Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Grèce (suite)

La période classique

Le Ve siècle est celui de la littérature classique. C'est alors que se constituent des genres littéraires fondamentaux, théâtre, histoire, éloquence et philosophie. Athènes, qui, au cours des guerres médiques, a pris la tête des Grecs dans le combat pour la liberté commune, impose sa suprématie. Et c'est là que se crée le théâtre classique, illustré par les tragiques Eschyle, Sophocle et Euripide, par le comique Aristophane. Quelles que soient ses origines, encore controversées, le théâtre est intégré à la vie religieuse de la cité, comme une forme particulière des rites dionysiaques. C'est aussi une manifestation de la vie collective : les représentations, organisées par les autorités dans le cadre de concours, sont suivies par tous les citoyens. Regroupées à l'origine en trilogies, les tragédies, qui traitent surtout de sujets mythiques d'intérêt actuel, alternent expression parlée et chant lyrique : les dialogues et les discours des acteurs sont scandés par les interventions du chœur, qui, suivant des règles rythmiques strictes, commentent l'action, critiquent ou conseillent les personnages ; miroir réfléchissant les luttes où sont engagés les acteurs, le chœur dégage le sens humain du mythe. Nous ne connaissons qu'une trentaine des 1 200 tragédies représentées en Grèce au Ve s., et les trois auteurs connus correspondent à trois étapes de l'art dramatique. Eschyle, fondateur du genre, met en scène, par le mythe et dans un style noble et spectaculaire, l'établissement d'un nouvel ordre humain et religieux, lourd d'angoisse et d'espoir, dont il est le contemporain. Sophocle, avec sobriété, mais par des intrigues complexes et contrastées, représente des personnalités héroïques en proie à un destin pesant. Euripide, moins reconnu en son temps, influencé par les philosophes, met en scène les passions humaines, dans un monde où les dieux sont incompréhensibles.

   Issue, comme la tragédie, du culte de Dionysos, la comédie ancienne, fantastique et burlesque, trouve dans la démocratie athénienne le terrain propice à sa bouffonnerie satirique, et, dans l'actualité politique, Cratinos, Eupolis ou Aristophane puisent l'inspiration d'une dramaturgie de combat.

   La vie de la cité inspire les développements de la prose. Le pouvoir, politique ou judiciaire, passe par les discours. L'originalité de la Grèce est de n'avoir pas séparé philosophie (Platon, Aristote) et éloquence (Gorgias, Isocrate), soit qu'elles s'unissent dans la recherche d'une commune vérité, soit qu'elles se définissent par leur tension, la première cherchant la voie droite dans le monde des Idées, l'autre – lieu de la ruse, de la métis – jouant de tous les compromis dans l'univers quotidien (les sophistes). De ces réflexions est né l'art de la rhétorique : pouvoir rassembler les arguments capables de convaincre l'auditoire et les présenter de manière irréfutable, c'est ce qu'empruntèrent à la virtuosité et à la subtilité des sophistes les orateurs « attiques », que leurs talents s'exercent pour défendre ou pour accuser en justice, tels Lysias, ou que leur éloquence trouve dans l'engagement politique sa plus haute expression, comme Démosthène ou Eschine. Chez les citoyens athéniens, le pouvoir appartient à qui se dote de la force de persuasion.

   Les œuvres historiques des Ve et IVe s. témoignent aussi du rôle capital attribué au langage et à la raison. Si Hérodote poursuit son enquête ethnographique dans les marges du mythe, Thucydide s'efforce de définir les critères de l'histoire, surtout contemporaine, qui en fassent un « trésor pour toujours ». L'œuvre historique ne se borne pas au récit des événements, dont le déroulement est soumis à une analyse critique, elle sert de leçon, et c'est encore par le biais de la rhétorique, et des nombreux discours fictifs intégrés dans le cours de l'action, qu'elle acquiert sa portée politique et morale.

L'époque hellénistique

Au IIIe s., à la suite des conquêtes d'Alexandre et de la constitution des monarchies hellénistiques, Athènes perd son monopole intellectuel. La capitale de l'Attique n'est pas dépossédée de son prestige : les auteurs comiques, comme Ménandre, y demeurent et, sur les collines de la ville, les écoles philosophiques trouvent un asile dans les jardins qui leur donnent leur nom – l'Académie platonicienne, le Lycée aristotélicien (Théophraste) ou le Jardin d'Épicure. Cependant, l'importance d'Alexandrie ne cessera de croître : sous la protection des Ptolémées, sa bibliothèque, où furent rassemblées toutes les œuvres écrites en grec, devint un conservatoire de la pensée et de l'art, et, dans le Musée, écrivains et savants étaient entretenus aux frais de l'État. L'activité culturelle d'Alexandrie, l'alexandrinisme, se place sous le signe de l'érudition. L'étude technique des manuscrits (Zénodote, Callimaque, Aristophane de Byzance, Aristarque) se développe, avec la tradition des scholies, notes critiques ou grammaticales sur des textes anciens, et l'établissement du « canon d'Alexandrie », liste des écrivains considérés comme les modèles de chaque genre. À l'image de cette littérature de philologues, de grammairiens (Denys le Thrace), d'historiens, de géographes (Ératosthène), la poésie alexandrine est œuvre de savants et les références constantes à la littérature antérieure s'allient à la virtuosité et à la subtilité : élégies et hymnes de Callimaque, épopées d'Apollonios de Rhodes, poésie didactique d'Aratos ou petites scènes de genre, comme les idylles de Théocrite ou les mimes d'Hérondas. Avec la nouvelle situation politique, l'éloquence et l'histoire se font plus techniques, et la fiction romanesque connaît ses premiers feux.

