Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
G

Grèce (suite)

La Grèce chrétienne

Les deux premiers siècles

Les plus anciennes œuvres de la littérature grecque chrétienne sont les écrits du Nouveau Testament, dont la rédaction s'étale de 50 à 100. Les textes non canoniques apparaissent dès les dernières années du Ier s., et se rattachent étroitement au Nouveau Testament. D'abord par leur forme littéraire : la plupart d'entre eux sont des épîtres qui prolongent ou codifient une prédication orale (Épître de Barnabé, Lettres de Clément de Rome, d'Ignace d'Antioche, de Polycarpe de Smyrne). D'autre part, les auteurs de ces écrits ont été les disciples des apôtres ou se donnent pour tels, et se proposent de résumer leur enseignement (la Didachê ou « Doctrine des Apôtres ») ou de prolonger les Évangiles (Papias compose des Explications des dits du Seigneur, perdues). Aussi les désigne-t-on sous le nom de « Pères apostoliques ». L'Église ancienne leur a reconnu une autorité exceptionnelle, et plusieurs manuscrits anciens contiennent leurs œuvres en appendice de la Bible.

   Les auteurs chrétiens de la génération suivante (entre 125 et 200) sont appelés « Pères apologistes ». Ils répondent aux attaques des païens (et éventuellement des juifs) dans des écrits qu'ils leur ont destinés ; aussi la philosophie profane, surtout platonicienne et stoïcienne, y est-elle largement utilisée. Ils s'appliquent aussi à démontrer la vérité du christianisme en mettant en avant les prophéties bibliques (Justin), l'ancienneté de la Bible (Tatien), la moralité des chrétiens, qu'ils opposent aux turpitudes de la mythologie païenne (Aristide, Athénagore, Théophile d'Antioche) ; leurs vues théologiques sont encore sommaires. On ne saurait adresser pareille critique à Irénée, évêque de Lyon (178), né en Asie et écrivant en grec. Son traité Contre les hérésies, dirigé contre les gnostiques, associe à son entreprise polémique un travail de réflexion original sur l'histoire du salut, sur les notions d'autorité et de tradition dans l'Église.

Le IIIe siècle

C'est alors qu'apparaissent les premiers travaux d'exégèse et les premiers exposés systématiques de la foi. Ce progrès est rendu possible par la constitution de grandes écoles de théologie, à Antioche, à Césarée de Palestine et surtout à Alexandrie. Cette dernière métropole était depuis des siècles un haut lieu de l'esprit grec, illustré par le Musée et son annexe, la célèbre bibliothèque ; mais il existait parallèlement une tradition juive, sensiblement aussi ancienne. Si les deux courants s'ignoraient souvent, ils confluèrent plus d'une fois, pour donner lieu à des œuvres extrêmement significatives. C'est à Alexandrie que fut traduite en grec la Bible hébraïque (la Septante) ; or, non seulement les traducteurs employèrent la langue grecque, mais ils inclinèrent souvent le sens de l'original hébreu pour le conformer aux idées grecques. Plus tard, aux alentours de l'ère chrétienne, le plus grand témoin de la rencontre des deux cultures sera Philon le Juif ; son exégèse de la Bible, qu'il lit dans la traduction grecque, met à contribution tout l'acquis de la philosophie religieuse grecque ; elle exercera une influence considérable sur les commentaires bibliques des Pères de l'Église grecque, et même latine.

   Ces circonstances ont favorisé la naissance, à Alexandrie, d'une école chrétienne. Le premier maître connu de l'école alexandrine – qui n'était pas encore l'institution officielle qu'elle devint sous Origène – fut un stoïcien converti, le Sicilien Pantène (mort v. 180), dont il ne reste aucun écrit. Mais on a conservé la plus grande partie de l'œuvre de son disciple, Clément d'Alexandrie, dont l'ambition fut de réaliser une transposition chrétienne de la gnose hérétique. Servi par une connaissance parfaite de la culture, de l'art littéraire et de la philosophie des Grecs, Clément travailla à la réconciliation de l'hellénisme et du christianisme ; pour se faire entendre des Grecs païens, il s'efforce de parler leur langage, d'utiliser les schèmes philosophiques et religieux qui leur sont familiers.

