Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
A

Arland (Marcel)

Écrivain français (Varennes-sur-Amance 1899 – Saint-Sauveur-sur-École, Seine-et-Marne, 1986).

Ses premiers récits (Terres étrangères, 1923 ; Étienne, 1924 ; Monique, 1926) rompent avec la littérature « expressionniste » en vogue à l'époque et illustrent son manifeste Sur un nouveau mal du siècle (1924), où il analyse la disgrâce d'âmes malhabiles au bonheur, que ne peuvent traduire des écrivains qui préfèrent le « beau geste » à la véracité ténue. Si le héros de l'Ordre (1929) est un révolté, un contestataire, c'est d'abord par une absurde volonté de tout gâcher : il meurt, pardonné de tous, mais se maudissant lui-même. La véhémence de ce roman s'estompera par la suite, dans des recueils souvent conçus comme des vitraux dont chaque pièce, pour trouver un sens, doit être vue dans l'ensemble (Antarès, 1932 ; les Plus Beaux de nos jours, 1937 ; Il faut de tout pour faire un monde, 1947). L'usage répété de la banalité montre la vertu de cet indicible qu'on arrive à dire, sans « histoires » ni « attitudes ». Le monde des villages est peint, avec ses rancœurs, ses silences, ses « humbles miracles ». Aux histoires imaginées l'auteur mêle ses souvenirs (l'Eau et le Feu, 1956 ; À perdre haleine, 1960 ; le Grand Pardon, 1965 ; Proche du silence, 1973). Les émotions de l'enfance et de l'adolescence, les malédictions du couple, l'improbabilité qu'aux plus hautes exigences réponde le bonheur personnel sont quelques-uns des thèmes qui ne cessent de traverser l'œuvre, partagée entre la lueur intermittente des êtres, la splendeur de la nature et la médiocrité du quotidien (Avons-nous vécu ?, 1977 ; Ce fut ainsi, 1979 ; Lumière du soir, 1983). À cette activité du romancier s'ajoute celle de l'essayiste : Marivaux (1950), les Lettres de France (1951), la Grâce d'écrire (1955). Critique écouté, M. Arland fut avec Jean Paulhan (1953-1977) codirecteur de la N.R.F. Il a aussi écrit des « essais intimes » (la Consolation du voyageur, 1952 ; la Nuit et les sources, 1963 ; Avons-nous vécu ?, 1977 ; Mais enfin qui êtes-vous ?, 1981).

Arlincourt (Charles Victor Prévost, vicomte d')

Écrivain français (Versailles 1789 – Paris 1856).

« L'inversif vicomte », ainsi surnommé en raison de son goût immodéré pour le style contourné, devient célèbre avec le Solitaire (1821), roman qui mêle la veine historique à la récente tradition du roman gothique. Cette œuvre ampoulée, qui assure le frisson au prix d'effets faciles, déferla sur l'Europe au point qu'on put affirmer ironiquement que le Solitaire « était traduit dans toutes les langues, hormis en français » !

Arlt (Roberto)

Écrivain argentin (Buenos Aires 1900 – id. 1942).

Méprisant la critique et la « grande littérature », il revendique le caractère artisanal du métier d'écrivain. Le discours exalté, parfois incohérent et relâché, de l'auteur est prêté à des personnages excessifs et décrit des êtres déchus dans des villes inhumaines (les Sept Fous, 1929 ; les Lance-flammes, 1931). Ses chroniques et ses contes sont des peintures vigoureuses de Buenos Aires (Eaux-fortes de Buenos Aires, 1933). Il est aussi dramaturge (Afrique, 300 millions, 1932).

Armah (Ayi Kwei)

Écrivain ghanéen (Takoradi 1939).

Il a effectué une partie de ses études aux États-Unis, où il enseigna pendant plusieurs années. Son premier roman, L'âge d'or n'est pas pour demain (1968), constitue l'un des témoignages les plus accablants sur l'évolution de l'Afrique au lendemain des indépendances. Ce pessimisme se retrouve dans Fragments, pourquoi sommes-nous si bénis (1971) et Deux Milliers de saisons (1979).

Armen (Mekertitch Haroutiounian, dit Mekertitch)

Écrivain arménien (Alexandropol, auj. Gumri, 1906 – Erevan 1972).

Accusé de formalisme par la critique soviétique, son roman la Fontaine Heghnar (1935, porté à l'écran en 1971) il dépeint dans l'angoisse superstitieuse d'une communauté villageoise devant le drame de l'adultère. Déporté en Sibérie, puis réhabilité, il a publié un témoignage accablant sur la vie des camps (On m'a recommandé de témoigner, 1964).

