Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Robinson (Kim Stanley)

Écrivain américain (Californie 1952).

Il s'est fait connaître par des romans (le Rivage oublié et Icehenge, 1984 ; la Côte dorée, 1988) et des recueils de nouvelles (la Planète sur la table, 1986 ; Escape from Katmandu, 1989) avant de livrer son énorme utopie martienne (Mars la rouge, 1992 ; Mars la verte, 1993 ; Mars la bleue, 1996). Il y raconte la terrafomation de Mars dans une optique progressiste, où l'instauration d'une société en rupture avec la frénésie contemporaine apparaît comme seule alternative au déclin et à la chute souvent dépeints dans ses textes des années 1980. Antarctica (1997) envisage l'avenir du continent blanc, avec le réalisme poussé qui caractérise son style.

robinsonnade

Le modèle de la « robinsonnade » est le Robinson Crusoé (1719) de Daniel Defoe, dont la littérature française de colportage s'empara immédiatement, en le réduisant à un roman d'aventures, ou parfois à un manuel du parfait « bricoleur-agriculteur-éleveur ». À partir de la fin du XVIIIe s., chaque pays voulut avoir son Robinson. Le plus célèbre est le Robinson suisse (1813) de J. D. Wyss, qui, à travers l'aventure d'une famille, exalte la communauté familiale et la nature.

   Robinson est fortement exploité au XIXe s., (plus de 40 robinsonnades en France entre 1840 et 1875) à des fins d'édification morale : un enfant seul, abandonné, luttant pour sa survie, devient un modèle pour les jeunes lecteurs. D'autres romans tendent à ne retenir que l'aventure sur une île déserte – l'Île de corail (1857) de R. M. Ballantyne, l'Île mystérieuse (1874) de Jules Verne, et surtout, l'Île au trésor (1882) de R. L. Stevenson. Du Robinson des glaces (1835) de E. Fouinet à Images à Crusoé (1909) de Saint-John Perse, de G. Hauptmann (Die Insel der grassen Mutter, 1924) à W. Golding (Sa Majesté des mouches, 1954), de Giraudoux (Suzanne et le Pacifique, 1921) à Michel Tournier (Vendredi ou les Limbes du Pacifique, 1967), Robinson apparaît comme une figure de l'homme occidental, à la fois victime et héros de la solitude, aux prises avec lui-même et avec le monde extérieur, affronté à son « autre », Vendredi, image de toutes les indigénités que rencontre l'Occident.

   Marx a rendu célèbre le terme de robinsonnade pour désigner l'utopie au sens le plus réducteur : « la révolution sur cinquante kilomètres carrés ». La robinsonnade suppose une conscience supérieure qui réorganise le réel. À quoi s'oppose la révolution selon le matérialisme historique, c'est-à-dire la révolution appuyée sur une classe nouvelle. La robinsonnade demeure l'une des formes de l'idéologie libérale, qui repose sur la confiance en l'inventivité et sur une certaine plasticité de la nature. De plus, la présence de Vendredi est là pour dire la hiérarchie dans l'entreprise, la nécessité d'une humanité inférieure mais associée à l'effort « commun ». Jules Verne, dans le cadre d'un paternalisme éclairé, reprendra ces éléments. Transformées en théories politiques et idéologiques (Fourier, Proudhon, mouvements coopératifs, rêves d'autarcie communautaire), les robinsonnades, l'Icarie de Cabet et les deux utopies balzaciennes du Médecin de campagne et du Curé de village, engendrent l'illusion.

   Pour Marthe Robert, la robinsonnade fait couple avec la donquichotterie et désigne l'une des formes du roman familial : roman de la rupture avec la famille, imposée par le « hasard », roman du reniement, c'est-à-dire de la régression préœdipienne et préhistorique, puis de la fondation compensatrice et gratifiante. Aux origines de toute entreprise utopique, il existe une transgression liée au désir de remplacer la filiation « naturelle » par une filiation choisie et, dans le cas particulier de la robinsonnade, forgée. La robinsonnade suprême est la création romanesque par laquelle l'auteur orphelin devient le patriarche incontesté de tout un monde qui ne dépend que de lui.

