Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Jouve (Pierre Jean)

Écrivain français (Arras 1887 – Paris 1976).

Venu à la poésie après la lecture de Baudelaire et de Mallarmé, d'abord symboliste, il chercha sa voie dans l'enthousiasme et la générosité du groupe de l'Abbaye, de l'Effort libre et de l'unanimisme : tendances spirituelles et tentations littéraires (Vous êtes des hommes, 1915 ; Danse des morts, 1917 ; Tragiques, 1922) qu'il reniera à partir de 1924. L'épreuve de la maladie, un divorce, la découverte de la psychanalyse (sa seconde femme, Blanche Reverchon, psychiatre, fut l'une des premières traductrices de Freud) inaugurent alors une désespérance qui est appel du salut : la pulsion de mort qui taraude à la fois l'individu et l'humanité (la Scène capitale, 1935-1961, dont les tragiques « histoires sanglantes » racontent le désir contrarié et déclinent le spectre des perversions) ne peut être dominée qu'en mettant ses pas dans ceux de Jésus au Golgotha (Paradis perdu, 1929). Péché, mort et souffrance doivent être assumés en pleine lucidité par le poète, destiné à incarner l'énigme du mal et de la rédemption. Noces (1931) présente ainsi un clair-obscur du monde et sa transcription lumineuse en des poèmes méditatifs emprunts du désir de la chair et soucieux de leur réussite en tant que prière qui donne enfin le vrai corps quand l'amour est blessure. La transparence du verbe croise l'opacité de la chair, avant l'accomplissement de Sueur de sang (1933-1935), où le poète convoque les termes les plus crus et les unit aux termes les plus élevés dans une volonté de dévoiler le « fond terrible », de mettre en acte le « mystère de la sublimation », suivant le principe d'une dynamique où la poésie se veut « véhicule interne de l'amour » et mise en acte de la « belle puissance érotique humaine ». Qu'elle se tourne vers ses intercesseurs esthétiques – Rimbaud, Nerval, Baudelaire (Défense et Illustration, 1946), les métaphysiques anglais ou Hölderlin (qu'il traduit, en 1930, avec P. Klossowski), la musique de Mozart (le Don Juan de Mozart, 1942) ou d'Alban Berg – ou qu'elle s'engage dans la nouvelle « catastrophe » de la Seconde Guerre mondiale (la Vierge de Paris, 1946), l'œuvre de Jouve, en vers (Diadème, 1949 ; Lyrique, 1956 ; Inventions, 1958 ; Moires, 1962 ; Ténèbre, 1965) ou en prose (En miroir, 1954), tente d'élever toute « rencontre » à la dimension du mythe : « poétique » qui prend paradoxalement toute sa forme et sa force dans ses romans : Paulina 1880 (1925), histoire d'une jeune femme déchirée entre la foi et la volupté, le Monde désert (1927), récit d'une naissance à la poésie, Hécate (1928) et Vagadu (1931), inspirés de l'expérience psychanalytique et réunis en 1947 dans l'Aventure de Catherine Crachat.

Jouveau (René)

Écrivain français d'expression française et provençale (Arles 1906 – Aix-en-Provence 1997).

Fils du capoulié Marius Jouveau, il devint professeur de lettres, vouant sa vie à la Provence et au félibrige. Fondateur et président du groupement d'études provençales (G.E.P.), directeur de la revue Fe, collaborateur de nombreux périodiques, il présida le félibrige de 1971 à 1982. Son œuvre est variée, allant de l'étude littéraire (Aspects de Mistral, 1932) à la pastorale (La bello niue [la Belle Nuit], 1995) en passant par le théâtre (Lou presounié [le Prisonnier], 1944 ; Bastian dins l'isclo [Bastien dans l'île]), le conte (La raubo bóumiano [la Robe bohémienne], 1986) et la poésie (La cansoun de l'agnèu blanc [la Chanson de l'agneau blanc], 1971). On lui doit aussi une précieuse Histoire du félibrige en 4 volumes. Homme de goût, esthète nourri de classicisme latin, Jouveau est un fin connaisseur de sa terre natale.

Jouy (Victor Joseph Étienne, dit de)

Écrivain français (Jouy-en-Josas 1764 – Saint-Germain-en-Laye 1846).

Selon son propre aveu, « rival heureux de Sterne» et « émule d'Addison », il eut l'esprit de créer le personnage de « l'Hermite », observateur ironique des mœurs contemporaines (l'Hermite de la Chaussée d'Antin,1812-1814 ; l'Hermite de la Guyane,1816 ; l'Hermite en province, 1824). Document pittoresque sur une époque qui s'y reconnut et lui fit un étonnant succès, l'ouvrage annonce la peinture balzacienne du petit peuple et des mentalités urbaines.

Jovellanos (Gaspar Melchor de)

Homme d'État et écrivain espagnol (Gijón 1744 – Vega 1811).

