Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (XIXe siécle) (suite)

L'inscription du sacré

En grave crise après la Révolution, la religion catholique fut l'objet d'une promotion esthétique majeure pendant toute la première moitié du siècle : le Génie du christianisme de Chateaubriand eut un immense succès, dans la mesure où il dotait le sacré et le sentiment religieux de cette fonction réparatrice que recherchait la réflexion politique. Cette même perspective apparut peu après dans les Essais de palingénésie de Ballanche, les considérations de Joseph de Maistre ou – du côté libéral – dans De la religion de Constant. L'abbé Lamennais, par ses ouvrages comme par son journal l'Avenir, ouvrait la voie d'une spiritualité plus compatissante à la misère et moins axée sur le pouvoir temporel de l'Église, qui influença aussi bien Chateaubriand que Hugo, Sand, Sainte-Beuve, Michelet, Quinet ou Maurice de Guérin. On retrouve cette générosité du sentiment religieux – peu séparable alors du projet de réconciliation politique – dans les efforts du catholicisme social (Buchez, Ozanam) avant sa condamnation par les bulles pontificales de Grégoire XVI (1832 et 1834).

   Au cœur des projets esthétiques et politiques de la première moitié du siècle se trouvait la question de la refondation spirituelle de l'homme. Le renouveau catholique exprimait à cet égard un besoin auquel répondirent par ailleurs les résurgences des courants synchrétistes et illuministes apparus en France à la fin du XVIIIe siècle. Le synchrétisme, dont les principaux penseurs furent Fabre d'Olivet et Quintus Aucler, entendait remonter à l'origine mythique et cultuelle qu'il supposait commune à toutes les religions, polythéistes ou monothéistes, en une synthèse d'inspiration pythagoricienne qui renouvela les mythes d'Isis et d'Orphée, figures privilégiées d'une quête de la totalité perdue. On en trouve en particulier l'illustration chez Ballanche, Nodier, Hugo et Nerval. L'importance de l'illuminisme, courant théosophique diffus qui se référait à l'œuvre de E. Swedenborg et, en France surtout, à celle du philosophe « martiniste » C. de Saint-Martin, apparaît toutefois plus considérable tout au long du siècle. L'illuminisme inspira le genre poétique de la « vision » (vers Ballanche, Lamartine, Balzac, Hugo, Quinet, Nerval), qui favorisa la promotion du symbole, et la théorie des « correspondances » où se fonda, jusqu'à Baudelaire inclus, la rhétorique analogique du romantisme.

   Les cercles d'initiés théosophes furent non moins nombreux à la fin du siècle, en particulier dans les milieux symbolistes que dégoûtait l'idéologie positiviste dominante (voir Joséphin Péladan). Mais cette religiosité diffuse et fort savante, exaspérée par le marasme moral qui suivit la défaite de 1870, contribua à susciter en réaction une volonté de retour à une pureté doctrinale et spirituelle du christianisme, à l'exigence d'une expérience mystique authentique et authentifiante, dont Barbey d'Aurevilly, Bloy et Huysmans se firent les chantres flamboyants.

Socialité de la littérature

Les groupes d'écrivains

Les écrivains au XIXe siècle étaient liés par de forts réseaux, à l'instar de leurs aînés des XVIIe et XVIIIe siècles. Les formes de cette socialité littéraire étaient toutefois différentes. Les salons restaient nombreux, dont parmi les plus célèbres, celui de Mme de Staël à Coppet – lieu d'exil où se réunissait sous l'Empire toute l'intelligentsia libérale de l'Europe –, celui de Mme Récamier autour de Chateaubriand, celui de Délecluze, républicain. Mais leur importance dans l'élaboration de la pensée littéraire déclinait, au profit de réunions d'artistes, suscitées ou relayées par des revues. Le salon de Nodier, puis la Bibliothèque de l'Arsenal, accueillirent ainsi les premiers groupes romantiques constitués comme tels, groupes de jeunes auteurs publiant par ailleurs dans des revues d'inspiration légitimiste (la Muse française ou le Conservateur littéraire). Plus encore, le « Cénacle » de Hugo entendit promouvoir une véritable école littéraire où se retrouvaient notamment Hugo, Vigny, Sainte-Beuve, Lamennais, Soumet, Mérimée, Balzac, Gautier, Nerval, les musiciens Berlioz et Liszt, le peintre Delacroix. En marge des groupes majeurs gravitaient des cercles d'artistes moins prestigieux, mal publiés, laissés-pour-compte du prestige symbolique des « mages » comme de la promotion sociale : « Bohême » de Murger, « Bohême galante » (Nerval), « Jeune-France » (vers Gautier), « Bousingots » et autres « petits romantiques » (vers A. Bertrand, P. Borel, C. Lassailly, A. Rabbe).

