Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
H

hébraïque (littérature) (suite)

La littérature d'un nouvel État

Après la création de l'État, les valeurs du kibboutz ne résistent pas à la confrontation avec la nouvelle société urbaine. Cette déception idéologique engendre le désir de jeter d'autres bases pour une existence individuelle. Le « Nous » fait place au « Moi », le héros à l'antihéros de la nouvelle réalité. La confession de Pinchas Sadé (la Parabole de la vie) souligne l'importance de l'homme, à la recherche de Dieu et de lui-même. Moshé Shamir, à travers des personnages historiques, exprime la déception qu'il ressent à l'égard d'un État qui n'est pas exempt de corruption (Un roi de chair et de sang, la Brebis du pauvre).

   Si, dans les années 1950-1960, qui connaissent les grandes vagues d'immigration, la plupart des auteurs appartenant à la génération de la guerre d'Indépendance continuent à écrire, c'est d'une manière à la fois plus individualiste et plus ouverte aux littératures du monde occidental. A. B. Yehoshua, dans des nouvelles à l'atmosphère surréaliste, révèle chez ses personnages un désir de destruction et de mort (le Voyage nocturne de Yatir, la Mort du vieillard). Yoram Kaniuk caricature le « Nouvel Israélien » (Celui qui descend en haut, l'Histoire de la grande tante Shlomtsion). Amos Oz paraît fasciné par le mal, la faiblesse et la laideur, dans une société qui avait fondé l'éducation sur des valeurs positives (les Pays du chacal, Ailleurs peut-être, la Colline du mauvais conseil). Amalia Kahana-Carmon, qui use de la technique du « courant de conscience », met en scène des êtres solitaires, qui ne réussissent pas à communiquer (Dans un même panier, Et la lune sur la vallée d'Ayalon, Champs magnétiques).

   D'autres, pleins de nostalgie pour le monde de l'enfance, partent en quête de leurs racines dans un univers qui s'écroule : Dunes d'or de Binyamin Tammuz, le Hibou de Nissim Aloni, la Rue des marches de Judith Hendel, De qui es-tu l'enfant ? de Hanoch Bartov. David Shahar, à la recherche du temps perdu dans la Jérusalem du mandat britannique, s'interroge sur l'énigme de la vie et l'existence de Dieu dans un monde d'illusions et de chimères (le Palais des vases brisés).

   Les poètes Nathan Zach, David Avidan, Yehuda Amichai se révoltent à leur tour contre la génération précédente dont Alterman est à leurs yeux le chef de file. Refusant les métaphores trop élaborées, la rhétorique et le pathos de leurs prédécesseurs, ils préfèrent des images simples puisées dans la vie quotidienne : ils emploient un hébreu parlé, parfois vulgaire et renoncent le plus souvent au mètre et aux rimes. D'autres comme Amir Gilboa, Nathan Yonathan, Dalia Ravikovitch, Touvia Rivner, Ozer Rabin, Yaïr Hurvitz, Meïr Wieseltir continuent au contraire dans la voie de Shlonsky. Aharon Shabtaï qui à ses débuts se plaçait dans la lignée dite « classique » est devenu de plus en plus rénovateur. D'autres poètes, souvent de grand talent essaient de développer eux aussi de nouveaux modèles : Hési Laskaly, Alon Altaras, Maya Bejerano.

   Au théâtre également on assiste à une volonté de s'orienter dans de nouvelles voies : Nissim Aloni, Hanoch Levin, Yehoshua Sobol, Hillel Mittelpunkt portent à la scène une langue moderne et une diction au goût du jour. S'interrogeant sur l'homme et son existence, ils ne négligent pas pour autant les problèmes spécifiquement israéliens, dont ils traitent parfois sur le mode satirique.