Roblès (Emmanuel)

Écrivain français (Oran 1914 – Boulogne-Billancourt 1995).

Marqué par la nature méditerranéenne et la confrontation des cultures arabe et européennes (espagnole et française) en Algérie, ce pied-noir débute dans le journalisme, voyage, élabore des romans sur les luttes sociales et politiques de l'époque et l'épreuve de la guerre (l'Action, 1938 ; Nuit sur le monde, 1944). Fondateur de la revue Forge, auteur fêté de Cela s'appelle l'aurore (roman, 1952), encouragé par son grand ami Camus, il se tourne vers le théâtre et y pose des cas de conscience moraux (Montserrat, 1949 ; Plaidoyer pour un rebelle, 1966). Il poursuit, sur le mode autobiographique (Jeunes Saisons, 1961) ou romanesque, l'analyse d'êtres ou de sociétés déchirés (les Couteaux, 1956 ; la Croisière, 1968 ; Saison violente, 1974 ; Venise en hiver, 1981 ; la Chasse à la licorne, 1985).

Robleto (Hernán)

Écrivain nicaraguayen (Camoapa, Boaco, 1892 – 1971).

Fondateur des revues el Impartial, Novedades et la Flecha, il est l'auteur de romans : Sang dans les tropiques (1930) a pour thème l'intervention yankee au Nicaragua, et Une femme dans la forêt (1936) relate sur le mode fantastique une déconcertante histoire d'amour entre un homme et une femme. Il a également laissé des récits (la Mascotte de Pancho Villa, 1934) et une pièce de théâtre, la Croix de cendre, sur les coutumes des paysans nicaraguayens.

Roccatagliata (Ceccardi)

Poète italien (Ortonovo, La Spezia, 1871 – Gênes 1919).

Ouvert à diverses influences, de Carducci à D'Annunzio, des parnassiens aux symbolistes français, ce « poète maudit » manifeste un profond, quoique décadent, sens du mythe des paysages : le Livre des fragments (1895) ; le Passant (1904) ; Apua mater (1905) ; Sonnets et poèmes (1910) ; Syllabes et ombres (1925).

Roche (Denis)

Écrivain, photographe et éditeur français (Paris 1937).

Membre de Tel Quel (1962-1973), il entre en littérature par le poème, qu'il définit comme « une arête rectiligne d'intrusion ». Cette première période (Forestière amazonide, 1962 ; Récits complets, 1963 ; les Idées centésimales de Miss Élanize, 1964 ; Éros énergumène et Dialogues du paradoxe et de la barre à mine, 1968) aboutit au constat formulé dans le Mécrit (1972) : « La poésie est inadmissible, d'ailleurs elle n'existe pas. »

   Louve basse (1976) expérimente ensuite les limites du roman : tel Diogène, il faut briser son écuelle pour espérer dégager une Matière première (1976) des Dépôts de savoir & de technique (1980) que forment les conventions rhétoriques. La quête de la création va « au-delà du principe d'écriture », le bricolage esthétique s'effectuant à base de fragments hétéroclites contraires à la constitution d'un sens plein et définitif (Ellipses et laps, 1991). Les Essais de littérature arrêtée (1981) sont autant de Conversations avec le temps (1985) et révèlent l'obsession de la mort (Trois Pourrissements poétiques, 1972 ; Écrits momentanés, 1988 ; Dans la maison du sphinx, 1992).

   Sensible à la plasticité de la représentation (Éloge de la véhémence, 1970 ; Lutte & Rature, 1971, avec Dufour), cofondateur des Cahiers de la photographie (1980) et photographe lui-même, Roche développe une réflexion sur la lumière à partir de sa propre pratique (la Disparition des lucioles, 1982 ; Photolalies, 1988 ; le Boîtier de mélancolie, 1999). Se rejoignent ainsi l'instantané de l'autoportrait (Notre antéfixe, 1978 ; Légendes de Denis Roche, 1981) et la précipitation de l'acte scriptural, l'ouverture du diaphragme et le souffle de l'« effort cantatoire », la tension du voyage intérieur et l'Embarquement pour Mercure (1996, avec Butor).