Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
B

Bielyï (Boris Nikolaïevitch Bougaïev, dit Andreï)

Écrivain russe (Moscou 1880 – id. 1934).

Déchiré entre des influences très diverses (Nietzsche, Maeterlinck, O. Wilde, Soloviov, Rudolf Steiner), il devint le théoricien du second symbolisme (les Arabesques, 1911). Mais ses recherches formelles sont aussi à la source de l'esthétique futuriste et des études critiques des formalistes. Chklovski, en particulier, voyait dans ses Symphonies (1904-1908), recueil de prose rythmée, l'origine de la modernité en prose. Ses poèmes (Or sur Azur, 1904) reposent aussi sur des jeux de langage, mais il donne le meilleur de son œuvre avec ses romans, où se mêlent réel et irréel. La Colombe d'argent (1910) inaugure une trilogie au titre programmatique, Orient-Occident. Le héros est un intellectuel imprégné de culture européenne, à la recherche d'une nouvelle vérité ; il se laisse envoûter par les adeptes d'une secte mystique et orgiaque, les « Pigeons blancs », et après avoir essayé de fuir, il est assassiné. Le cadre du roman est la campagne russe, monotone et mystérieuse ; derrière les anecdotes, cocasses ou réalistes, on croit entendre le rire satanique et négateur de Gogol, dont l'influence sur l'auteur est indéniable. Le second volume de la trilogie, Pétersbourg (1914), est le chef-d'œuvre de Bielyï. L'auteur s'inspire du mythe de Saint-Pétersbourg pour évoquer le thème de la clandestinité, de la persécution. Un fils est chargé, par l'association révolutionnaire à laquelle il appartient, de tuer son père, sénateur ; il n'y est pas résolu, mais la bombe éclate, sans pourtant tuer le père. La ville est décrite comme un décor constructiviste, tout en formes géométriques, comme un univers absurde aussi. Le troisième roman de la trilogie (Moscou, 1926) est un échec. Rallié à la révolution (Christ est ressuscité, 1918), qu'il interprète comme l'héritage lointain des Scythes, Bielyï entreprend une autobiographie romancée, Kotik Letaïev (1918), récit de l'enfance d'un petit garçon, élevé dans un milieu cultivé, dont l'intelligence progressivement s'éveille. L'histoire, dépourvue d'intrigue, commence par les souvenirs du héros alors qu'il est dans le sein de sa mère et se développe sur deux plans, celui de la vie réelle et celui du psychisme qui apprend, d'expérience en expérience, à mettre de l'ordre dans le chaos des impressions. À partir des années 1920, Bielyï publie surtout des souvenirs et des Mémoires, de plus en plus amers (Mémoires d'un toqué, 1923).

Bierce (Ambrose Gwinnet)

Journaliste et écrivain américain (Meigs County, Ohio, 1842 – Mexico 1914).

Il collabora à l'Examiner de Randolph Hearst et devint l'autorité littéraire de l'Ouest. Son acuité d'esprit le rend habile à l'aphorisme cruel qui raille les mœurs contemporaines (le Dictionnaire du diable, 1906) et au jeu sur le macabre et le fantastique. Au cœur de la vie (1891) et De telles choses peuvent-elles arriver ? (1893), qui témoignent de l'influence de Poe et de Crane, font de lui un maître du réalisme (particulièrement dans l'évocation de la guerre de Sécession) et de l'horreur. Alliant le fantastique à la minutie du détail, il est un des précurseurs de la nouvelle américaine moderne.

Biermann (Wolf)

Poète et chansonnier allemand (Hambourg 1936).

Fils d'un communiste tué à Auschwitz, il choisit (1953) de s'installer en R.D.A. Dès1960, ses chansons attirent l'attention. En 1965, les autorités lui interdisent toute manifestation publique. En 1976, après un concert en R.F.A., il est déchu de sa nationalité est-allemande. Son expulsion déclenche une vague de protestations et d'exils chez les intellectuels de R.D.A. À l'Ouest, il se sent « exilé dans son pays natal », mais la réunification ne lui inspire ni nostalgie du communisme, ni admiration pour l'Occident. Son art de facture populaire le place dans la lignée de Villon, Heine et Brecht.

Bièvre (Georges François Maréchal, marquis de)

Écrivain français (Paris 1747 – Triesdorf, Bavière, 1789).

