Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
I

Isocrate

Orateur grec (Athènes 436 – 338 av. J.-C.).

Issu d'une riche famille athénienne, Isocrate suivit l'enseignement des sophistes. Ruiné à la fin de la guerre du Péloponnèse, il devint logographe, puis ouvrit une école de rhétorique vers 393. Sa « philosophia » mêle rhétorique et politique et l'oppose aussi bien à Platon et aux socratiques qu'aux maîtres d'éloquence du début du IVe siècle. Isocrate veut former par l'art de bien parler, lié à l'art de bien penser, à une sagesse de l'action, efficace dans la mouvance des circonstances, en ouvrant à l'histoire d'une culture humaine (Panégyrique, 380) qui est la source de la créativité. Outre six discours judiciaires, nous sont parvenus des discours fictifs, où l'auteur expose son programme (Contre les sophistes, v. 393), répond aux sophistes par des éloges paradoxaux (Busiris, Éloge d'Hélène) ou défend son idéal d'une Grèce unie, en s'adressant à Athènes, à Sparte ou à Philippe (Panégyrique, Aréopagitique, v. 355 ; Philippe, 346 ; Panathénaïque, 342-339). Sur l'échange (353), discours mixte, est un exemple de cette variété caractéristique, au même titre que sa prose qui rivalise avec la poésie, de l'art d'Isocrate.

Isou (Jean Isisdore Goldstein, dit Isidore)

Écrivain français d'origine roumaine (Botosçani, Roumanie, 1925 – Paris 2007).

Ce compatriote de Tzara publie en 1947 un manifeste d'avant-garde, Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique, qui fera de lui le fondateur du « lettrisme », mouvement qu'il animera avec Maurice Lemaître. « Poésie des lettres, non des mots », le lettrisme se définit par rapport au surréalisme et à ses précurseurs pour se placer sur le versant du signifiant. Dans la tradition des Grands Rhétoriqueurs, Isou exige de tout prendre et de tout donner à la lettre, unité première du langage. Le mot n'est alors plus porteur de sens mais véritable « morceau sonore » et fait de la poésie l'Initiation à la haute volupté (1960). Le projet de placer la lettre, phonème et graphème, au centre de tout, se prolonge dans la musique, reflet de la « créatique » (Concerto pour œil et oreille, 1984, ainsi que Tombeau de Pierre Larousse, poème musical de François Dufrêne, 1958), dans le théâtre (Fondements pour la transformation intégrale du théâtre, 1953-1970), dans la peinture (les Champs de force de la peinture lettriste, 1964) et le cinéma (Isou réalise quelques films expérimentaux, dont Traité de bave et d'éternité, 1951). Par la pratique du détournement et la critique virulente de ce que Guy Debord analysera plus tard comme « la société du spectacle », Isou donne à la subversion lettriste, au-delà du folklore des manifestes et de la violence polémique des happenings, une dimension sociale, économique et politique. Le lettrisme prépare ainsi le terrain au situationnisme autant qu'à l'Oulipo.

Issahakian (Avetik)

Poète arménien (Aleksandropol, auj. Gumri, 1875 – Erevan 1957).

D'abord consacré à des thèmes amoureux ou héroïques, son lyrisme d'inspiration populaire prend ensuite un accent désabusé, voire nihiliste, et adopte une forme plus recherchée dans Aboul Ala Mahari (1909-1911). L'indifférence du monde devant le génocide de 1915 accroît l'angoisse du poète en exil, qui finit par rallier l'Arménie soviétique en 1936, sans y trouver les conditions favorables pour achever son roman Maître Garo.

Ito Sei (Ito Hitoshi, dit)

Écrivain japonais (Hokkaido 1905 – Tokyo 1969).

En 1926, il publia à ses frais un recueil élégiaque : le Chemin éclairé par la neige. Co-traducteur de l'Ulysse de Joyce (1931-1934), il se fit le défenseur d'un « nouveau psychologisme ». Il illustra sa recherche avec un roman expérimental Narukami Senkichi (1946-1950), et dans des essais critiques (la Méthode du roman, 1948). La condamnation par la justice de l'obscénité de sa traduction de l'Amant de lady Chatterley fit de lui, au début des années 1950, une figure polémique de la liberté d'expression. Il devait poursuivre une œuvre abondante, dont l'Inondation (1958) et une monumentale Histoire des cercles littéraires japonais en 18 volumes, qu'il avait entreprise à partir de 1952 et qui parut quatre ans après sa mort.

Ivanov (Viatcheslav Ivanovitch)

Philosophe, philologue et écrivain russe (Moscou 1866 – Rome 1949).

Élevé, après la mort de son père, par une mère mystique, Ivanov fut toujours imprégné du sentiment religieux, dont le renouveau joua un rôle si important dans les lettres russes au tournant des XIXe et XXe siècles. Personnalité éminente du symbolisme, il fut aussi un érudit hors pair : ayant acquis une formation classique solide en Allemagne, il eut à cœur d'explorer « l'âme hellénique » : il s'est particulièrement intéressé au culte de Dionysos, auquel il a consacré une thèse importante. Dans les Étoiles pilotes, son premier volume de vers (1903), Transparence (1904), Eros (1907) et Cor ardens (1909), Ivanov révèle une virtuosité technique, mais aussi un univers chargé de réminiscences antiques, une langue riche en archaïsmes et en subtilités grammaticales, qui font de ces recueils des œuvres importantes du symbolisme. Dans son appartement (la « tour ») de Saint-Pétersbourg, il joua le rôle de maître spirituel pour plusieurs générations de jeunes poètes, pas seulement symbolistes. La révolution lui apparaît comme le triomphe du matérialisme. Il émigre en 1924, pour « mourir à Rome ».

Ivanov (Vsievolod Viatcheslavovitch)

Écrivain russe (Lebiajie 1895 – Moscou 1963).

Né en Sibérie, qu'il a parcourue en tous sens, il est remarqué par Gorki, qui publie ses premiers récits, les Partisans (1921), Train blindé 14/69 (1922), consacrés à la guerre civile en Sibérie – à laquelle il a pris part et qu'il évoque sans en dissimuler les atrocités, dans un style haut en couleur. Après son Retour de Boudha (1923), récit d'un voyage en Mongolie au cours duquel un vieux professeur de Petrograd connaît une seconde naissance, Ivanov écrit des récits où il sonde la face sombre des mœurs de province et de l'âme rurale (le Secret suprême, 1927 ; la Villa, 1928). Il entreprend un roman, le Kremlin (1930), qu'il préfère ne pas publier car il contient des critiques trop claires du régime soviétique. De même, Ou, roman à l'écriture baroque, est publié à l'étranger (1935). En U.R.S.S., outre des romans « officiels », il publie des récits autobiographiques (les Aventures d'un fakir, 1934-1935 ; Nous allons en Inde, 1957) qui déplaisent : l'écriture, ludique et échevelée, prend ses distances avec le traditionnel récit d'éducation. Ses récits « fantastiques », écrits dans les années 1940, ne paraissent qu'après sa mort : la Lampe de cuivre (1963), Sisyphe, fils d'Éole (1964) attestent un sens de l'imaginaire parfois subversif ; le Sanctuaire d'Édesse (1964-1965) développe le thème de l'artiste et du pouvoir, qui resurgit aussi dans un roman resté longtemps inédit (le Volcan, 1966).