Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Cela (Camilo José Cela Trulock, dit Camilo José)

Écrivain espagnol (Padrón 1916 – Madrid 2002).

Couronnée par le prix Nobel (1989) et le prix Cervantès (1995), son œuvre est marquée par la plaie de la guerre civile et la triple influence de Pío Baroja, d'Eugenio Noel et de José Gutiérrez Solana. Mais il s'en faut de beaucoup que l'art de Cela soit d'abord réaliste. Son esthétique qui repose avant tout sur la lucidité fait passer le bruit et la fureur du monde par les filtres sans cesse changeants du langage. Des poèmes évoquant une « adolescence cruelle » (En foulant la douteuse lumière du jour, 1945) aux romans s'attaquant à la guerre d'Espagne (la Famille de Pascal Duarte, 1942 ; San Camilo 36, 1969), Cela se glisse dans tous les styles, de l'autobiographie éclatée de Pavillon de repos (1943) aux esquisses quasi picturales des nouvelles (le Galicien et sa cuadrilla, 1949), de la tranche de vie néoréaliste de la Ruche (1951), un de ses romans les plus connus (publié à Buenos Aires à cause de la censure et dans lequel il met en scène la vie misérable de quelques êtres dans le Madrid de l'immédiat après-guerre civile), au récit épique de La Catira (1955). Il parcourt avec humour l'Espagne : Voyage en Alcarria (1948) est le premier récit d'une série qui comprend Du Miño à la Bidassoa (1952), Juifs, maures et chrétiens (1956), Premier voyage andalou (1959), Cahier du Guadarrama (1959), Voyage aux Pyrénées de Lérida (1965), Nouveau Voyage en Alcarria (1986) et la Galice (1990). Avec Cristo versus Arizona (1988), il délaisse une fois de plus les modèles narratifs conventionnels et offre une fable américaine à ses lecteurs. Parallèlement, il est l'auteur de plusieurs volumes de mémoires et de nombreux récits, articles journalistiques et travaux d'érudition parmi lesquels se détache son Dictionnaire secret (1968-1971) où il explore les recoins du vocabulaire. Pour percer à jour toutes les conventions humaines, Cela joue de toutes les conventions littéraires. Si Office des ténèbres 5 (1973) est son livre le plus risqué et le plus avant-gardiste, Masurka pour deux morts (1983) est sans doute l'un des sommets de son œuvre narrative et l'un des meilleurs romans espagnols de ces dernières années ; il y aborde sa Galice natale, dans un style éclaté, nourri de mots galiciens et enrichi de collages.

Čelakovský (František Ladislav)

Journaliste et écrivain tchèque (Strakonice 1799 – Prague 1852).

Professeur de langues et de littératures slaves et militant pour la cause nationale, il publia surtout les Échos de chants russes (1829), Échos de chants tchèques (1839) et un livre de vers plus personnels (la Rose à cent pétales, 1840), auquel il donne pour sous-titre le Poème et la Vérité.

Celan (Paul Antschel, dit Paul)

Poète autrichien (Cernăuţi, Bucovine, 1920 – Paris 1970).

Juif « polypatriotique » de langue allemande, il a connu les camps de travail et vu la déportation de ses proches. La Shoah a marqué toute son œuvre, qui part de Trakl et de Rilke pour tendre vers une forme d'hermétisme. Vivant à Paris dès 1948, il publie en 1952 Pavot et Mémoire, où figure « Fugue de mort ». Depuis De Seuil en Seuil (1955) et Grille de parole (1959), la refondation de la langue allemande, inséparable de la mémoire des morts et d'une poétologie résistante, passe au premier plan. Dans la Rose de personne (1963), dédié à Mandelstam, la solidarité avec les humiliés fait du poème un lieu d'espoir dialogique. L'œuvre tardive (Tournant du souffle, 1967 ; Soleils de fils, 1968 ; Contrainte de lumière, 1970 ; Part de neige, 1971 ; Enclos du temps, 1976) exprime de façon plus radicale le désespoir de ne jamais pouvoir transmettre l'expérience historique et poétique. Souffrant de graves troubles psychologiques, Celan se suicida.

Celati (Gianni)

Écrivain italien (Sondrio 1937).

Ses premières œuvres s'inspirent des mouvements issus de 1968. Il poursuit son expérimentation, en étant particulièrement attentif aux expressions de la langue parlée, dans ses romans suivants (les Aventures de Guizzardi, 1973 ; l'Almanach du Paradis, 1978 ; Narrateurs des plaines, 1985 ; Quatre Nouvelles sur les apparences, 1987).

Celaya (Rafael Múgica, dit Gabriel)

Poète espagnol (Hernani 1911 – Madrid 1991).

Traducteur de Rimbaud et d'Éluard, il cherche à atteindre le plus large public, auquel il parle, sans jamais sacrifier à la facilité, des problèmes des hommes de tous les jours. Auteur d'essais politiques et littéraires (Tentatives, 1946 ; Souvenirs immémoriaux, 1980), il publie de nombreux recueils de poésie (les Choses comme elles sont, 1949 ; Poésie urgente, 1960).

Céline (Louis Ferdinand Destouches, dit Louis-Ferdinand)

Écrivain français (Courbevoie 1894 – Meudon 1961).

