Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (XVIe siècle)

Le XVIe s. voit se poursuivre en France un large mouvement de rénovation culturelle amorcé dès le siècle précédent à l'échelle européenne : l'humanisme. Celui-ci n'est toutefois pas immédiatement synonyme de renaissance du fait artistique et littéraire : c'est à la faveur de la progression de la Réforme et des crises religieuses que se renouvelleront les pratiques et les genres littéraires. Parallèlement, le changement des structures politiques et sociales ou encore les progrès de l'imprimerie contribuent à faire évoluer les modèles médiévaux, selon une chronologie spécifique pour chaque genre.

Conditions historiques et sociales de la vie littéraire

La Renaissance entre héritage et rupture

Le XVIe s. français connaît un double mouvement contradictoire dans la représentation qu'il se fait de sa propre identité culturelle et sociale. D'une part, il s'agit d'ancrer la genèse du royaume dans une histoire mythique et glorieuse, et de penser celui-ci en fonction d'une tradition qui remonterait jusqu'à la plus haute Antiquité. Ainsi se développe un mythe troyen des origines du royaume, vivace jusqu'à la Franciade de Ronsard, mais principalement activé par Jean Lemaire de Belges. Cette même volonté de rompre avec le Moyen Âge s'observe également par la conscience de vivre une rupture historique majeure, la « Renaissance », second phénomène intellectuel majeur qui contrebalance le recours à la Tradition et à la généalogie par une idée de rupture et de renouvellement, tout en venant le confirmer par sa capacité à reléguer la période précédente dans un oubli méprisant. Qu'il s'agisse de Hegel et des idéalistes allemands qui voyaient en elle une issue à la phase critique et négative du Moyen Âge, qu'il s'agisse de Burckhardt qui la considérait comme un point de bascule de la civilisation italienne où un nouvel esprit individualiste finit par s'imposer, ou encore de Michelet qui en fait une phase de libération des structures obscurantistes et aliénantes du Moyen Âge – « héroïque explosion d'une immense volonté » –, la conception globale de la Renaissance varie peu : ces représentations sont toutes fondées sur l'idée de réveil, c'est-à-dire d'un passage d'une période de léthargie – le Moyen Âge – à une période où la vie et la liberté de l'esprit s'imposent à nouveau.

   Mais avant d'être un objet d'étude forgé par le discours critique du XIXe s., la Renaissance est un terme qui apparaît sous la plume de Vasari dans ses Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes italiens (1550), et surtout une structure interprétative puissante dont on sent les effets dès le début du siècle avec l'avènement en France de l'humanisme. Même si les études récentes sur l'histoire des idées au Moyen Âge ont montré que cette période dite médiane avait en fait une activité culturelle de premier ordre qui avait déjà connu des renaissances internes, la redécouverte des textes antiques liée aux progrès de la philologie et de la diffusion imprimée a fait émerger une idée nouvelle de progrès radical sur lequel on ne pourrait revenir. La lettre de Gargantua à son fils (Pantagruel, VIII) est une des plus célèbres revendications de ce réveil intellectuel qui, s'il a souvent été exclusivement lié au quattrocento italien, a plus largement touché l'ensemble de l'Europe.

Les nouveaux moyens de la diffusion du savoir

Le renouvellement du système éducatif favorise cette renaissance culturelle. Aux treize universités du royaume viennent s'ajouter des collèges municipaux, dont l'essor brise le quasi-monopole de la transmission du savoir culturel par le système universitaire, lui-même dominé par la Faculté de théologie de Paris. Que ce soit au Collège de Guyenne d'André Gouvéa ou à celui de Strasbourg de Jean Sturm, de nouvelles générations d'humanistes et de lettrés sont formées. Parallèlement, des collèges émergent sous la direction de congrégations. Ainsi, les Jésuites ouvrent leur premier établissement en 1550, et – grâce à l'octroi de privilège pontificaux et royaux – finissent par compter trente-huit collèges en 1594. Mais l'institution la plus emblématique de la Renaissance est certainement le collège royal, fondé en 1530 par François Ier sous l'impulsion de G. Budé : il s'agissait de proposer plusieurs chaires de langues latine, grecque et hébraïque, ainsi que de mathématiques, aux plus grands spécialistes de l'époque sous la seule autorité du roi.

