Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
L

La Bruyère (Jean de) (suite)

Style acéré et art de la pointe

Le meilleur indice de la position effectivement occupée par La Bruyère est le ton particulier qu'il donne à son ouvrage. Le genre d'écriture qu'il pratique ne peut avoir de sens qu'au prix d'une recherche de l'expression : en effet, la forme du fragment oblige à une formulation condensée, lapidaire souvent, qui doit unir la densité et l'agrément. Là encore, il se fonde sur une doctrine toute classique, celle qui prône le souci de la formulation exacte ; d'autre part, il cherche à tenir en éveil l'esprit du lecteur en lui offrant le plaisir de la diversité. Ainsi, ses portraits sont savamment mis en scène : ils débutent volontiers comme des pièces de théâtre, créant un effet de surprise, recourant ex abrupto au style direct. Ils sont plus des portraits en action que des descriptions : une telle théâtralisation donne vie au texte, de même que la combinaison de trois types différents de fragments y est propice à des variations de rythme. Mais l'essentiel est à chercher dans le rythme de la phrase. La Bruyère joue sur les énumérations, les clausules et sur ce que l'on a nommé des « guillotines » (phrases brèves et incisives intervenant dans une construction plus ample et plus modérée). Il obtient ainsi une écriture « coupée » qui crée des effets de surprise. Il joue aussi sur le sens des mots, faisant naître l'humour du dévoilement inattendu d'un sens second et ironique, comme dans cette formule métaphorique aussitôt suivie de son explication : « La cour est comme un édifice bâti de marbre : je veux dire qu'elle est composée d'hommes fort durs mais fort polis. » Le style des Caractères, jouant de dissymétries et de ruptures, vise à l'effet, dans le meilleur sens du terme, c'est-à-dire à l'efficace. La tension du texte, la visibilité du travail, l'habitude du trait final et exécutoire donnent à l'œuvre une musicalité certaine.

La Calprenède (Gautier de Costes de)

Écrivain français (Toulgou-en-Périgord 1610 – Le Grand-Andely 1663).

Il débuta par des tragédies (la Mort de Mithridate, 1635) et des tragi-comédies (Bradamante, 1637), mais ce sont trois romans qui firent de lui l'un des auteurs les plus lus de son siècle : Cassandre (1642-1660), Cléopâtre (1647-1658), Faramond, terminé par Vaumorière (1661-1671). Mêlant l'héroïsme cornélien à la tradition courtoise du roman de chevalerie, ces œuvres s'inscrivent dans l'esthétique du roman héroïque et galant.

La Capria (Raffaele)

Écrivain italien (Naples 1922).

Auteur d'essais, il s'est surtout imposé comme romancier avec la trilogie Trois Romans d'une journée, 1982 : Un jour d'impatience, 1952 ; Blessé à mort, 1961 ; Amour et Psyché, 1973. Naples est la source de son inspiration : cette ville qui, loin des clichés, est surtout une « ville qui te blesse ou qui t'endort », le paradigme même de l'aliénation. Ces réflexions existentielles et sociales sont poursuivies dans ses derniers romans (Harmonie perdue, 1986 ; la Neige du Vésuve, 1988 ; Œil de Naples, 1994).

La Ceppède (Jean de)

Poète français (Marseille v. 1550 – Avignon 1622).

Conseiller au parlement d'Aix, puis président de la Chambre des comptes de Provence, il est l'un des représentants les plus éminents de la poésie religieuse baroque. Ses Imitations des psaumes de la pénitence de David (1594-1612) et ses Théorèmes sur le sacré mystère de notre rédemption (1613-1621) rassemblent des sonnets, qui retracent dans un lyrisme intense, empreint d'une profonde spiritualité, les souffrances du Christ.

La Chaussée (Pierre Claude Nivelle de)

Auteur dramatique français (Paris 1692 – id. 1754).

Ruiné en partie par la banqueroute de Law, cet amateur de femmes prêcha au théâtre la fidélité conjugale (le Préjugé à la mode, 1735). Contre Houdar de La Motte, il défendit la tradition poétique (Épître à Clio, 1731) et triompha à la scène (la Fausse Antipathie, 1733, l'École des mères, 1745...), où il imposa la « comédie larmoyante ». Malheurs familiaux et héros vertueux qui « sanglotent des abstractions » (Lanson) forment, au vers près, l'ancêtre direct du drame bourgeois.

La Condamine (Charles Marie de)

Géographe, naturaliste et écrivain français (Paris 1701 – id. 1774).