   Vingt ans après la création de l'État, les écrivains tentent de mesurer le chemin parcouru. La « guerre des Six-Jours », la « guerre d'usure » ont imprimé leur sceau sur cette génération. Les fondateurs de l'État d'Israël avaient délibérément rejeté 2000 ans d'histoire et refusé l'image du Juif de la Diaspora et sa culture, qu'ils identifiaient avec les sources rabbiniques traditionnelles : c'est en se fondant uniquement sur la Bible qu'ils voulaient créer une nouvelle culture hébraïque. Or, cette génération se sent détentrice d'une culture appauvrie et on assiste à une volonté de combler ce vide et de rechercher « le vin contenu dans les vieilles outres », phénomène qu'on a appelé le « néojudaïsme ».

   Les années 1970, marquées par la guerre du Kippour, qui ébranle le pays et la confiance de ses citoyens, fournissent des œuvres empreintes du choc de la guerre et révèlent des auteurs qui s'interrogent sur le caractère de leur identité nationale : Yitzhak Ben Ner, Yaakov Shavit, Yaakov Shabtai, David Schutz. Des écrivains marqués par leur appartenance à la communauté séfarade se font davantage connaître. Amnon Shamosh célèbre sa communauté d'Alep dispersée à travers le monde ou immigrée en Israël, Sami Michaël, pour sa part, s'attache à sa communauté irakienne. À la veille des années 80, Haïm Beer suscite un grand intérêt par son roman Plumes dont la toile de fond est la Jérusalem de son enfance.

Perspectives contemporaines

Ce thème est également présent dans des œuvres publiées durant les vingt dernières années du XXe siècle. Haïm Beer, lui-même, publie le Pur Élément du temps en 1998. Citons également Etgar Keret et David Grossman, qui confrontent le monde des enfants et adolescents au monde des adultes. Grossman, dans son roman Voir ci-dessous, amour, greffe sur l'univers de l'enfant celui des rescapés de la Shoa. De nombreux écrivains, plus de cinquante ans après la fin de la guerre, sont encore hantés par cette page tragique de l'histoire du peuple juif. Aharon Appelfeld poursuit sans relâche son œuvre consacrée au Génocide et ses récits prennent parfois une forme plus réaliste (Histoire d'une vie, 1999). Des écrivains tels Grossman, Itamar Lévy, Savyon Liebrecht, Léa Eini qui n'ont pas vécu la Shoa font des rescapés leurs personnages principaux.

   Les femmes prennent une place de plus en plus prépondérante parmi les écrivains. Certaines s'essaient aux romans policiers comme Batya Gour et Shulamit Lapid, d'autres renouvellent le roman et la nouvelle, aussi bien sur le plan thématique que stylistique, détruisant les conventions littéraires. Zeruya Shalev, Orly Castel-Bloom, Alona Kimhi sont de jeunes femmes qui, avec quelques-uns de leurs homologues hommes, laissent à leurs aînés le soin de traiter de conflits nationaux et politiques pour s'intéresser aux drames personnels. C'est, en effet, l'individu confronté aux angoisses de l'existence qui est au centre de leur récit. Mais une littérature, qu'on peut qualifier de communautaire, s'attache à brosser des tableaux, parfois teints de nostalgie, non pas d'individus mais plutôt de groupes ethniques. Quelques-uns se consacrent aux communautés ashkénazes (G. Avigur-Rotem, Yoël Hoffman), d'autres tels Dan Benaya Seri, Dorit Rabinyan, aux communautés séfarades en Israël ou en Diaspora.

   Ce renouveau de la littérature de la jeune génération ne doit pas occulter le rôle majeur joué par des écrivains confirmés, tels A. B. Yehoshua et Amos Oz, qui enrichissent régulièrement la littérature israélienne d'œuvres centrées sur l'individu mais ancrées dans une réalité politique et sociale spécifique. Citons respectivement la Fiancée libératrice (2001) et une Histoire d'amour et d'obscurité (2002).

   Ainsi, la littérature hébraïque moderne est profondément marquée par les événements historiques qui jalonnent depuis un siècle son histoire : elle s'en fait tout à la fois l'écho, le témoin et le catalyseur. Mais, par la diversité de ses thèmes et l'originalité de son approche, cette littérature dépasse largement le cadre de l'histoire juive pour atteindre à l'universel.