Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Memmi (Albert)

Écrivain tunisien naturalisé français (Tunis 1920).

Issu d'une famille juive et enfant de « colonisés », il est révélé en 1953 par un roman autobiographique, la Statue de sel, préfacé par Albert Camus. Professeur de philosophie, directeur du laboratoire de psychologie de Tunis avant d'enseigner à l'École pratique des hautes études de Paris, placé au carrefour de trois cultures (arabe, juive et française), il analyse dans ses récits (Agar, 1955 ; le Scorpion ou la Confession imaginaire, 1969 ; le Désert, 1977) et ses essais (Portrait du colonisé, 1957 ; Portrait d'un juif, 1961-1966 ; l'Homme dominé, 1968 ; la Dépendance, 1979) les mécanismes du racisme et des rapports de dominance dans les sociétés, les couples, le travail, pour définir une « sociologie de l'oppression ». Depuis les années 1980, ses textes, sans abandonner cette thématique, se font plus ludiques et légers (le Mirliton du ciel, 1985 ; le Pharaon, 1988 ; Ah, quel bonheur, 1995 ; le Buveur et l'Amoureux, 1998 ; le Nomade immobile, 2000).

mémoires

Selon Jacques Lecarme, « il faut assurément, dans le principe, maintenir une opposition commode entre les Mémoires et l'autobiographie, les premiers concernant le monde, l'histoire et les autres, c'est-à-dire une certaine objectivité de l'événement, la seconde, le moi, ses sentiments, ses souvenirs, autant dire une subjectivisation radicale des faits ». Les Mémoires, au masculin pluriel, sont des « relations de faits pour servir à l'histoire », ce sont des memoranda, des mémorables, sorte de memento. En fait, les frontières entre ces « liasses » qui servent de dossiers et les mémoires d'une vie ne sont pas si infranchissables que cela. Genres voisins et rivaux, l'histoire, les Mémoires, l'autobiographie ne cessent de s'annexer. Saint-Simon n'écrit-il pas « des espèces de mémoires de ma vie, qui comprenaient tout ce qui a un rapport particulier à moi, et aussi un peu en général et superficiellement une espèce de relation des événements de ce temps, principalement des choses de la cour » ? L'action du moi l'emporte ici sur la rétrospective. Car les Mémoires supposent une sectorisation du moi : c'est comme duc que Saint-Simon écrit, c'est en homme de conquête du pouvoir que Retz écrit ses Mémoires. C'est sa position dans la Fronde qui autorise Madame de Montpensier à se faire mémorialiste, comme Madame de Motteville et Rohan. L'action politique agie par le narrateur est ce qui légitime l'écriture mémorialiste aristocratique. Au XVIIe siècle, les déçus de l'entreprise guerrière des princes – le plus célèbre étant La Rochefoucauld – écrivent leurs Mémoires depuis cette déception même, dans le congé de la disgrâce, en témoins privilégiés d'une époque révolue. Car les Mémoires sont toujours ceux d'un homme ou d'une femme, pris dans une action, un état singulier, où il est le porte-drapeau de son rang, de sa génération, de son époque, cédant au vertige de l'exemplarité.

Mena (Juan de)

Poète espagnol (Cordoue 1411 – Torrelaguna 1456).

Chroniqueur royal, il célèbre son ami, le marquis de Santillana, dans le Couronnement. Les 300 strophes de son allégorie poétique dédiée à Jean II, le Labyrinthe de la Fortune, inspirée de Lucain et de Dante, promènent le lecteur à travers sept cercles planétaires : histoire et anticipation s'y mêlent en un art raffiné qui unit la symbolique médiévale à la structure de la phrase latine.

Ménage (Gilles)

Écrivain français (Angers 1613 – Paris 1692).

Il fut à la fois un « docte » et un mondain : il fréquenta Mme de Rambouillet, Mme de Lafayette, Mme de Sévigné, et ses réunions du mercredi (les Mercuriales) décidaient du goût du jour. Il s'intéressa surtout à la langue (Requête des dictionnaires, 1649 ; les Origines de la langue française, 1650 ; Observations sur la langue française, 1672). D'esprit acéré, il fut de nombre de querelles littéraires (Menagiana, 1693-1715).

Ménandre

Poète comique grec (Athènes 342 – id. 292 av. J.-C.).

Élève de Théophraste, il mena une vie raffinée dans sa maison du Pirée et refusa les offres des monarques égyptiens et macédoniens qui l'invitaient à leurs cours. Sur les quelques 110 pièces qu'il a écrites, des papyrus découverts au XXe siècle ont restitué le texte complet du Dyscolos (en 1959) et des extraits importants de cinq autres. L'intrigue de ces pièces en cinq actes, sans chœurs, typique de la comédie nouvelle très romanesque (exposition d'enfants, viols, enlèvements, reconnaissances), marque le triomphe de la Fortune. L'analyse des caractères et l'expression des sentiments ont une place importante. Le comique est moins satirique ou burlesque que chez Aristophane. On attribue aussi à Ménandre un millier de sentences en un vers, ou monostiques. Son œuvre a influencé Plaute, Térence, le roman grec ancien, et était appréciée de Racine, de Molière ou de Goethe. On retiendra l'Arbitrage, dont il reste environ 600 vers (un esclave et un charbonnier se disputent les bijoux d'un enfant abandonné) ; la Chevelure coupée, environ 450 vers (une jeune fille, Glycère, que l'on soupçonne à tort d'une liaison avec un jeune homme, a la chevelure rasée, en punition) ; le Dyscolos ou l'Atrabilaire, dont le personnage principal, ancêtre du Misanthrope de Molière, est un bourgeois irritable qui a fui à la campagne ; et la Samienne, dont les fragments permettent de reconstituer une intrigue compliquée (un enfant élevé en secret par une Samienne est en réalité celui du jeune Moschos et de sa fiancée Plangon).

Ménard (Louis)

Savant et écrivain français (Paris 1822 – id. 1901).

De cet auteur éclectique, qui s'est intéressé à la science, à la linguistique (Science du langage, 1867), à l'histoire des religions (Hermès Trismégiste, 1866 ; Études sur les origines du christianisme, 1894) sans jamais négliger ses recherches poétiques (Poèmes, 1855 ; Fleurs de toutes saisons, 1877), on retiendra surtout les Rêveries d'un païen mystique (1876), qui tentent une synthèse du christianisme et du polythéisme antique, et firent de lui l'une des références des parnassiens.