Il se consacra aux études scientifiques et fit plusieurs grands voyages, qui le menèrent au Pérou, en Amazonie et en Guyane. Il en tira notamment la Relation abrégée d'un voyage fait dans l'intérieur de l'Amérique méridionale (1745) et le Journal d'un voyage fait par ordre du roi à l'équateur (1751), s'inscrivant dans la mode des relations de voyage.

La Fayette (Marie-Madeleine Pioche de Lavergne, comtesse de)
ou Marie-Madeleine Pioche de Lavergne, comtesse de Lafayette

Romancière française (Paris 1634 – id. 1693).

De petite noblesse, elle reçut à Paris une solide instruction sous la direction de Ménage. En 1655, elle épousa le comte de La Fayette, qui vécut toujours loin de sa femme, en province. Tout en étant l'amie de nombreuses figures de la Cour (la duchesse d'Orléans, Mme de Sévigné, Condé), elle n'en fit jamais vraiment partie, se contentant de fréquenter certains salons et d'en tenir un elle-même, rue de Vaugirard, où elle reçut, outre Mme de Sévigné, La Fontaine, Segrais et La Rochefoucauld, avec lequel elle se lia d'une grande amitié à partir de 1665. Son œuvre romanesque rompt avec l'imagination tout extérieure et mécanique des romans chevaleresques. Dédaigneuse de la mode, hostile à l'artifice et à la convention, soucieuse de ne jamais ennuyer et de ne jamais se répéter, elle met au point la véritable illusion romanesque, celle qui fait fi de l'illusion. La Princesse de Montpensier (1662), nouvelle historique et sentimentale, est d'une grande unité de ton et met en jeu un argument simple. L'auteur rompt avec l'intellectualisme du roman traditionnel, tout en conservant intact le souci de soi et de la « gloire ». La pureté du sentiment est à la fois acceptation de l'instinct et volonté de le vaincre si, au bout du compte, il le faut pour se « gagner » soi-même. La première partie de Zayde, écrite en collaboration avec Huet, Segrais et La Rochefoucauld, paraît en 1669 ; la seconde, signée par Segrais, en 1671. Cette nouvelle « mauresque » permet l'épanchement du rêve et une peinture précise et cruelle de la jalousie.

   La Princesse de Clèves (1678) marque l'irruption du tragique dans le monde de la retenue et du respect des convenances. Mlle de Chartres, élevée pieusement par une mère aimante et amie, épouse, sans doute trop rapidement, un homme qui l'aime éperdument, le prince de Clèves. Cependant la réciprocité des sentiments ne s'inscrit pas dans la même intensité. À peine apparue à la cour, la princesse de Clèves suscite la passion du duc de Nemours, mais, par fidélité à son mari, peut-être même par crainte d'une passion grandissante et réciproque pour cet homme brillant, elle refuse toute approche et ne cesse de fuir le galant homme.

Le tragique du romanesque

À partir d'une situation apparemment simple, et à l'intérieur d'un cercle social extrêmement étroit, se pose en fait un problème psychologique et social extraordinairement complexe ; de même, à la subtilité du réel correspond la subtilité d'une phrase où rien n'est jamais ni oublié ni superflu. L'intérêt très neuf donné au contexte politique, s'il inscrit le roman dans une durée historique précise, n'affaiblit pas l'intensité intérieure des personnages : la vérité du cadre participe de celle du sentiment. Tout concourt à la profondeur du drame : les retraites à Coulommiers, qui mesurent les étapes et permettent les examens psychologiques ; le refus de l'amour à mesure de son accroissement (qui marque le double crescendo, quasi tragique, de l'œuvre, par un mécanisme de refus et d'acceptation, de maîtrise de soi et d'abandon) ou le thème duel de l'aveu (qui libère la conscience et précipite le drame). Présent, on fuit Nemours, et absent, on le cherche. Clèves, gentilhomme exquis, meurt d'amour au bord du délire. Quant à la princesse devenue libre, elle refuse d'épouser Nemours et finit ses jours dans un cloître : triple héroïne de l'amour, de la vertu et des convenances.

   D'un point de vue narratologique, Mme de La Fayette crée une forme nouvelle et originale, qui se révèle un puissant auxiliaire dans l'analyse psychologique des personnages : le psycho-récit, selon la formule de J. Rousset. Pour faire connaître au lecteur les tropismes contradictoires qui déchirent l'intérieur du personnage, les pensées et paroles intérieures sont saisies au moment même où elles prennent naissance chez le personnage. Ni monologue intérieur, ni discours au style indirect libre, le texte s'immisce dans une zone floue de la conscience, là où elle s'enracine dans l'inconscient. Ce traitement particulier de la donnée narrative confère à cette œuvre une étonnante modernité et l'apparition de procédés que le nouveau roman explorera plus amplement.