Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Océanie (suite)

Les traits généraux de la littérature océanienne

L'ensemble des productions littéraires océaniennes possèdent de nombreux traits communs au-delà des diversités locales. Cela est largement dû au fait que l'aire se caractérise par l'absence d'écriture (mis à part le problématique système pictographique élaboré sur l'île de Pâques) – ce qui engendre partout les mêmes conditions de diffusion (le texte récité correspond à une situation sociale donnée, dans laquelle les rapports orateur-public sont clairement définis) et favorise les genres où répétitions, rythme et musique verbale viennent en aide à la mémoire.

   Par ailleurs, l'origine commune des Océaniens explique la récurrence de certains thèmes. Notons toutefois que, si le début de toutes choses, la mort, la vie et leurs mystères sont richement traités dans la plupart des littératures mélanésiennes, polynésiennes et micronésiennes, l'étude des sentiments a peu intéressé les auteurs mélanésiens. Amours, amitiés sont des sentiments qui « vont de soi », dans le cadre familial et social, et la plus brève évocation suffit à renseigner l'auditoire. La profusion du vocabulaire servant à décrire la fureur sacrée qui enflamme les guerriers ou l'abondance d'images suscitées par la douleur de ceux qui pleurent les héros morts montrent par contre que, là où les contraintes sociales ne jouent pas, les créateurs océaniens font preuve d'imagination et de sensibilité. La littérature polynésienne et la micronésienne, correspondant à des sociétés où, généralement, les jeux de l'amour ont une place reconnue, possèdent, au contraire, une littérature amoureuse importante.

   Les travaux qui font connaître la littérature orale océanienne ont été faits dans des perspectives très diverses. Ce qui y est qualifié de « littérature » varie dans le temps et selon les auteurs. Ainsi, les premiers écrits européens ont pris en compte les grands récits mythologiques et les contes, les études de spécialistes actuels (linguistes et ethnologues) collectent tout le « dit » océanien (commentaires, recettes, analyses de rêves, discussions...).

Les genres

Il est en réalité assez arbitraire de proposer un classement de ce type dans une grande partie de la littérature orale océanienne – et ceci est justement la conséquence de l'oralité qui permet l'adaptation du récit au public et à l'occasion sociale donnée. Néanmoins, certaines productions récitées telles qu'elles furent apprises (poèmes, énumérations de clans) sont nécessairement plus fixes. En fait, la meilleure nomenclature serait celle donnée par les Océaniens eux-mêmes, mais, là, on s'aperçoit qu'à la richesse et à la finesse apportées à la classification dans une île correspondent seulement quelques genres dans l'autre, où se regroupent des « textes » à fonctions et formes différentes. On peut cependant diviser la production orale océanienne en : épopées (mythes ou légendes), contes, proverbes et devinettes, comptines et berceuses, poèmes (ou chants), généalogies.

   Les mythes ou légendes sont ici désignés par le terme d'épopées. Nous nous sommes, en effet, placés dans la perspective des créateurs et auditeurs pour lesquels ces récits sont les véhicules de la connaissance historique, alors même qu'ils nourrissent l'imagination et le rêve. Les épopées ou grands textes épiques peuvent avoir un caractère sacré et nécessiter une audience d'initiés, mais, le plus souvent, audibles par tous, elles permettent des « lectures » à plusieurs niveaux ; le récit, parfaitement cohérent, d'un voyage d'un héros, par exemple, sera interprété par les plus cultivés comme la « descente aux Enfers », ou l'exposé historique des alliances et guerres des clans. L'interprétation repose aussi sur le vocabulaire : familier à tous, il recèle des images secrètes – ainsi tel chant polynésien dont les vents et les poissons semblent être le thème parle, en fait, de guerres (venues des points de l'horizon d'où soufflent les vents) et des grands sacrifices humains qui les ont suivies (les poissons représentant les victimes). De toute façon, ces épopées exigent une connaissance approfondie des toponymes, des images conventionnelles et de la culture locale en général, qu'elles connotent allusivement. Récits des exploits des héros civilisateurs, des demi-dieux ou des ancêtres, elles fondent l'histoire des groupes qui s'en réclament et enseignent la nomenclature des terres et des droits qui s'y rattachent. Elles s'intègrent généralement dans de vastes cycles dont certains fragments sont plus valorisés que d'autres : tandis que certains épisodes se récitent lors des moments d'exaltation religieuse ou sociale, d'autres sont utilisés pour divertir ou enseigner les enfants.