   Le rôle de ces cénacles formant écoles décrut dans la seconde moitié du siècle à la mesure du déclin de l'idéal d'accomplissement artistique du social, malgré le maintien de cette forme de socialité autour de personnalités fortes comme Zola (à Médan) ou Mallarmé (rue de Rome). S'y substituaient des réunions plus informelles (ainsi les dîners entre artistes intéressés par la question du « réalisme », dans les années 1850), ou des regroupements assez lâches autour d'éditeurs (Lemerre pour le Parnasse, Charpentier pour les naturalistes, Hetzel pour le groupe hugolien) ou de revues (le Parnasse fut ainsi surtout un phénomène de revues). Cette relative dispersion, largement due à une dépendance plus forte et plus individualisée des écrivains au regard des éditeurs et des journaux, s'accrut encore à la fin du siècle avec la multiplication des feuilles symbolistes et l'affirmation croissante d'une figure individualiste de l'artiste.

L'édition

Le XIXe siècle vit les structures éditoriales se transformer par rapport à ce qu'avaient connu les siècles précédents. Le statut d'éditeur restait très précaire sous l'Empire et la restauration, en raison de la censure, du prix du papier et de l'élévation du droit de timbre. Quant à celui des auteurs, il l'était davantage encore en l'absence de toute réglementation, et du fait des réseaux parallèles de la contrefaçon belge qui vendait moins cher et presque simultanément les ouvrages publiés en France. La création par Balzac de la « Société des gens de lettres », en 1838, améliora quelque peu cette situation. Les livres restèrent toutefois onéreux pendant le premier tiers du siècle, favorisant le succès des cabinets de lecture et de la littérature de colportage (ainsi la « Bibliothèque bleue » qui alimentait depuis le XVIIe siècle un large fonds de culture mi-savante mi-populaire), par lesquels ils pouvaient toucher un public moins fortuné, avant que les progrès techniques de l'édition amorcent pour eux, à partir des années 1840, un long déclin. Une révolution considérable consista en l'occurrence en l'invention de presses rotatives à fort débit, qui multiplièrent les tirages des journaux (la Presse et le Siècle, en 1836, furent les premiers) et permirent la publication des œuvres en feuilletons concurremment à leur diffusion éditoriale. Des organes de presse comme la Revue des Deux-Mondes (dirigé par F. Bulloz de 1831 à 1877) ou sa rivale la Revue de Paris jouèrent à cet égard un rôle considérable, et diffusèrent des textes ou des œuvres de presque tous les écrivains majeurs du siècle. Les progrès de la mécanisation dans le second demi-siècle, les accords juridiques enfin obtenus favorisèrent d'autre part la multiplication d'éditeurs solides tels G. Charpentier (dès 1838), puis Hetzel, Michel Lévy, L. Hachette, A. Fayard, qui publièrent des ouvrages de petit format et bon marché. Ils permirent ainsi la constitution de nombreuses bibliothèques personnelles – privilège rare auparavant –, notamment en rééditant les classiques de la littérature passée. Les tirages, en augmentation avec les progrès technologiques, ne dépassaient guère quelques centaines d'exemplaires pour les recueils de poésie, quelques milliers pour la plupart des romans, mais pouvaient atteindre plusieurs dizaines de milliers pour les principaux titres de la littérature de grande consommation (que Sainte-Beuve qualifiait de « littérature industrielle ») : ceux de Ducray-Duménil, Sue, Dumas, de Kock, Féval, Ponson du Terrail ou Montépin, qui avaient la faveur des feuilletons dans les journaux de grande diffusion, dont ils multipliaient les tirages.