   Dans ce contexte de diversification des institutions culturelles, l'essor de l'imprimerie joue un rôle décisif. Le premier atelier s'installe en Sorbonne en 1469 et consacre Paris comme la capitale de l'imprimerie, suivie de près par Lyon, qui acquiert son premier équipement quatre ans plus tard et qui, même si elle produit en proportion trois fois moins d'éditions, ne publie pas moins de 2 500 impressions au cours des trois premières décennies. Jouissant d'un statut de plaque tournante économique liée à sa situation géographique et à ses foires, Lyon accueille des imprimeurs renommés tels que Jean de Tournes, Sébastien Gryphe ou Étienne Dolet. Ces derniers finissent par regrouper autour d'eux de véritables cénacles littéraires qui nourrissent la production littéraire du royaume au moment même où les progrès techniques de l'imprimerie ont permis de faire chuter le prix des ouvrages de près des deux tiers en un demi-siècle. Cette démocratisation de l'accès aux livres a bien sûr des retombées directes sur l'expansion de la vie littéraire.

La promotion de la langue française

L'affirmation de l'humanisme ne s'est pas effectuée au détriment de la langue vernaculaire. Si le vaste mouvement de redécouverte des textes antiques a fait valoir la nécessité de maîtriser le latin, le grec et l'hébreu, il a aussi mis en avant la corruption des sources liée aux langues utilisées dans les traditions textuelles médiévales. Langue des « pseudodialecticiens », le latin perd de son prestige, même s'il n'en demeure pas moins la langue usitée dans les cercles savants. L'esprit religieux animant le courant humaniste a aussi promu le français comme nouvelle langue apte à véhiculer la sainte Parole pour le plus grand nombre : diffuser les Écritures devient un enjeu majeur et, malgré les réticences de l'Église romaine, évangélistes et protestants ont adopté la langue du peuple comme le vecteur naturel et essentiel de l'expression religieuse. Dès lors, le français commence à être l'objet d'une normalisation : tout d'abord volonté d'uniformisation linguistique du royaume avec l'ordonnance de Villers-Cotterêts qui, en 1539, impose le français comme seul code utilisable dans les actes juridiques et administratifs, mais aussi codification progressive de la langue elle-même, dont Jean Lemaire de Belges avait célébré les glorieuses origines dans ses Illustrations des Gaules et singularitez de Troye (1511-1513). Peu à peu, grammaires et ouvrages lexicographiques tentent de venir fixer une langue profondément hétérogène et sans cohérence orthographique communément admise. Si, en fin de siècle, l'orthographe utilisée par les imprimeurs fait toujours tiquer certains auteurs tels que Montaigne, comme en témoignent les interventions de l'exemplaire de Bordeaux, la langue française a pris conscience de sa propre excellence et a fini par s'imposer, sans supplanter totalement le latin qui demeure usité par certains érudits, comme la langue propre à l'invention littéraire ; elle dispose même à partir de 1606 de son propre Thresor, grâce à l'entreprise lexicographique de Nicot. Une telle promotion a bien sûr été fort progressive, et s'est effectuée au confluent du nationalisme linguistique lié à l'affirmation de la monarchie et à une rivalité opposant la France à l'Italie, des théoriciens du langage, mais surtout des choix opérés par ses praticiens les plus renommés : de Marot à Du Bellay et à sa Deffence et Illustration de la langue françoyse (1549), de Rabelais, qui propose en ses romans de « nouveaux evangiles en françoys », à Montaigne, qui réclame une meilleure exploitation des virtualités ouvertes par le maniement de la langue vernaculaire, en passant par la célébration par Henri Estienne de la Precellence du langage françois (1579), ce sont les auteurs eux-mêmes qui ont établi définitivement la dignité littéraire du français.