La période romaine

Pendant la période romaine, la culture grecque reste un modèle : c'est dans les écoles grecques que les jeunes patriciens ou les hommes nouveaux (Cicéron) apprennent à réfléchir et à s'exprimer, et la Grèce fournit à Rome l'essentiel de son bagage philosophique, ses réflexions sur l'éloquence civique, ses références poétiques et ses débats sur le style. En contact constant, la littérature latine et la littérature grecque (parfois au service de la première, chez Polybe ou Denys d'Halicarnasse), dans les premiers siècles de notre ère, entretiennent des rapports riches et complexes, parfois tendus, tout en développant chacune son originalité. Dans la culture grecque d'alors, la poésie ne tient plus le premier rang, malgré les beautés de l'épigramme : après des figures marquantes et prolixes comme Plutarque et Dion de Pruse, c'est le triomphe de la rhétorique (la « seconde sophistique », avec Aelius Aristide) et le plein épanouissement du stoïcisme d'expression grecque et du néoplatonisme (Épictète, Marc Aurèle, Plotin, Jamblique) ; la figure de Lucien, rhéteur philosophe, représente bien cette époque faite de débats vigoureux, éloquents, et d'un puissant désir de savoir et de dire que confirment à la fois l'encyclopédisme (Galien, Athénée, Philostrate, Pausanias, Dion Cassius, Arrien) et la vogue du roman (Héliodore, Longus). Ensuite, dans l'antiquité tardive, c'est, à première vue de façon paradoxale, chez les auteurs chrétiens, formés à l'école grecque, que se déploient la persuasion et la controverse, le récit argumenté et l'exégèse, chez Clément d'Alexandrie, Origène, Eusèbe de Césarée, Justin, Basile ou Jean Chrysostome. Les premiers textes chrétiens, le Nouveau Testament, les Lettres de Paul ou l'Apocalypse de Jean sont également grecs.

   Il n'est pas possible d'évoquer ici l'influence de la littérature grecque ancienne sur la culture des époques suivantes ; à titre d'exemple, de manière très incomplète, on citera l'aristotélisme médiéval, l'humanisme renaissant, la Pléiade, le classicisme, le roman baroque, le romantisme allemand, l'éloquence révolutionnaire, etc., jusqu'à James Joyce ou René Char. Chaque époque compose sa propre littérature grecque ancienne, pour, à la fois, en faire un modèle et se construire en s'y opposant.

Les grands genres dans la Grèce ancienne

L'épopée

Le genre épique est d'abord représenté par les deux épopées homériques, l'Iliade et l'Odyssée ; mais à côté de ces deux poèmes, le « Cycle » épique réunit des épopées traitant de la légende troyenne dans son ensemble ou de la légende thébaine : ce sont la Titanomachie, l'Éthiopide, qui conte les combats d'Achille contre Penthésilée et contre Memnon, les Chants cypriens, la Petite Iliade et le Sac de Troie, les Nostoi ou Retours, qui ont pour sujet le retour des héros grecs, la Télégonie, suite de l'Odyssée, qui relate la mort d'Ulysse, tué par Télégonos, le fils qu'il avait eu avec Circé, qui tue son père sans le savoir, et, pour le cycle thébain, l'Œdipodie, la Thébaïde et les Épigones. Ces épopées perdues eurent une grande influence sur les auteurs postérieurs, notamment sur Euripide. La langue de l'épopée homérique et l'hexamètre se retrouvent dans les Hymnes homériques, dont la composition s'échelonne du VIIe s. à une date sans doute récente, dans la poésie didactique d'Hésiode et dans les œuvres qui lui étaient attribuées, le Catalogue des Femmes ou Ehées et le Bouclier (VIe s. av. J.-C.). On n'a conservé que des fragments des poètes épiques du VIe siècle qui n'appartiennent pas au Cycle et de ceux de l'époque classique (Panyassis, Antimaque de Colophon). Le genre épique a donné lieu à des parodies, comme le Margitès, attribué à Homère, que connaissent Platon et Aristote ; la Batrachomyomachie (Combat des grenouilles et des rats) semble appartenir plutôt à l'époque hellénistique. À cette époque, les poètes donnent en hexamètres des pièces diverses ; l'Hécalè de Callimaque raconte la victoire de Thésée sur le taureau de Marathon et décrit la nuit passée auparavant par le héros chez la vieille Hécalè ; elle a été définie comme une « épopée miniature » (épyllion) et s'écarte d'Homère aussi bien par sa construction que par ses thèmes. D'Apollonios de Rhodes (IIIe s. av. J.-C.) nous sont parvenus les Argonautiques, qui ont pour sujet l'aventure de Jason et des Argonautes ; ce poème savant en 4 chants, aux tons variés, à la construction complexe, marque la distance qui sépare son auteur d'Homère jusque dans les échos qu'il fait sonner. Les Phénomènes d'Aratos font quant à eux écho à Hésiode, en alliant science et poésie, comme ceux de Nicandre (IIe s. ?). C'est ensuite beaucoup plus tard, du IIIe au VIe s. apr. J.-C., que l'on trouve, après les poèmes didactiques des siècles précédents et des épopées perdues, des poèmes épiques d'inspirations diverses. Nous avons ainsi conservé la Suite d'Homère de Quintus de Smyrne (14 chants), récits des événements qui se situaient entre l'Iliade et l'Odyssée, les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis (48 chants), empreints de piété, la Prise de Troie de Triphiodore de Panopolis, des Argonautiques orphiques, l'Enlèvement d'Hélène de Collouthos, épyllion, et le poème de Musée (VIe s.), Héro et Léandre. Autant de textes qui attestent de la variété du genre à l'époque tardive.