Auteur d'une pièce, le Séducteur (1783), qui fut comparée au Méchant de Gresset, il est surtout connu pour les nombreux calembours (il rédigea, en 1777, pour l'Encyclopédie l'article « kalembour ») qui émaillent ses œuvres (Lettre écrite à Mme la comtesse Tation par le sieur de Bois flotté, étudiant en droit fil, 1770 ; Vercingétorixe, 1770 ; les Amours de l'ange Lure et de la fée Lure, 1772). Ses bons mots sont réunis dans les Bievriana (1800).

Biga (Daniel)

Poète français (Nice 1940).

Il passe une enfance heureuse au plus près de la nature et fréquente à l'orée des années 1960 les artistes niçois, ses amis. Il apparaît comme le principal poète de Mai 68, mouvement qui représente à ses yeux le romantisme de la liberté et le vœu d'une sexualité affranchie, harmonieuse. Bréviaire d'une génération, Kilroy was here (1972) est une parole toute en cuts, en collages. Dans l'œuvre nombreuse de ce peintre des mots, asper sed liber, recueils et plaquettes aux reflets densément autobiographiques creusent le rapport à l'Être. Une approche de plus en plus religieuse, voire mystique, se décline (Détache-toi de ton cadavre, 1998) : tout est âme. La poésie n'est pas un jeu formel mais un rapport franc au monde et, d'un même élan, rivage de l'amour (des mots et des êtres). Né nu (1984), Biga est l'un des poètes les plus vrais de ce qu'il nomme lui-même le « vingtième siècle et demi ».

Bijns (Anna)

Poétesse anversoise d'expression néerlandaise (Anvers 1493 – id. 1575).

Ses poèmes « plus aigres que doux » se dressent contre la décadence morale et surtout contre la Réforme (Refrains, 1528 ; 1548 ; 1567). Plus touchants sont ses éloges de la Vierge et ses méditations sur la mort, de même que les Nouveaux Refrains, qui lui sont attribués par les éditeurs Jonckbloet et van Helten en 1886.

Bilac (Olavo Brás Martins dos Guimarães)

Poète brésilien (Rio de Janeiro 1865 – id. 1918).

Il fut, avec Machado de Assis, le plus grand poète parnassien brésilien (Poésies, 1888 ; le Soir, 1919).

Bildungsroman (roman de formation)

Ce terme allemand, avec ses variantes (Entwicklungsroman, Erziehungsroman, roman d'apprentissage ou d'éducation), désigne un type de récit où le personnage principal se « forme » et mûrit au contact du monde et par les expériences qu'il y vit. Le roman de formation ne part pas de l'idée de l'homme « fait » qui aurait à se confronter à un ordre figé (épique) sous la forme d'une épreuve, mais introduit la notion optimiste de devenir, tant pour l'individu que pour la société où il évolue : la vie est un champ d'expérience, une école qui modèle progressivement le héros et sa conception du monde. Sous divers aspects, le Bildungsroman décrit un itinéraire constant : « vocation » du héros qui vient de terminer son adolescence et doit développer ses possibilités (artistiques) d'abord par une rupture avec son existence antérieure (univers clos de la cellule familiale ; conflit de générations chez les romantiques), puis par un « voyage » (géographique, intérieur et initiatique), où les rencontres successives (le maître, l'amour) sont vécues comme un enrichissement, enfin, souvent par un retour aux lieux de départ qui permet de mesurer le chemin parcouru. Le Bildungsroman, dont on peut voir les prémices dans le roman baroque (Simplicius Simplicissimus de Grimmelshausen) et dans Tom Jones de Fielding, se développe en Allemagne surtout au XVIIIe s., puis chez les romantiques, et jusqu'à l'époque contemporaine. Il est toujours porteur de la vision du monde de son auteur, dont il reflète les idéaux : Agathon (Wieland), Wilhelm Meister (Goethe), qui reste le modèle du genre, Henri d'Ofterdingen (Novalis), Franz Sternbald (Tieck), Pressentiment et Présence (Eichendorff), l'Été de la Saint-Martin (Stifter), Henri le Vert (Keller), Peter Camenzind et le Jeu des perles de verre (Hesse), Jean-Christophe (R. Rolland). À la fin du Bildungsroman, le personnage, mûri par la « conquête cognitive de soi » (M. Brion), a trouvé sa juste place dans l'ordre du monde et la société de son temps.