Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
S

sundanaise (littérature)

La population sundanaise de Java-Ouest forme un groupe ethnique et linguistique distinct de l'ensemble javanais. Le pays Sunda a constitué, vers l'an mille, un royaume indépendant avant d'être intégré au royaume préislamique de Pajajaran. La littérature de langue sundanaise, importante par sa quantité et sa qualité, a d'abord été représentée par une tradition orale dans laquelle le pantun (distinct du pantun malais et appelé paparikan en sundanais) était le genre poétique prédominant. Récités au cours de la nuit par des conteurs qui s'accompagnaient d'une sorte de cithare, les pantuns sundanais relatent généralement les aventures des princes de Pajajaran. Les mantra (formules magiques) et les syair – qui attestent des liens avec l'islam – sont les deux autres formes poétiques méritant mention. La prose est représentée par les histoires de Si Kabayan, les mythologies (dont celle de Sang Kuriang), les fables et le théâtre de marionnettes (wayang golek).

   Les plus anciens textes écrits (Carita Parahiangan et Carita Waruga Guru) ont été fixés, sans doute entre 1705 et 1709, en caractères sundanais. La plupart des autres textes ont été notés soit en caractères javanais ou arabes – il s'agit alors de wawacan (récits en vers) d'influence javanaise glorifiant les souverains, les princes et les grands personnages –, soit, plus récemment, en caractères latins.

   L'époque moderne (début du XXe s.) s'ouvre, sous l'influence occidentale, au roman qui dépeint la vie quotidienne et place le petit peuple au premier rang. Daeng Kanduruan Ardiwinata, qui inaugure le genre avec Baruang Ka Nu Ngarora (Un poisson pour les jeunes, 1914), sera suivi par Joehana, Muhammad Sanusi, Mohammed Ambri (1892-1936). Le roman historique, représenté notamment par M. K. Hardjakoesoema, manque d'originalité dans la mesure où il se contente généralement de réécrire les babad. Avec Gendjlong Garut (1920) de Muhammad Sanusi, le récit d'inspiration nationaliste fait son apparition, tandis que le wawacan, toujours à la mode, aborde désormais la vie de tous les jours. Les années 1920 à 1940 sont d'ailleurs l'âge d'or de la littérature sundanaise, et la revue Parahiangan (fondée en 1929 par les éditions Balai Pustaka) joue un rôle de premier plan dans l'essor de la littérature en ouvrant ses pages à de jeunes écrivains et en favorisant l'apparition d'un genre nouveau : la nouvelle. Après guerre, pourtant, l'édition connaît des difficultés, et les revues (Sunda, 1952-1954 ; Candra, 1954-1956 ; Kiwari, 1957-58) susceptibles d'accueillir de jeunes talents n'ont qu'une existence éphémère. En poésie, le vers libre, adopté sous l'influence littéraire indonésienne, sera mal accueilli, et les auteurs (le poète Sajudi notamment, qui commence à écrire en 1955) reviennent aux formes poétiques anciennes. Les thèmes abordés par la poésie au cours de cette période sont, entre autres, le nationalisme (Kis, Ki Umbara, Kustadi Arinta) puis, l'indépendance n'ayant pas apporté tout ce que l'on attendait d'elle, la déception, ou encore l'insécurité des campagnes (Ajatrohaedi, Wahyn Wibisana). La nouvelle, considérée avant guerre comme un genre mineur, et qui souvent puisait dans les histoires comiques traditionnelles, acquiert ses lettres de noblesse : elle devient le genre exclusivement pratiqué par les jeunes auteurs (R. A. F., Sahuri, Sj. Bastaman, Rusman Sutiasumarga, E. Permana), qui s'essayent à décrire, parfois avec un certain humour, la vie de leur époque. À partir des années 60, l'audience d'Ajip Rosidi stimule l'intérêt pour le pays Sunda et pour sa littérature.

Supervielle (Jules)

Écrivain français (Montevideo 1884 – Paris 1960).

Issu d'une famille d'origine basque établie dans la banque en Uruguay, orphelin avant l'âge de 1 an, cet enfant « né sous les signes jumeaux du voyage et de la mort » fait ses études à Paris, où il se fixe, tout en faisant de fréquents séjours dans son pays natal. Il se marie en 1907. Entre ici et là-bas, comme entre le réel et l'imaginaire, des navettes se font. Influencé de près par Laforgue et Larbaud (Brumes du passé, 1900 ; Comme des voiliers, 1910 ; Poèmes de l'humour triste, 1919), il marque son originalité dans Débarcadères (1924), pour s'affirmer avec les textes travaillés de Gravitations (1925), qui dévoilent une sensibilité cosmologique, perméable aux fluctuations de l'espace et du temps, et un besoin de communication illimité. Ces poèmes en vers réguliers et en vers libres, qui mêlent l'univers quotidien et les espaces fabuleux, composent une même méditation sur la mort, la grande loi de cette vie humaine. Chantre de la transparence, de l'équilibre et du miracle de l'écriture, Supervielle continue à humaniser le fantastique, en émerveillant le quotidien. Chez lui, le mystère est vécu comme une expérience sans cesse renouvelée et le vertige métaphysique se veut doucement apprivoisé, accordé à la respiration du monde, jusqu'au seuil de l'âge qui apporte avec lui la fragilité (le Forçat innocent, 1930 ; les Amis inconnus, 1934 ; la Fable du monde, 1938 ; les Poèmes de la France malheureuse, 1941 ; Oublieuse Mémoire, 1949 ; Naissances, 1951 ; le Corps tragique, 1959). Avec moins d'audience, son théâtre (la Belle au bois, 1932 ; Bolívar, 1936 ; le Voleur d'enfants, tiré en 1948 du roman paru en 1926 ; Robinson, 1949 ; Schéhérazade, 1949 ; les Suites d'une course, suivies de l'Étoile de Séville, 1959) et ses nouvelles (l'Homme de la pampa, 1923 ; l'Enfant de la haute mer, 1929 [qui en unissant légende chrétienne – « le Bœuf et l'Âne de la crèche » – et mythes américains – « Rani », « la Piste et la Mare » – proposent une méditation sur la mer et la mort et leurs continuelles métamorphoses] ; l'Arche de Noé, 1938 ; le Jeune Homme du dimanche et des autres jours, 1955) révèlent une fantaisie ironique et fondent une « métaphysique intimiste » sur un enchaînement continu de métamorphoses (le grand mot de cette poésie, comme « saisir » en est le grand verbe). Reconnu par ses pairs, par les grandes voix de la N.R.F., aimé de ses lecteurs, l'habitant du « 47, boulevard Lannes » s'est refusé à confondre modernité et préoccupation technique, ainsi qu'à rompre avec les grands modèles classiques, qui inspirent fort avant son approche de plus en plus consciente du vers. Il se propose même de réconcilier les poésies anciennes et modernes. Touché de près par la mort, il ne renonce pas à l'espoir, et ne cède pas, à la différence de son exact compatriote Lautréamont, à la violence. Ouverte à un merveilleux qui n'est pas réductible à l'approche surréaliste, sa poésie, lieu de toutes les métamorphoses, se caractérise par la respiration qu'elle permet, par ces espaces naturels qu'elle se refuse à oublier. Supervielle publie en 1951 son autobiographie, Boire à la source, titre emblématique d'une alliance passée avec ses premières années. Il est élu Prince des poètes l'année de sa mort. Il est l'homme d'une justesse, d'une délicatesse et pour tout dire d'une tendresse qui ne sont pas sans échos dans le néolyrisme contemporain.