Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
N

Nerciat (André Robert Andréa de)

Écrivain français (Dijon 1739 – Naples 1800).

La postérité rend aujourd'hui hommage à l'étonnante inventivité de ses romans libertins qui, à la différence de ceux de Sade, ne semblent prétendre à aucune réflexion philosophique et se contentent de glorifier le plaisir sensuel et l'amour des mots et de leur chair : Félicia ou Mes fredaines (1775). C'est pourtant ce que démentent tant l'ironie d'un titre comme le Doctorat impromptu (1788) que l'incroyable complexité des dispositifs spatiaux et textuels des œuvres de grande ampleur que sont le Diable au corps (1786) et les Aphrodites ou Fragments pour servir à l'histoire du plaisir (1793) et qui décrivent une complexe franc-maçonnerie sexuelle avide d'échapper, à travers un rituel orgiaque raffiné, aux soubresauts de l'Histoire.

Nersès IV Klayetsi
ou Nersès IV Chnorhali

Théologien, poète et musicien arménien (Tsovk 1102 – Hromglah 1173).

Ardent partisan du rapprochement des Églises et réformateur de la liturgie, il fut patriarche de l'Église d'Arménie (1166 à 1173). Ses grands poèmes vulgarisent l'histoire nationale, les dits populaires, ainsi qu'une lecture mystique de la Bible, dont il tira un vaste poème de 8 000 vers rimés (Jésus Fils Unique du Père, 1152). Sa Complainte d'Édesse (1145) inaugure un genre poétique qui fera école. Il fut l'infatigable artisan du vers isosyllabique arménien.

Neruda (Jan)

Écrivain tchèque (Prague 1834 – id. 1891).

Après un recueil d'un romantisme désenchanté, Fleurs de cimetière (1857), il écrivit des feuilletons (Images de Paris, 1864 ; Études courtes et plus courtes, 1876 ; Petits Voyages, 1877) et des récits brefs et vivants (Arabesques, 1864 ; les Contes de Malá Strana, 1878).  Il composa des vers lyriques (Livres de vers, 1867 ; Simples Motifs, 1883), d'inspiration philosophique (Chants cosmiques, 1878 ; Ballades et Romances, 1883) ou patriotique (Chants du vendredi saint, 1896).

Neruda (Neftalí Ricardo Reyes, dit Pablo)

Poète chilien (Parral 1904 – Santiago 1973).

Il emprunte son pseudonyme au poète tchèque Jan Neruda (1834-1891) et publie son premier poème, la Chanson de la fête (1921). Son premier recueil, Crépusculaire, influencé par le symbolisme et le modernisme, paraît en 1923. Avec Vingt Poèmes d'amour et une chanson désespérée (1924) s'ouvre la deuxième étape de son itinéraire poétique : ce livre, dont les thèmes sont l'amour, la solitude et l'angoisse, connaît, dès sa parution, un immense retentissement. En même temps, Neruda s'occupe de revues, subit l'influence du surréalisme (Tentative de l'homme infini, 1925) ou de l'ultraïsme (Bagues, avec Tomás Lago, 1926).

   Commence alors une longue carrière diplomatique. Nommé successivement à Colombo, à Batavia et à Singapour, il rentre ensuite au Chili, où il publie le Frondeur enthousiaste et la première partie de Résidence sur la terre (1933), première grande œuvre de la maturité, où s'expriment le désarroi et la solitude de l'homme face à l'écroulement du monde. En 1933, à Buenos Aires où il est en poste, il rencontre Lorca, qui l'incite à se rendre en Espagne : il sera consul à Barcelone, puis à Madrid, où il retrouve un autre diplomate chilien, Gabriela Mistral, et rencontre les poètes espagnols de la « génération de 1927 ». Il fonde alors la revue Caballo verde et publie la seconde partie de Résidence sur la terre (1935).

