirituels, comme Saint-Cyran, et le jansénisme de la seconde moitié du siècle, se profile l'idée d'une politique accordée à nos défaillances, inévitable compromis avec notre misère dont Pascal même se fera le défenseur, et qu'Arnauld et Nicole développeront.

Politiques et religion

Les relations de la Couronne avec les jésuites puis avec les jansénistes montre comment, au sein de ces courants antagonistes, le roi s'efforce de rester un arbitre prudent. Les courants spirituels autour de Pierre de Bérulle, du salon spirituel de Madame Acarie (épouse d'un ancien Ligueur banni), se heurtaient à la politique monarchiste et à son obéissance à une rationalité propre, déliée de la morale religieuse. La raison d'État, perçue par les dévots comme une « raison d'Enfer », entraîne le cardinal de Richelieu à réprimer tout radicalisme spirituel qui avait, sur la politique extérieure – en particulier en ce qui concernait les relations avec les États protestants ou avec les Turcs – des avis dictés par une idée désormais intenable de la Cité de Dieu que le roi aurait dû, selon la politique dévote, avoir comme but politique. Dès 1660, la Compagnie de Jésus est dissoute et, à l'égard du jansénisme, la politique royale est tout aussi ferme. Un ralliement massif, pour des raisons souvent politiques et gallicanes, s'impose à tous les clercs qui ne sont pas les thuriféraires de la papauté (comme les jésuites) : c'est autour d'un augustinisme radical, que se réunissent ainsi les Messieurs de Port-Royal qui se disent « les Amis de la Vérité » et condamnent, avec la fiction, des pans entiers de la littérature, au nom d'une stricte séparation du Parnasse et du Calvaire. Liée à la concupiscence, la fiction est bannie parce qu'elle entraîne mécaniquement, selon le schéma cartésien, le lecteur et le spectateur à vivre les passions représentées et qu'il ne peut, sans grâce efficace, échapper à sa déchéance.

   La mystique aussi sera peu à peu condamnée, mal comprise surtout, comme si ses catégories (son vocabulaire, ses états, ses expériences) cessaient de faire sens dans la France du XVIIe s. Le Siècle des saints – au sens des mystiques modernes – est déjà le siècle du matérialisme cartésien, du libertinage philosophique. Mais la critique ne vient pas seulement ni même surtout des esprits rationalistes, mais des autorités politiques et ecclésiastiques. L'affaire du quiétisme qui mettra aux prises Bossuet et Fénelon, autour du rôle joué par la spiritualité de madame Guyon, atteste du fossé qui s'est désormais creusé entre le catholicisme français et les tendances mystiques, jusque-là acceptées ou tolérées. Le quiétisme naît au sens propre à la fin du XVIIe s. en Italie, où les quietisti mettent au sommet de leur itinéraire spirituel le sommeil mystique (où les puissances de l'âme ne jouent plus aucun rôle), l'oraison de repos (quies), et l'indifférence. Cette « passivité » mystique cesse d'être pensable (même si elle se recommande d'une très ancienne histoire spirituelle qui prend ses sources au moins dans les courants rhéno-flamands du Moyen Âge) : la transformation en Dieu implique désormais chez ses détracteurs le refus des hiérarchies institutionnelles, l'abandon au péché, la dépravation morale. Très vite, le quiétisme désignera abusivement la spiritualité de Fénelon et la mystique en général ; il signera la fin du mysticisme français ou sa persistance sous des formes plus secrètes.