Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Malinké

Les Malinké, au nombre d'une quinzaine de millions, dont la langue est le mandingue, sont appelés Dyula en Côte d'Ivoire, où ils sont musulmans, Bambara au Mali, Soussou en Guinée, et vivant dans les régions allant du Fouta au fleuve Niger. Ils ont une forte conscience de leur unité ancienne, conférée par l'appartenance à l'empire du Mali, fondé par Soundjata Keita, au début du XIIIe cycle. Les griots, ces aèdes stipendiés groupés en castes endogames, ont conservé le souvenir des campagnes de Soundiata et permis de confronter leur mémoire avec les vestiges de l'archéologie. De multiples versions de ce cycle épique existent, recueillies auprès des griots des divers groupes malinké. De plus, cette épopée a donné lieu à de nombreuses adaptations littéraires en français, comme celle de l'historien D. T. Niane (Soundiata, 1960). D'autres épopées rappellent les faits de guerre des groupes malinké. La littérature des chasseurs a aussi été éditée. Les Malinké occupent une place centrale dans l'africanisme français : leur langue – le mandingue – a été étudiée depuis la fin du XIXe siècle, mais ce n'est qu'à la fin du XXe qu'une standardisation permet d'entrevoir la fin de la fragmentation dialectale qui s'est opposée à la naissance d'une production écrite. Ils ont aussi créé un théâtre de farce, le Koteba, encore vivant aujourd'hui.

Mallarmé (Étienne, dit Stéphane)

Écrivain français (Paris 1842 – Valvins 1898).

Cette vie fut vouée à la passion de la poésie, et la célèbre lettre autobiographique à Verlaine (1885) évoque l'aventure spirituelle d'un homme prêt à se consumer, à « sacrifier toute vanité et toute satisfaction » à son dessein artistique, « comme on brûlait jadis son mobilier et les parties de son toit, pour alimenter le fourneau du Grand Œuvre ». Mallarmé n'aurait-il pas vécu ? Il fut toujours discret, voire secret sur sa vie et l'on peut seulement signaler la perte de sa mère à l'âge de sept ans et celle de sa sœur, adolescent. Le jeune bachelier doit travailler et devient surnuméraire chez un receveur ; il cultive des amitiés littéraires comme celle de Mendès et courtise une demoiselle de compagnie allemande, Maria Gerhard, avec laquelle il part pour Londres avant de l'épouser. Devenu chargé de cours à Tournon, il commence une laborieuse carrière de professeur d'anglais, en butte aux soucis administratifs et aux ennuis d'argent. Le soutiennent des amitiés comme celles d'Emmanuel des Essarts, d'Henri Cazalis ou d'Eugène Lefébure, ses principaux correspondants, ou des sympathies comme celles de Coppée, de Glatigny, de Mistral, ou de Villiers de l'Isle-Adam, un des rares contemporains qui l'aient compris. Il est déjà bien loin des influences des poètes qui l'enchantèrent adolescent : Gautier, dont l'esthétique lui semble rapidement insuffisante et dangereuse, et Baudelaire surtout. Les dix poèmes qu'il a envoyés en 1866 au Parnasse contemporain et qui ont été tous acceptés s'inscrivent dans cette dernière veine : c'étaient des œuvres de jeunesse ; pourtant le poète partagera longtemps encore le goût baudelairien des bijoux somptueux, des toilettes raffinées, tout un dandysme que l'on retrouve dans la revue qu'il compose seul en 1874, la Dernière Mode, où il conseille bibelots et parures avec une légère préciosité. Il a déjà commencé « le Livre », cette somme qu'il dit impossible pour une vie et à laquelle il tente néanmoins d'arracher quelques bribes comme cette « Scène » d'Hérodiade publiée dans le deuxième Parnasse. L'Après-midi d'un faune est refusé par Lemerre en 1874 comme elle avait été refusée en 1865 par Banville et le poète semble alors se tourner vers des travaux plus aisés ; il préface Vathek (1876), un conte oriental écrit en français en 1782 par le fantasque lord anglais Beckford ; il traduit les Poèmes (1877) d'Edgar Poe, auteur qu'il admire au même titre que Baudelaire au point qu'il veut un moment leur consacrer à tous deux une thèse. Il entreprend des ouvrages qui mêlent érudition et réflexion comme les Mots anglais, introduction à l'étude de la langue et recueil de vocabulaire, ou les Dieux antiques (1880), essai de mythologie. Il s'intéresse à la peinture et son ami intime, Manet, lui fait connaître Degas, Monet, Renoir, Odilon Redon et Gauguin. Sa production poétique, peu abondante, se raréfie encore avec la mort de son jeune fils de huit ans. Mais, peu à peu, il se fait connaître ; la même année, en 1884, deux écrivains attirent l'attention sur lui : Verlaine, qui lui consacre un volet de ses Poètes maudits, et Huysmans qui fait de lui, dans À Rebours, un auteur de prédilection de son héros décadent, Des Esseintes, envoûté par « cette littérature condensée, ce coulis essentiel, ce sublimé d'art ». Malgré les sarcasmes de journalistes offusqués par la nouveauté d'une écriture qui ne vise pas à plaire et qui leur semble obscure donc mystificatrice, il s'affirme dans un milieu restreint et attire à ses réunions de la rue de Rome, ses « mardis » bientôt célèbres, de jeunes poètes comme G. Kahn, Vielé-Griffin, Saint-Pol Roux, H. de Régnier ou R. Ghil (dont il préface le Traité du verbe), auxquels s'adjoindront ensuite Valéry, Gide et P. Louÿs, qu'il captive par de longues causeries, émanations de ses méditations poétiques. Il a obtenu tôt sa retraite, fait quelques conférences (sur Villiers, à Bruges, à Oxford) et préfère se retirer solitaire, dans une petite maison louée à Valvins, près de la Seine, où il décide d'élaborer enfin sa grande œuvre. Il lui faut dix ans, qu'il n'aura pas : un spasme de la gorge qui lui laisse seulement le temps de rédiger un testament pathétique (« il n'y aura pas d'héritage littéraire... croyez que ce devait être très beau... ») l'étouffe et l'emporte. Une édition complète de ses poésies paraîtra en 1913, ses Vers de circonstance en 1920 et Igitur en 1925.

