Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
V

vieux perse

Ancêtre du moyen perse et du persan, écrit de gauche à droite en caractères cunéiformes, à l'aide d'un syllabaire de 37 signes, le vieux perse est attesté par des inscriptions achéménides (avec souvent une version en élamite et en babylonien), dont la plus importante est la célèbre inscription rupestre de Darius à Béhistoun.

Vigée (Claude)

Écrivain français (Bischwiller 1921).

Issu d'une famille juive d'Alsace (Les orties noires flambent dans le vent : un requiem alsacien, 1984), il enseigna aux États-Unis puis à Jérusalem. Ses recueils (le Soleil sous la mer, 1972 ; Délivrance du souffle, 1977) et ses essais (l'Été indien, 1957 ; Révolte et Louanges, 1962 ; Moisson de Canaan, 1967 ; la Lune d'hiver, 1970 ; l'Extase et l'Errance, 1982 ; Pâque de la parole, 1983 ; Dans le silence de l'aleph, 1992) marqués par le problème du langage, la théma– tique existentielle et religieuse de l'« exil » et du « retour », sont écrits dans une langue intensément musicale, caractérisée par la fusion d'images bibliques et de métaphores personnelles. Il écrit aussi en dialecte alsacien et en langue allemande, et a traduit Rilke, Y. Goll, T. S. Eliot. Un Panier de houblon, son journal, comporte deux volumes (1994, 1995).

Vigenère (Blaise de)

Traducteur, polygraphe et kabbaliste français (Saint-Pourçain 1523 – 1596).

Esprit universel, il a laissé une œuvre qui trouve son unité profonde dans une doctrine ésotérique articulée en trois disciplines correspondant chacune aux trois grandes parties de l'Univers : l'alchimie, science du monde élémentaire (Traité du feu et du sel, 1618) ; la magie, science de la Nature (Traité des comètes (1578) ; la Kabbale enfin, science du monde spirituel (Traité des chiffres ou Secrettes Manières d'escrire, 1587). L'herméneutique léguée par le vieux fonds de la tradition kabbalistique juive – tradition revivifiée par les humanistes chrétiens de la Renaissance, dont le chef de file fut, en France, Guillaume Postel – lui fournit la base d'un système de déchiffrement des signes de la langue conçus comme autant d'expressions de la pensée divine et de reflets de l'organisation générale de l'Univers. C'est du même dessein fondamental que procèdent ses traductions d'auteurs latins (Cicéron, César, Tite-Live) et grecs (Philostrate, Chalcocondyle). Expression, dans le domaine de la prose, de l'esthétique maniériste propre à la fin du XVIe siècle, elles participent du grand essor de la prose française qui, au XVIe s. (cf. Amyot), succède, en le prenant pour modèle, à celui de la poésie. C'est encore le même dessein qui inspire à Vigenère sa traduction des Psaumes pénitentiels de David en « prose mesurée », tentative d'adaptation à la langue des qualités rythmiques du langage biblique.

Vigneulles (Philippe de)

Chroniqueur et conteur français (1471 – 1528).

Devenu par sa profession un bourgeois très riche, doué pour les arts, il s'employa à écrire. Ont été édités son Journal (1471-1522), ses Chroniques de la ville de Metz, qui mêlent légendes sur les origines de la cité et relation d'événements historiques auxquels l'auteur a assisté en direct, et surtout les Cent Nouvelles nouvelles, composées entre 1505 et 1515, dont le modèle est le célèbre recueil édité par Antoine Vérard.

Vigny (Alfred, comte de)

Écrivain français (Loches 1797 – Paris 1863).

Issu d'une famille aristocratique de militaires et de marins fidèles à l'Ancien Régime, dont les récits ont bercé son enfance, il échappe, en 1814, à la honte de devoir servir l'usurpateur et entre aux mousquetaires rouges ; il accompagne Louis XVIII à Gand lors des Cent-Jours. En 1816, lors du licenciement des compagnies rouges, il est versé dans la garde royale puis, en 1823, au 55e de ligne, avec le grade de capitaine. En 1827, il éprouve la double déception de ne pas participer à la guerre d'Espagne (séjour aux Pyrénées d'où naîtra le Cor) et de ne pas être promu comme il l'espérait. Il se fait alors réformer. Épris de Delphine Gay (future Mme de Girardin), Vigny épouse en 1827 une Anglaise, Lydia Bunbury. Rentré à Paris, il recommence à fréquenter les cénacles romantiques – catholiques et légitimistes, mais aussi profondément marqués par l'exemple de Byron –, auxquels il s'était déjà mêlé de 1820 à 1823.

   Ses premiers Poèmes, avec « Héléna », avaient paru en 1822 ; en 1824, il avait publié Éloa ou la Sœur des anges. Les Poèmes antiques et modernes avaient été rassemblés pour la première fois sous ce titre en 1826 et, malgré les critiques de Sainte-Beuve, avaient connu un grand succès. L'ordre du recueil – poèmes mystiques (« Moïse », « Éloa », « le Déluge »), poèmes antiques (« la Fille de Jephté », « la Femme adultère », « le Bain de Suzanne », « la Dryade », « Symétha », « le Bain d'une dame romaine »), poèmes modernes (« Dolorida », « la Prison », « la Neige », « le Cor », « le Bal », « la Frégate la Sérieuse ») – suggère le dessein d'une épopée poétique des âges successifs de l'humanité : en ce sens, Vigny est le précurseur de la Légende des siècles de Hugo et des poèmes de Leconte de Lisle. Les scènes historiques qui font du poète, selon son propre mot, un « moraliste épique » servent de symboles à une philosophie pessimiste qui annonce celle des Destinées.