Arménie

Avant l'arrivée des Indo-Européens, l'Arménie, massif montagneux d'environ 300 000 km2, à l'est de l'Anatolie, est habitée par les Ourartiens, qui se libèrent des Assyriens au IXe s. av. J.-C. Les Arméniens colonisent progressivement le pays à partir du VIIe s. av. J.-C. De cette date jusqu'au Ve s. apr. J.-C., la littérature arménienne se limite à des gestes orales, que l'on peut regrouper en trois cycles épiques : 1º Haïk le Bel, Ara et Chamiram, qui reflètent les luttes des Ourartiens contre les Assyriens ; 2º Tigrane et Astyage, souvenir des guerres des Arméniens contre les Mèdes ; on peut y inclure la geste de Vahagn, héros de l'orage ; 3º Artachès et Artawazd, exploits légendaires des rois arsacides païens. Ces épopées nous sont connues par de brèves citations de l'Histoire de Moïse de Khorène, ainsi que par des documents ethnographiques recueillis aux XIXe et XXe s.

   Vers l'an 400 apr. J.-C., un ancien soldat devenu moine, Machtots, plus tard appelé Mesrop, désireux de favoriser l'évangélisation des campagnes et l'arménisation des populations montagnardes, invente et impose l'alphabet arménien, avec l'aide du catholicos (patriarche) Sahak et du roi Vramchsapuh. En même temps que la Bible, Machtots et ses disciples traduisent les œuvres des Pères alexandrins et cappadociens, défenseurs de l'orthodoxie. Ces traductions diffèrent, par la pureté de leur langue, des versions hellénisantes d'œuvres profanes effectuées à partir de 550 et jusqu'à la fin du VIIe s. pour doter l'université arménienne de manuels appropriés. À sa mort, en 441, son disciple Korioun écrit sa biographie. Cependant, Eznik de Kolb combat les philosophes grecs, les gnostiques, les mazdéens et diverses superstitions populaires dans sa Réfutation des sectes. Lors de la persécution mazdéenne de 451, le pseudo-Agathange réunit à la catéchèse de son temps quelques traditions épiques et hagiographiques sur la conversion officielle du royaume arsacide vers l'an 300. Après la chute de la royauté, vers 470, Fauste de Byzance donne une suite à Agathange, sous la forme d'une chronique souvent fabuleuse et partiale des Arsacides chrétiens du IVe s. (Récits épiques). Après 480, le moine Lazare de Pharp écrit l'histoire du Ve s. ainsi que son apologie, qui est le premier écrit autobiographique en langue arménienne. Devenu un genre littéraire à part entière, l'Histoire va connaître un développement important avec les historographes de l'époque de la domination arabe (Sébéos, VIIe s et Ghewond, VIIIe s) et surtout avec l'approche généalogiste et totalisante de Moïse de Khorène (VIIe).

   La restauration de l'indépendance nationale entraîne une renaissance littéraire sensible aussi bien dans l'histoire (avec Thomas Ardzrouni, Jean Catholikos, aux IXe-Xe s., Étienne Asolik, Aristakes de Lastivert, au XIe s.) que dans la poésie, qui atteint son sommet dans l'œuvre mystique de Grégoire de Narek (vers 1000). Malgré la chute d'Ani (1064), bientôt suivie des invasions seldjoukides, la littérature reste florissante aussi bien en Grande Arménie (avec le juriste Mekhitar Goch, le poète et théologien Jean le Philosophe, le médecin Mekhitar d'Hera, les historiens Vardan, Kirakos et Mekhitar, le philosophe Jean Orotnetsi) que dans le royaume arménien de Cilicie, avec les sermons de Nersès de Lampron et les poésies du catholicos Nersès le Gracieux et de Grigor IV Tegha. Par leur usage systématique de la rime et la variété de leurs thèmes, ces dernières annoncent déjà la poésie populaire des achough, qui survivra seule, du XIVe au XVIIe s., à la destruction de la culture ecclésiastique officielle. Parmi les plus grands poètes, on citera Frik, témoin angoissé, dès le XIIIe s., des malheurs de son peuple, Constantin d'Erzenka (XIIIe-XIVe s.), poète allégorisant et raffiné, Mekertitch Naghach (XVe s.), peintre de l'exil, Nahapet Koutchak (XVIeXVIIe s.) et ses quatrains d'amour et d'exil.

   À partir du XVIIIe s. en Occident – par suite du développement de la communauté arménienne de Constantinople et des efforts de la congrégation mékhitariste à Venise et à Vienne (avec des historiens et des poètes comme Avedikian, Alichan, Aidinian) –, en Orient, du fait de la conquête de l'Arménie orientale par la Perse, de l'enrichissement des marchands arméniens d'Ispahan, puis de l'avance des Russes dans le Caucase –, s'amorce une renaissance culturelle qui s'épanouit pleinement dans la seconde moitié du XIXe s. Désormais, il existe deux langues littéraires : l'arménien occidental, dans l'Empire turc (avec des poètes tels que Tourian, Demirdjibachian, Medzarentz, Siamanto, Varoujan, et des romanciers ou nouvellistes, comme Arpiarian, Baronian, Gamsaragan, Odian, Pachalian, Yéroukhan, Zohrab), et l'arménien oriental, dans l'Empire russe et en Iran (avec les romanciers Abovian, Chirvanzadé, Nar-Dos, Prochian, Raffi et les poètes H. Hovhannessian, Patkanian, Toumanian). La période 1900-1914 est le début d'une véritable mise en question de l'esthétique réaliste qui cède sa place au « régionalisme littéraire » prôné par le critique A. Haroutunian et l'écrivain Telgadintsi, amplifié par l'arrivée de jeunes écrivains qui, à l'instar des mouvements d'avant-garde européens, s'expriment par slogans et manifestes dans la revue Méhian (Temple).