   La figure d'Origène est assez différente. C'est lui qui transforma l'école de la cathéchèse en école exégétique (vers 211). Sa fidélité à la philosophie grecque porte moins sur le matériel expressif (comme c'était le cas de Clément) que sur l'attitude herméneutique et les doctrines. Il applique à la Bible les procédés de l'exégèse allégorique des écoles païennes, comme Philon l'avait fait avant lui. D'autre part, il associe au dogme chrétien des idées grecques peu compatibles avec lui, telles que l'éternité du monde ou la préexistence des âmes. L'apport d'Origène à la tradition théologique ancienne n'en demeure pas moins de tout premier ordre. Il donna aux études bibliques non seulement un souci du sens spirituel mais aussi une scientificité dont on mesure l'influence sur les siècles suivants ; ses commentaires de l'Ancien et du Nouveau Testament sont d'une richesse inégalée. Il est aussi l'auteur du premier essai d'exposé synthétique de la doctrine chrétienne (Des principes). Son jugement sur la culture païenne est moins conciliant que celui de Clément ; il se formule pour l'essentiel dans le Contre Celse, réfutation d'attaques portées contre le judaïsme et le christianisme par un philosophe platonicien de ce nom. À la même époque enfin vit à Rome un auteur de langue grecque sur qui toute la lumière n'est pas encore faite, lui aussi exégète allégorique et polémiste antithérétique, Hippolyte.

Le IVe siècle

C'est l'« âge d'or » de la patristique. Les deux centres principaux de la science théologique demeurent Alexandrie et Antioche, dont les divergences, déjà marquées au siècle précédent, s'accentuent. En philosophie, les alexandrins s'apparentent au platonisme, alors que les antiochiens empruntent à l'aristotélisme, dont la dialectique fera merveille dans les controverses théologiques. La dualité des tendances est plus prononcée dans l'exégèse de la Bible, où les premiers, fidèles à l'esprit d'Origène, pratiquent l'interprétation allégorique et mystique, cependant que les seconds, à la suite de Lucien de Samosate, préfèrent l'explication historique et grammaticale. En théologie proprement dite, les uns et les autres s'opposent sur le statut ontologique du Christ. À Antioche, on distingue soigneusement en lui le divin et l'humain, au point de mettre parfois en péril l'unité de personne du Sauveur ; ce sera la tendance de Nestorius et, à un moindre degré, de Diodore de Tarse, de Théodore de Mopsueste, de Jean d'Antioche et de Théodoret de Cyr. À Alexandrie en revanche, on met au premier rang l'union de la nature divine et de la nature humaine dans le Christ ; de ce côté, l'excès apparaîtra avec le monophysisme et consistera à penser que, après l'Incarnation, la nature divine du Christ « absorbe » sa nature humaine. La lutte de ces deux tendances devait se prolonger jusqu'au concile de Chalcédoine (451), qui définit la position officielle de l'Église universelle touchant la christologie.

   La première génération qui suit Origène est celle de disciples enthousiastes : Héraclas, Denys d'Alexandrie, Grégoire le Thaumaturge, Pamphile, l'historien Eusèbe. Le grand évêque d'Alexandrie Athanase est plus réticent ; pour le combat contre l'hérésie arienne (hérésie chrétienne niant la consubstantialité du Fils avec le Père, et remettant ainsi en cause la divinité du Christ), qui occupa l'essentiel de sa vie, la théologie d'Origène ne lui offrait pas d'armes suffisamment sûres. Se rattache également à l'école alexandrine, tout en demeurant sur certains points fort indépendant à l'égard de l'héritage origénien, le très important groupe des Pères cappadociens : Basile et les deux Grégoire. La tradition origénienne reprend toute sa séduction, un peu plus tard, avec Didyme, dont on a récemment découvert d'importants commentaires scripturaires, et Évagre le Pontique, auteur de littérature ascétique. De son côté, l'école d'Antioche est le milieu intellectuel où s'épanouit Jean Chrysostome. Les deux principaux exégètes de cette tendance sont Diodore de Tarse, puis Théodore de Mopsueste ; l'un et l'autre devaient donner des gages à l'hérésie de Nestorius, et ils furent condamnés à ce titre par l'empereur Justinien et le concile de Constantinople (553).