Poète, dramaturge (Pélage, 1769 ; l'Honnête Délinquant, 1773), porte-parole des Lumières hispaniques, il étudia les problèmes socio-économiques (Rapport sur la loi agraire, 1795) et se fit le champion d'une justice plus humaine. Adversaire des afrancesados, partisans de Napoléon en 1808, il composa des satires contre la décadence de la société de son temps, des poésies et un Journal (1790-1801, publié en 1915).

Jovine (Francesco)

Écrivain italien (Guardialfera, Campobasso, 1902 – Rome 1950).

Ses romans (Madame Ava, 1942 ; les Terres du Saint-Sacrement, 1950) décrivent l'aspect politique, social et mythique du Molise, annonçant ainsi le néoréalisme méridional.

Jovkov (Jordan)

Écrivain bulgare (Zeravna 1880 – Plovdiv 1937).

Même après l'expérience de la guerre (1912-1918), il a gardé intacte sa confiance dans l'avenir de l'homme et dans la mission de l'écrivain. C'est là probablement un des secrets de la magie de ses nouvelles et romans, peu originaux dans le choix de leurs sujets (la vie et les passions des habitants de la Dobroudja, l'histoire récente ou plus ancienne), mais traversés par une spiritualité qui transfigure et le cadre et le rythme du récit (le Moissonneur, 1920 ; Soirées à l'auberge d'Antimovo, 1928). Ses Légendes de la Stara Planina (1928) évoquent le passé de son pays à travers de grandes figures, comme celle du voïvode Indze, des personnages farouches et cruels mais que rachète un acte d'amour ou de bonté.

Joyce (James)

Écrivain irlandais (Dublin 1882 – Zurich 1941).

Il connaît une enfance humiliée entre un père ivrogne et une mère bigote à qui il refusera le simulacre d'une conversion qui eût adouci sa mort. Pour ne pas leur ressembler, il s'intellectualise et, au collège jésuite puis à l'université, il joue les dandys arrogants, féru de préciosités théologiques qui maintiennent à distance la peur réelle des mots, des actes et de l'enfer. Il repousse la cause nationale : l'Irlande a trahi son héros, Parnell. Elle est « une truie qui dévore ses petits ». Fasciné par la puissance morale et artistique d'Ibsen, il ne croit pas à la valeur réformatrice de l'art, dont la perfection formelle n'a de sens que comme magie intime ; il s'agit d'assurer la continuité du vécu et que rien n'arrive qui ne puisse trouver place dans l'œuvre.

« Dedalus » (1901-1916)

Publié à titre posthume en 1944, Stephen le héros était à l'origine une vaste entreprise autobiographique, commencée en 1901 et détruite en partie en 1906. Elle sera reprise sous la forme, plus concentrée, de Portrait de l'artiste jeune par lui-même (1916). Dans ces romans de formation, Joyce s'invente un double, Stephen Dedalus, par allusion au père d'Icare, architecte du labyrinthe. Le jeune écrivain échappe au labyrinthe de la pesanteur charnelle et spirituelle. C'est le récit de la prise de conscience d'une personnalité, d'une liberté et d'une esthétique, relatée dans une perspective réaliste : la triple opposition à la famille et à sa mesquinerie, à l'Église et au piège de l'éducation jésuite, enfin à l'absurde politique irlandaise et à la veulerie d'une nation qui piétine ses grands hommes (Parnell). Rebelle industrieux, se plaçant sous l'invocation de l'« antique ancêtre », l'artiste quitte sa famille, l'Église et l'Irlande, pour forger son œuvre, dans « le silence, l'exil et la ruse ». C'est aussi l'aventure d'une écriture placée sous le double signe du désir de totalité et de l'inévitable exil.

Exil : poésie, nouvelles, théâtre

Paris (1902), Dublin (où il s'attache Nora chez qui, Pygmalion malheureux, il ne rencontrera que passivité et dédain et qu'il n'épousera que des années plus tard), Trieste (1906), Zurich (1914, non loin de Lénine, de Jung et du mouvement Dada), Paris (1920), Zurich encore (1939), sont les lieux d'exil où, jumeau de son père, il parasitera allègrement ses admirateurs et son frère, tout en se consacrant à sa tâche d'écrivain. De poèmes un peu frêles (Musique de chambre, 1907), il passe à des nouvelles réalistes pétries de compassion (Gens de Dublin, 1914). Le style de la misère, matérielle et spirituelle, un ton tchékhovien, et la brutalité des « épiphanies », une aspiration à la vraie vie et au sens flotte sur la ville désolée – il apprend à s'effacer. Les Exilés, drame en trois actes (créé à Munich en 1918), règle la tentation la plus vive : celle d'être trompé. Richard pousse son jeune disciple Robert dans les bras de son épouse Bertha. Triple sacrifice qui rénove les rites courtois : la fraternité sado-masochiste fait de la femme partagée le lien charnel et mystique entre amis ; Richard règne par le sacrifice ; Bertha, paralysée par la vigilante absence de son époux et les scrupules de son amant, se dérobe. Contre le spectre de la fidélité, l'amère volupté de la trahison.