Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Rozanov (Vassili Vassilievitch)

Écrivain russe (Vetlouga 1856 – Serguiev 1919).

Marié à Apollinaria Souslova, qui fut la maîtresse de Dostoïevski, il gagna sa vie comme professeur puis comme fonctionnaire. Il commence par écrire des essais philosophiques, un article sur Dostoïevski (la Légende du Grand Inquisiteur, 1891), puis mène une carrière de journaliste et de polémiste, slavophile et conservateur, fortement antisémite. Il rejette le christianisme à cause de sa morale et de son ascétisme et cherche à retrouver une religion « organique » en magnifiant la sexualité, l'acte sexuel lui-même (la nuit de noce devrait avoir lieu dans l'église), la fertilité (la « semence ») ou le foyer familial (celui qu'il fonde avec sa seconde compagne). Individualiste, alliant un raffinement intellectuel à une sorte d'exhibitionnisme, il demeure un maître du mot, mêlant la métaphore au trivial, le pathétique à l'indécence. Il est aussi l'inventeur, avec les Feuilles tombées (1913 et 1915) et l'Apocalypse de notre temps (1918), d'une forme d'expression radicalement nouvelle, une écriture par fragments regroupés en « paniers » où le cheminement de sa pensée se dévoile dans sa nudité, avec ses contradictions, et sans se soucier de l'image ainsi donnée.

Rozewicz (Tadeusz)

Écrivain polonais (Radomsko 1921).

Membre actif de la Résistance polonaise au cours de la Seconde Guerre mondiale, il écrit dans la presse clandestine, puis passe le baccalauréat et poursuit des études d'histoire de l'art à l'université de Cracovie (1945-1949), vit dans le sud de la Pologne, à Wrocław depuis 1968. Il est le poète dont les innovations ont joué un rôle décisif, sur le fond comme sur la forme, dans ce qu'est devenue la poésie créée en Pologne dans la seconde moitié du XXe s. Auteur solitaire, en marge des modes littéraires, il garde ses distances avec les turbulences politiques ou les grandes émotions collectives pour se concentrer sur les thèmes constants de son écriture. Dès son premier recueil, Inquiétude (1947), il aborde une thématique qui par la suite s'avère être le nœud gordien de la littérature polonaise : l'effondrement de la souveraineté du moi. Les conséquences des carnages perpétrés entre 1939 et 1945 vont au-delà des recensements enregistrés sur les livres de comptes : les hommes sont à jamais marqués par une tragédie dont ils sont les survivants, plus ils s'efforceront d'oublier, plus le sentiment de ne pas être capables d'agir par eux-mêmes leur reviendra. L'effondrement de la souveraineté du moi, est un sentiment de vide intérieur. Le poète ne sait définir ce vide que par son incapacité à utiliser la langue pour nommer les choses alors même qu'il ressent la nécessité absolue de trouver les mots qui mettront fin au chaos du monde en instaurant une hiérarchie. L'inquiétude du poète concerne l'homme en qui s'est opéré un dérapage lorsqu'il a dénié le caractère sacré de l'existence humaine, confondu l'homme et la bête, le vice et la vertu, la vérité et le mensonge, la beauté et la laideur. L'abandon des valeurs qui régentaient la culture spirituelle et même matérielle de l'humanité, opéré par le nazisme et le stalinisme, entraîne le « hurlement dans un murmure » d'un être qui n'est plus certain d'exister faute de repères, tandis que sa communication à l'autre, elle aussi, sombre dans le chaos. La poésie qui s'écrit après les camps de concetration n'a plus droit qu'à une expression ascétique, froide, en vers libre postavant-gardiste. Son unique espoir de salut est de retrouver l'authenticité de sentiments simples mais essentiels en se défiant des inclinations contemporaines (culture de masse, société de consommation, libre champ aux pulsions, excès d'émotions confuses, abolition des règles éthiques et des critères esthétiques, cascade d'artifices faciles) qui entraînent vers le néant et suscitent une soif inextinguible d'absolu. Convaincu de la « mort de Dieu » et de la petitesse de l'homme, Różewicz considère que le poète se doit de multiplier les actes de désaccord avec la dévalorisation du monde, de rappeler le caractère éphémère de l'homme et sa mort inévitable. Dans ses œuvres dramatiques, considérées comme relevant des propositions les plus intéressantes du genre dramatique dans la seconde moitié du XXe s., il utilise la poétique du théâtre grotesque et absurde, nie les catégories scéniques établies (espace, temps, cohérence du personnage, causalité des événements), gomme les repères, instaure le chaos du monde contemporain entraîné vers le vide, campe l'agitation des personnages sur les monticules de détritus de notre civilisation. Il n'hésite pas à dénoncer les mythologies guerrières, artistiques, érotiques, à disséquer l'âme des grands peintres, artistes ou écrivains pour s'interroger sur la réalité de l'acte de création. Różewicz est l'auteur de quarante-cinq volumes de poésie, de prose et de théâtre. Ses textes les plus marquants sont des poèmes : Inquiétude, 1947 ; le Gant rouge, 1948 ; Sourires, 1955 ; Formes, 1958 ; la Voix d'un anonyme, 1961 ; Visage troisième, 1968 ; Entretien avec le prince, 1960 ; Rien dans le manteau de Prospère, 1962 ; le Visage, 1964 ; Regio, 1969 ; À la surface du poème et en son centre, 1983 ; le Bas-relief, 1991 ; Un fragment encore, 1996 ; Un fragment encore. Recycling, 1998). Des œuvres en prose : Mort dans de vieux décors, 1970 ; Préparation à une rencontre d'écrivain, 1970 ; Mère s'en va, 1999 : le Fichier, 1960 ; Une vieille dame n'en finit pas d'attendre, 1969 ; À quatre pattes, 1972 ; les Témoins ou notre petite stabilisation, 1964 ; Un vieillard cocasse, 1965 ; le Mariage blanc, 1975 ; Au sable, 1979 ; la Souricière, 1992 ; le Fichier éparpillé, 1997.

Rubayi (Abd al-Rahman Majid al-)

Écrivain et peintre irakien (al-Nâsiriyya 1939).

Peintre de renom et auteur prolixe, il s'essaie à la poésie, dans la mouvance des poètes de la revue Chi'r (Ghars al-ya's, 1964). Il privilégie toutefois la nouvelle et le roman. À une orientation réaliste (le Sabre et le Navire, 1966 ; le Tatouage, 1972) a succédé une écriture angoissée, hachée, parfois absurde ou fantasmatique (Regard en rêve, 1974 ; Mémoire de la ville, 1975 ; la Lune et les Murailles, 1976 ; le Repaire, 1980).