Le défaut des langues

L'aventure mallarméenne commence par un rêve fou d'unité, par la nostalgie de Babel, d'une langue souveraine, transparente réduplication de l'univers. La séparation des idiomes met en évidence le clivage qui sépare langage et réel. Le monde se trouble, le référent devient incertain et les mots parviennent à acquérir comme une indépendance étrange. Est-ce là une quête de l'essence ? Le poète sait qu'elle est impossible et c'est pourquoi, si la tentation philosophique et métaphysique existe chez lui, ses recherches sur le langage interdisent toute solution de cet ordre, tout véritable cratylisme. La vérité ne saurait s'atteindre sans les mots et pourtant ceux-ci ne sont plus ces liens invisibles qui nous relient à elle. Leur opacité va même devenir objet d'étude et de plaisir pour le poète, qui a parfois tendance à leur réification – le mot devenant objet, joyau, avec le risque d'engloutir en lui qui l'énonce. Les traductions, exercices propres à faire surgir le décalage entre les mots et les choses (puisque le mot ne recoupe dans aucune langue le même lambeau de réel), ont permis en outre à Mallarmé de s'imprégner de Poe, et en particulier de ses poèmes lancinants et euphoniques (« le Corbeau », « les Cloches », ou « Annabel Lee »). Nul doute qu'il ne se découvre là une soudaine filiation et que son attention à la texture des mots, à leurs phénomènes d'échos réciproques, à leur nécessaire disposition qui fait échec au hasard s'en soit accrue. Le voici donc qui décide, selon Bonnefoy, « par intransigeance d'esprit, sans doute aussi par décision de méthode, d'abandonner presque tout ». Cette renonciation douloureuse, toujours à reprendre, est pleine de promesses et, en privilégiant le signifiant par rapport au signifié, elle ouvre démesurément à la poésie le champ mouvant, mais d'une richesse prodigieuse, des connotations. Ce qui s'opère avec Mallarmé est pourtant une disparition et ce qui est irrémédiablement perdu désormais, c'est le sens. Jamais les exégèses n'auront semblé plus dérisoires que celles, maladroitement et laborieusement plaquées sur des textes énigmatiques et scintillants, des poèmes mallarméens. La poésie de Mallarmé se dresse sur les fondations détruites de la tour impossible, avec l'infini désir pourtant d'être un langage absolu, dont il ne nous reste qu'une version affaiblie et pauvre, cet instrument utilisé quotidiennement pour communiquer. Et c'est pour cela que Mallarmé, malgré ses premières collaborations, n'est pas un parnassien et sans doute bien peu un simple symboliste : derrière les mots, il n'est pour lui ni silhouette froide de marbre grec ni bruissement cosmique de symboles, bien plutôt en premier lieu un vide.