   Le génocide de 1915 précipite dans l'exil les écrivains occidentaux qui échappent au massacre : H. Ochagan, K. Zarian, Aharon, A. Tchobanian, Hamasdegh, Chanth vont poursuivre leur œuvre dans les diverses communautés arméniennes de l'étranger. Autour de la presse de la diaspora gravitent d'autres écrivains qui rejettent « l'héritage des pères » et se tournent vers la peinture de la vie à l'étranger, avec ses thèmes favoris : les aléas de la survie à l'étranger, la crise d'identité, l'assimilation. Le roman cyclique, le récit poétique et la nouvelle se développent sous la plume de Chahnour, de H. Zartarian, de Chouchanian, de C. Nartouni, de N. Béchiktachlian, de Vorpouni, de P. Mikaëlian. À une littérature de nostalgie du pays perdu et de l'orphelinage (A. Dzaroukian, M. Ichkhan, A. Haïgaz) s'oppose une réflexion sur le monde moderne, qu'illustrent la poésie de Sarafian, de Topalian, de H. Gosdantian (contemporain de Valéry, d'Apollinaire et des surréalistes) et plus tard celle de V. Ochagan, de Zahrad et de Khrakhouni au Liban et en Turquie. Cette littérature de diaspora se poursuit encore dans les communautés arménophones du Proche-Orient et des États-Unis. La prose romanesque de Karapents, mais également des écrivains de la jeune génération (V. Berberian, I. Djimbachian, K. Beledian), explore des thèmes contemporains où court encore la lancinante question sur l'identité de l'Arménien à l'étranger, dès lors que la proclamation d'indépendance de l'ex-Arménie soviétique en 1991 n'a pas créé un retour massif vers le pays. Les tentatives pour libérer la poésie des carcans de la tradition se concrétisent dans les recueils de V. Tékyan, de H. Berberian, de S. Guiragossian, de Maroush et de bien d'autres. Cette littérature de diaspora s'accompagne souvent d'une pratique bilingue déjà amorcée par le poète Z. Surmélian, qui publie des romans en américain, Chahnour, qui écrit des poèmes sous le pseudonyme d'Armen Lubin, V. Gardon, qui se substitue à V. Gakavian.

   La fondation de la R.S.S. d'Arménie, en 1921, infléchit notablement la littérature arménienne orientale. Les premiers écrivains révolutionnaires sont tentés par le futurisme (« la Déclaration des trois »), dont la condamnation en 1923 met fin à une période de relative liberté. D'âpres discussions divisent les écrivains entre prolétariens et communistes-nationaux. Les premiers l'emportent et dirigent l'Union des écrivains. Le poète Tcharentz et le romancier Bakountz, ainsi que Totoventz, périssent en 1937 ; leurs compagnons, M. Armen, G. Mahari, sont déportés vers des camps sibériens d'où ils ramèneront des témoignages accablants après la chute du stalinisme. Issahakian, désabusé d'un long exil, trouve l'apaisement dans sa patrie, mais ne produit rien de significatif. Demirdjian cultive le roman historique, genre resté très vivace. Les poètes des années 1940 (H. Chiraz, S. Kapoutikian, H. Sahian, Émine, Davtian) pratiquent un art assez conformiste. La figure la plus marquante est celle de P. Sevak, qui allie la satire contestataire au lyrisme « symphoniste », avec une certaine dose de rhétorique présente surtout dans ses longs poèmes. Sa mort tragique en 1971 sonne le glas d'une période de relative liberté. Les « nouveaux poètes » des années 1960 et 1970 se font plus prudents : R. Davoyan, H. Édoyan, D. Hovannès, H. Grigorian, A. Haroutunian pratiquent une écriture plus personnelle et plus ouverte aux divers courants internationaux. La pratique du sarcasme chez S. Tchiloyan confère à ce poète une place à part ; il en est de même de A. Alikian dont les poèmes ne cessent de dire le désenchantement du « pays ». La prose romanesque connaît une période faste pendant l'ère khrouchtchévienne avec les récits de H. Matevossian, de Z. Khalapian, de B. Zeytountsian, de V. Grigorian.

   Depuis l'indépendance, la création littéraire affronte les difficultés engendrées par la guerre, la crise économique et la privatisation des maisons d'édition. Après une période de « mutisme », la poésie revient sur le devant de la scène, avec un goût marqué pour l'exploration du corps et pour la mise en question du poème, ce dont témoignent les recueils récents de A. Chékoyan, de M. Petrossian et de V. Grigorian.