   Le soulèvement franquiste de 1936 provoque un tournant décisif dans la poésie de Neruda, qui sera désormais, et jusqu'à sa mort, un poète engagé, comme le manifestent son poème Espagne au cœur (1937) et sa revue Les poètes du monde défendent le peuple espagnol. Destitué de sa charge à cause de ses activités en faveur de la République espagnole, il rentre au Chili ; l'arrivée au pouvoir du Front populaire lui rend ses fonctions (1938). Cette année est aussi celle de la mort de son père : la nuit qui suit cet événement, Neruda écrit le premier poème de ce qui sera le Chant général, poème en 15 parties, publié à Mexico en 1950. Le poète y célèbre, dans une langue somptueuse, le continent américain, ses minéraux, sa flore, sa faune, son histoire. C'est aussi un cri de révolte contre toutes les formes d'oppression et un témoignage en faveur des exploités.

   Élu sénateur en 1945, il entre la même année au parti communiste, dont l'idéologie marquera profondément ses œuvres à venir. Opposé au président Videla, il finit par quitter le Chili en 1947. La même année, il publie la troisième partie de Résidence sur la terre, réunissant des poèmes écrits entre 1935 et 1945. Présente tout au long des deux premiers recueils, la tentation du suicide s'estompe : le soulèvement franquiste de 1936 incite le poète à être solidaire plutôt que solitaire. Il s'ouvre aux autres à travers l'expérience des épreuves subies par ses amis républicains espagnols. Rentré dans son pays, il fait paraître les Raisins et le Vent (1954), fonde en 1956 La gaceta de Chile, reprend ses voyages, publie les Odes élémentaires (1954-1957), Vague divague (1959). 1961 voit la parution des Pierres du Chili et des Chants cérémoniels, tandis qu'est vendu le millionième exemplaire de Vingt Poèmes d'amour. Ses poèmes sont alors récités ou chantés dans l'Amérique hispanophone tout entière.

   En 1964, Neruda participe à la campagne électorale de Salvador Allende, qui sera finalement battu par E. Frei, et publie, pour son soixantième anniversaire, le Mémorial de l'île Noire. En 1967, il fait jouer Splendeur et Mort de Joaquín Murieta, sa seule œuvre théâtrale, et publie en collaboration avec Miguel Ángel Asturias Manger en Hongrie.

   Candidat officiel de son parti aux élections présidentielles de 1970, avant de se retirer au profit de Salvador Allende, il publie, la même année, l'Épée de flammes et les Pierres du ciel. En 1971, alors qu'il est ambassadeur en France, Neruda reçoit le prix Nobel de littérature, et devient ainsi le troisième écrivain latino-américain, après G. Mistral et M. Á. Asturias, a être honoré par l'Académie suédoise. Lors du soulèvement militaire de 1973, Neruda est placé en résidence surveillée, mais meurt peu après d'un cancer : ses obsèques furent le prétexte à la première grande manifestation populaire contre le nouveau régime. Deux ans plus tard paraît une sorte d'autobiographie, J'avoue que j'ai vécu.

   La vie et l'œuvre de ce voyageur-poète sont intimement liées, et inséparables, à partir de la guerre d'Espagne, de son engagement politique. Ce militantisme lui a d'ailleurs valu les critiques les plus acerbes – on déniait tout talent au poète à cause des options de l'homme politique – et aussi les louanges les moins nuancées : il reste que son œuvre, qui résume à elle seule l'évolution de la poétique contemporaine en Amérique latine, se caractérise par une étonnante fécondité d'images au service d'une inspiration souvent visionnaire, même dans ses excès. Plus que de poésie élaborée, il faut parler de poésie en élaboration : jamais sans doute le fameux « tellurisme » latino-américain ne s'est manifesté avec autant de vigueur, surtout dans le Chant général, véritable épopée historique, sociale et culturelle de l'Amérique hispanique. Son itinéraire poétique, qui part de l'autocontemplation romantique et débouche sur une prise de conscience du monde et sur l'engagement total dans ce monde, est l'exemple parfait de la dynamique qui fait d'un créateur « solitaire » un artiste « solidaire ».