Le plus grand romancier français du XXe siècle avec Proust, mais sous le signe de la rupture et non plus de la mémoire, a connu une enfance emblématique, passage Choiseul, à Paris, où sa mère tenait un commerce de dentelles. Il passe par divers apprentissages (bonneterie, joaillerie) et s'engage en septembre 1912. Héros d'un fait d'armes des débuts de la guerre (27 octobre 1914), il est réformé. Après un séjour à Londres puis en Afrique, il fait à Rennes un premier mariage bourgeois et entreprend des études de médecine : il soutient, en 1924, sa thèse sur la Vie et l'Œuvre de Philippe Ignace Semmelweis, biographie d'un médecin hongrois qui lutta pour l'asepsie dans l'accouchement : incompris, chassé de Vienne où il pratiquait, Semmelweis mourra de cette même infection contre laquelle il avait lutté toute sa vie. Le tragique de la vie de Semmelweis est en quelque sorte une première vision de ce que sera le drame de Céline. Employé par la Société des Nations, il effectue plusieurs voyages, en particulier en Amérique du Nord (où il découvre l'horreur du travail à la chaîne) et en Afrique, puis ouvre un cabinet médical avant de devenir vacataire au dispensaire municipal de Clichy.

Du Voyage au bout de la nuit à Mort à crédit

C'est en 1932 qu'il publie son premier roman, Voyage au bout de la nuit, sous le pseudonyme de Céline, prénom de sa grand-mère. Il manque de peu le prix Goncourt, obtient le Renaudot et connaît très rapidement le succès. À travers le personnage de Bardamu, Céline y transpose ses propres expériences : la Première Guerre mondiale, la boucherie du front puis l'ambiance de l'arrière ; un voyage dans l'Afrique coloniale, où Bardamu tente de diriger une factorerie, puis un séjour aux États-Unis, où la découverte de New York et de Detroit est le prétexte à une description réaliste de la vie américaine ; enfin, la rencontre avec la misère comme médecin dans la banlieue parisienne. À chacune de ces étapes, Bardamu retrouve Robinson, personnage qui, s'il lui sert de faire-valoir, offre aussi toutes les ressources d'un second lui-même. L'intérêt du public se divisa aussitôt entre les inconditionnels qui crièrent au génie et ceux qui, dérangés dans leurs habitudes, lui reprochèrent moins son nihilisme idéologique que son style. Car le livre étonna par la verdeur et la variété de sa langue, langue hybride où le parti pris du parler parisien (qui ne parvient pas à masquer tout à fait une culture beaucoup plus classique) a trop longtemps fait oublier la recherche : l'oralité y est moins affaire de simple transposition que de véritable recréation littéraire. Le lecteur est pris à parti par un rythme et un phrasé toujours renouvelés, bouleversant l'ordre des mots et l'agencement de la syntaxe jusqu'à un étonnant lyrisme. Avec la hargne héritée de la guerre, Céline pratique la déformation et le grossissement systématiques. Les lieux communs abordés – haine de la guerre, critique de la société, angoisse de l'avenir – sont ainsi perçus sous un jour neuf grâce à l'efficacité du style.

   En septembre 1933, Céline publie l'Église, « comédie en cinq actes », écrite six ans auparavant et qui, présentée comme ébauche du Voyage, en demeure en fait indépendante bien qu'on y retrouve Bardamu, le héros du Voyage, médecin au service de la Société des Nations. Le 1er octobre 1933, Céline prononce à Médan son célèbre « Hommage à Zola » dont toute la presse se fait l'écho pour en souligner l'esprit volontairement apocalyptique.

   En mai 1936 paraît Mort à crédit. Par rapport à Voyage au bout de la nuit, ce deuxième roman est un retour en arrière dans la chronologie du héros ; c'est le récit d'une enfance, celle de Ferdinand, personnage qui emprunte à Céline son second prénom, mais qui est privé de nom de famille. De la petite enfance, passage de Choiseul où sa mère tient boutique, au voyage linguistique en Angleterre, à la mise en apprentissage, puis à la rencontre avec Courtial des Pereires, un patron pas comme les autres avec qui il va vivre des aventures rocambolesques, ce roman est un mélange de conformité à la biographie et d'exagération toute célinienne. L'auteur se crée une légende, une mythologie propre, à partir d'une confession introspective. La révolte, la mélancolie de l'enfant, mais aussi le reflet d'une classe sociale, la petite bourgeoisie parisienne (dont l'auteur, en observateur de la société, fait un tableau volontairement paupériste), aboutissent à une épopée grand-guignolesque devant laquelle l'adolescent reste plus spectateur qu'acteur. Ainsi le caractère dramatique du récit n'empêche-t-il pas le rire, et Céline séduit son lecteur, qu'il oblige à l'accompagner à travers son imaginaire. Céline poursuit son travail linguistique, remplaçant la phrase par une série de courtes séquences qui se succèdent à un rythme très rapide et qui, dans la graphie, sont séparées par des points de suspension ou un point d'exclamation. Cet accomplissement, véritablement prosodique, va accentuer l'aspect poétique et rythmique d'une écriture dont il fait lui-même remonter l'origine à la cadence du music-hall anglais.