   Dès la fin de sa carrière militaire, Vigny avait aussi préparé des œuvres en prose. Cinq-Mars (1826), roman historique et philosophique, fait le procès d'une monarchie absolue et centralisatrice (Richelieu) qui, sapant la noblesse, aurait préparé la Révolution française. Allant plus loin que son modèle, Walter Scott, dans la politisation du genre historique, Vigny donne aussi l'un des premiers exemples de ce que peuvent être un dramatique et un pathétique « modernes » et français rompant avec la tradition antique.

   Encouragé par le succès de Cinq-Mars, il avait écrit Stello (1832), entretien entre le poète Stello et le docteur Noir, qui lui enseigne, à la faveur de trois récits, que le poète est condamné par la société, quelle qu'en soit la forme politique : monarchie absolue (histoire de Gilbert), régime parlementaire (histoire de Chatterton, dont Vigny tirera ultérieurement un drame), république (histoire d'André Chénier). L'ordonnance par laquelle le docteur conclut consiste à séparer la vie poétique de la vie politique, et à accomplir, seul et libre, sa mission. Un autre récit à thèse suivit : Servitude et Grandeur militaires (1835), sur la fatale destinée des soldats.

   Au théâtre, Vigny avait participé à la bataille romantique (Othello, 1829). En 1831, il fait représenter la Maréchale d'Ancre, drame en prose, et surtout, en 1835, Chatterton. Ce drame en trois actes et en prose qu'il tire de son roman Stello met en scène le poète anglais Chatterton, violemment opposé à l'industriel John Bell, nouveau baron du monde moderne. Il reçoit l'appui d'un quaker, vivement anticapitaliste au nom des vraies valeurs religieuses. L'épouse de John Bell, Kitty, exprime la solidarité spontanée des femmes et des intellectuels dans la société nouvelle fondée exclusivement sur les intérêts. Chatterton, une des pièces maîtresses du procès de la société marchande par le romantisme, dut aussi beaucoup de son succès à la création remarquable de Marie Dorval (dont Vigny était l'amant depuis 1831) dans le rôle de Kitty Bell.

   Toute cette production est à lire dans le cadre d'une condamnation sans appel du régime né de la révolution de Juillet, sans honneur et sans valeurs. Après 1837, date de la mort de sa mère et de sa rupture avec l'actrice Marie Dorval, Vigny, plein d'amertume et de déception, s'éloigne de plus en plus des milieux littéraires actifs, gardant pour la seule poésie la meilleure part de son inspiration ; il publie, à intervalles irréguliers, quelques grands poèmes dans la Revue des deux mondes (« la Sauvage », « la Mort du loup », « la Flûte », 1843 ; « la Maison du Berger », « le Mont des Oliviers », 1844 ; « la Bouteille à la mer », 1854). Élu, après cinq échecs, à l'Académie française, en 1845, il est blessé par la réponse du comte Molé à son discours de réception qui avait malmené les hommes de l'Empire. Il vit tantôt dans la solitude du Maine-Giraud, près de Blanzac, dans l'Angoumois, tantôt à Paris. La révolution de 1848 l'enthousiasme d'abord ; mais l'évolution des événements et son propre échec aux élections en Charente lui apportent une nouvelle déception : il se rallie à l'Empire, après s'être rallié, par peur du socialisme, au parti, fût-il orléaniste, de l'Ordre. Il mourut, après de longues souffrances, d'un cancer à l'estomac, stoïque, incroyant, mais respectueux de la religion de ses ancêtres.

   Son recueil de poèmes philosophiques, édité par L. de Ratisbonne en 1864 sous le titre les Destinées, contient six poèmes (« la Sauvage », « la Mort du loup », « la Flûte », le Mont des Oliviers, la Maison du berger, la Bouteille à la mer) parus en revue du vivant du poète en 1843-1844, un septième, « la Colère de Samson », publié en 1864, et quatre pièces nouvelles. Le titre est emprunté au premier poème du volume. La disposition des pièces, conforme aux intentions du poète, conduit la pensée des lois fatales imposées par le destin (les Destinées), la nature (la Maison du berger), l'amour (la Colère de Samson), la politique (les Oracles), les « organes mauvais » qui « servent l'intelligence » (la Flûte), la scandaleuse volonté d'un Dieu silencieux et absent (le Mont des Oliviers), aux raisons d'espoir qu'apportent le génie vainqueur de l'ignorance et de l'oubli (la Bouteille à la mer), le courage, vainqueur de la barbarie (Wanda), enfin l'Esprit pur, « roi du monde » dont la définition reste assez vague, sauf dans son refus des valeurs utilitaristes. Une suite de Stello, une deuxième « consultation du docteur Noir », paraîtra en 1912 sous le titre de Daphné : elle évoque la lutte des anciennes croyances et de la foi nouvelle au temps de l'empereur Julien. Du Journal d'un poète, publié pour la première fois en 1867, une édition considérablement enrichie a été procurée en 1948. Depuis ont vu le jour des Mémoires inédits (1958).

   Vigny a laissé l'exemple d'une poésie qui, tout en continuant à recourir au discours versifié et à la rhétorique, amorce un intéressant passage à l'utilisation systématique du symbole, et celui d'une œuvre centrée sur l'idée de l'exclusion, dans la modernité, de parias tous représentatifs de l'intelligence, de l'honneur, de l'authenticité : le soldat, le noble, l'intellectuel. Il a cru, également, très fort aux vertus pédagogiques de la littérature et de la poésie. Cet homme, finalement ou en apparence, d'ordre, est l'un des grands témoins de la déshumanisation du siècle de la liberté libérale.