   Les contes justifient des coutumes, illustrent des morales – jamais explicitées –, enrichissent les connaissances des auditeurs sur le monde lointain, expliquent l'origine de tel animal (les contes d'animaux opposent fréquemment le rat et le poulpe), plante ou phénomène naturel. Selon le cas, ils sont racontés aux veillées, dans la ferveur d'une communauté réunie autour des feux, servent de « leçons » à de petits groupes de jeunes. Les contes drolatiques et les histoires humoristiques (récit d'une peur ridicule, d'une vantardise risible, de la balourdise des habitants du village) y tiennent une part importante. La littérature érotique a, selon les zones, un statut très variable. Contes (et chants) érotiques peuvent être enseignés à certaines classes d'âge (Polynésie), parfois même avoir un caractère sacré et se rattacher à des rites religieux (Polynésie, Mélanésie) ; ils peuvent être considérés avec indulgence comme littérature secondaire et amusante (Mélanésie, les dépendances de la Nouvelle-Calédonie) ou être farouchement interdits et ne circuler que dans le plus grand secret – entre gens du même sexe et de la même classe d'âge (Mélanésie, Nouvelle-Calédonie). Les îles les plus prudes compensent généralement ces tabous littéraires par une abondante littérature scatologique (Mélanésie). Les proverbes et devinettes, très en faveur dans certaines zones, sont peu fréquents en d'autres – et ce à l'intérieur d'une même aire, Mélanésie, par exemple. Ils demandent toujours une connaissance développée de la culture locale et de sa littérature. Beaucoup, en effet, sont des phrases tirées de contes. Les comptines et les berceuses ne sortent des gynécées que lorsqu'elles sont incluses dans un conte structuré (sorte de « chantefables »). Les poèmes, comme les comptines et les berceuses (qui sont souvent de petits poèmes), sont des textes figés dans une forme très élaborée. Ils sont inséparables de la musique dans la plupart des cas. Les chants, le plus souvent composés pour être exécutés à plusieurs voix, peuvent être d'inspirations variées. Les poèmes qui les constituent sont des pièces très travaillées, tant du point de vue rythmique (scansion, rimes, allitérations) que du point de vue des images. Ils sont d'ailleurs la meilleure source littéraire des créateurs. Pour la Mélanésie, ce sont généralement des lamentations, des chants de victoire, des poèmes ayant pour sujet la nature (notamment l'eau vive) ; la Polynésie et la Micronésie ajoutent à ces genres les plaintes des amoureux éconduits, des invocations pour obtenir la femme désirée... Le théâtre est l'apanage de certaines zones polynésiennes. Il était l'affaire de spécialistes, sortes de « monstres sacrés », acteurs complets (récitants, mimes, danseurs, chanteurs) qui exécutaient des « mystères » et des farces. Il a disparu avec la christianisation et la destructuration des sociétés anciennes. Les généalogies, listes de noms de clans et de lieux ou de symboles, sont caractéristiques de la Mélanésie. Elles demandent à être récitées par des spécialistes, respectant un rituel défini.

   Au-delà de la littérature proprement dite, les mots sont utilisés pour la communication avec les dieux, les esprits et les morts ; dans ce cas, la part de créativité est généralement réduite au minimum, le recours aux formules propitiatoires, prières et incantations éprouvées semblant préférable (le public des invisibles est toujours susceptible et potentiellement dangereux, si l'officiant ne sait en arracher la bénédiction ou l'aide souhaitées). Ces textes peuvent être dits par le prêtre – occasionnel ou professionnel, selon les sociétés – pour la guerre, les cultures, la pluie, le soleil..., par un guérisseur, enchanteur ou devin travaillant pour sa famille exclusivement (et alors spécialiste de certaines affections) ou pour un groupe plus large.