Les théâtres

L'essentiel de la relation du public à la littérature, avant que les feuilletons apportent une concurrence sérieuse en termes de masse de consommateurs, passait (surtout à Paris) par les théâtres. Bon marché, ceux-ci étaient très fréquentés et attiraient toutes les couches de la population – même si elles étaient cloisonnées par l'espace « à l'italienne » des salles. Assez peu nombreux à Paris sous l'Empire, les théâtres parisiens se multiplièrent sous les monarchies constitutionnelles. Aux grands théâtres (L'Opéra, Le Théâtre-français, L'Opéra comique et L'Odéon), relativement chers et sélectifs, s'ajoutaient nombre de salles plus modestes où étaient représentés les genres à succès : le vaudeville, au Palais-Royal, aux Nouveautés, à l'Athénée-Comique, aux Variétés, au Gymnase-Dramatique ou au Déjazet ; le mélodrame, dans les nombreux théâtres du « boulevard du crime » (dont le Théâtre de la Porte-Saint-Martin où furent représentés d'abord les drames romantiques de Vigny, de Hugo et de Dumas) ; mais aussi, outre ces genres qui faisaient accourir la majorité du public, des pitreries chez Bobèche ou les mimes (ceux de Baptiste Debureau) au Théâtre des Funambules – genres populaires anciens qui disparurent au cours du siècle. Le succès du vaudeville, qui s'adjugeait la plupart des salles parisiennes, était tel qu'il éclipsa partiellement celui du mélodrame sous le second Empire.

   Les théâtres manifestaient exemplairement la dimension sociale de l'art au XIXe siècle, dans la mesure où ils étaient le lieu d'un partage émotionnel (souvent bruyant) et d'une affirmation identitaire du public comme corps collectif. Aussi furent-ils le lieu d'affrontements artistiques souvent chauds et toujours organisés, dont la bataille d'Hernani (1830) au Théâtre-Français (sanctuaire de la tragédie classique et comme tel emblématique pour le romantisme) fut un exemple célèbre : c'est là en effet que se jouait la fortune ou l'infortune d'un auteur, voire de toute une « école ». Le rôle des comédiens était à cet égard considérable (Hugo le savait, qui sollicita les plus grands pour faire triompher le drame romantique) : Frédérick Lemaître, Bocage, Mlle Mars, Marie Dorval, Rachel furent des « monstres sacrés » adulés par le public, capables de sacraliser des rôles dont ils étaient le plus souvent titulaires et presque propriétaires.

Littérature et oralité

Le XIXe siècle manifesta certes le déclin historique de l'oralité comme forme de l'expression littéraire, mais celle-ci y restait encore fort présente. Ainsi, les auteurs lisaient toujours leurs œuvres dans les salons ou les cercles pour les essayer avant parution. L'éloquence de la chaire (vers les sermons de Lacordaire) n'avait plus l'importance qui était la sienne sous l'Ancien Régime, mais celle de la tribune parlementaire était, à la suite des grandes heures de la Convention ou de la Constituante, à son apogée : y brillèrent particulièrement des orateurs comme les députés Royer-Collard, B. Constant, Montalembert, Berryer, Lamartine ou Hugo. De même, la chanson était un genre fort prisé. Hugo y sacrifia, Béranger y acquit une grande gloire, et contribua par là à la diffusion de la « légende napoléonienne ». Les chansons se multiplièrent en particulier pendant les périodes d'effervescence politique (révolution de 1789-1795, 1848, Commune), mais elles furent progressivement cantonnées, dans la seconde moitié du siècle, dans un registre populaire tenu pour inférieur – ce qui justement la fit revendiquer par des poètes comme Verlaine, Rimbaud ou Laforgue.