Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
B

Brooke-Rose (Christine)

Femme de lettres anglaise (Genève 1923).

Critique, théoricienne de la littérature, traductrice de Robbe-Grillet, elle est l'auteur d'essais (Rhétorique de l'irréel, 1981) et de romans où se croisent tous les thèmes de la modernité, de l'inconscient au féminisme (Dehors, 1964 ; Comme, 1966 ; Entre, 1968 ; À travers, 1975). Ces textes prennent fréquemment un tour expérimental, avec jeux sur la pagination, la typographie, des titres en forme de jeu de mots (Verbivore, 1990 ; Textermination, 1991) ; Amalgamemnon (1984), où une femme affronte le monde machiniste moderne, est entièrement écrit au futur.

Brookner (Anita)

Écrivain anglais (Londres 1928).

Avant de devenir romancière, elle se fait connaître en tant que spécialiste d'histoire de l'art. Dès ses premiers pas dans la fiction, Un début dans la vie (1981), elle prend pour thème privilégié la frustration des femmes dont l'existence vide d'amour est entravée par le poids des usages. Déçues par le célibat ou par le mariage, ses héroïnes sont incapables de choisir entre deux extrêmes : regarder les autres vivre ou attirer les regards en jouissant de la vie sans retenue. En 1984, elle obtient le Booker Prize pour Hôtel du Lac.

Brooks (Gwendolyn)

Femme de lettres américaine (Topeka, Kansas, 1917 – 2000).

Premier écrivain noir à recevoir le prix Pulitzer (1950), elle veut donner à ses poèmes (Une rue de Bronzeville, 1945 ; Annie Allen, 1949 ; les Mangeurs de haricots, 1960 ; Solitude, 1971 ; Préparation du jeune poète, 1981) l'éclat de l'universel et présenter les Noirs simplement comme des « gens », en mettant l'accent sur la langue vernaculaire et les détails du quotidien mis en perspective par l'idéologie protestataire. Son roman, Maud Martha (1953), confirme ce souci d'objectivité militante.

Brosses (Charles de)

Magistrat et écrivain français (Dijon 1709 – Paris 1777).

Président au parlement de Dijon, il réédita Salluste, reconstitua l'Histoire de la République romaine dans le cours du VIIe siècle (1777), s'intéressa aux origines du langage (Traité de la formation mécanique des langues, 1765) et aux coutumes exotiques (Du culte des dieux fétiches, 1760). Sa curiosité d'esthète et d'épicurien anime ses Lettres familières écrites d'Italie en 1739 et 1740 (publiées pour la première fois en 1799), l'un des guides sentimentaux et esthétiques de Stendhal.

Brovka (Petrous Oustinovitch)

Poète biélorusse (Poutilkovitchi 1905 – Minsk 1980).

Évoluant d'un lyrisme déclamatoire à un art plus personnel, il célèbre la guerre civile (Par monts et steppes, 1932), la collectivisation (Katerina, 1938), l'héroïsme des partisans (Biélorussie, 1943) et le retour à la paix (Blé, 1946 ; la Route de la vie, 1950). Il tente enfin un bilan historique et personnel (Passent les jours, 1961 ; Jeunesse et Maturité, 1979).

Brown (Charles Brockden)

Écrivain américain (Philadelphie 1771 – id. 1810).

Tenant d'une littérature nationale, il s'inspire de Richardson, d'Ann Radcliffe (Clara Howard, 1801 ; Jane Talbot, 1801) et de Godwin pour sa tonalité antibourgeoise (Wieland ou la Transformation, 1798 ; Ormond ou le Témoin secret, 1799 ; Edgar Huntly, 1799 ; Arthur Mervyn ou Mémoires de l'an 1793, 1800). Il est l'initiateur du gothique américain.

Brown (Fredric)

Écrivain américain (Cincinnati 1906 – Tucson 1972).

Auteur éclectique, connu pour ses romans policiers (Drôle de sabbat, 1947), il s'est fait aussi un nom dans le domaine de la science-fiction principalement avec deux romans (Univers en folie, 1949 ; Martiens go home, 1955) et des nouvelles concises, réunies en une dizaine de recueils ((Lune de miel en enfer, Fantômes et Farfafouilles, Paradoxe perdu). Sarcastiques ou empreints d'un optimisme apparemment bienveillant, ses récits dépeignent le plus souvent des créatures humaines ravalées au rang de marionnettes, plus aveugles que des machines et bafouées dans leur irrésistible prétention à occuper la place prépondérante dans l'univers. L'humour sert chez lui à la dénonciation des dangers et les haines de toutes sortes (xénophobie, guerres froides et chaudes) mais s'affirme encore comme l'une des pièces maîtresses de ses « mondes alternatifs » : le refus de prendre au sérieux les thèmes classiques de la science-fiction permet d'imaginer des sociétés ouvertes aux joies de la métamorphose et du rire (Univers en folie, 1949).

Browne (sir Thomas)

Écrivain et médecin anglais (Londres 1605 – Norwich 1682).

Royaliste anobli en 1644, apôtre de la tolérance, passionné d'horticulture et obsédé par la mort, il crée, avec un encyclopédisme fantasque, le genre de l'essai familier et érudit que reprendront Coleridge, Lamb et De Quincey. Découvreur du paganisme enfoui sous la culture chrétienne, Browne exprime son mysticisme dans des allégories comme Religio Medici, 1642 ; Pseudodoxia Epidemica, 1646 ; le Jardin de Cyrus, 1658 ; Hydriotaphia (les Urnes funéraires), 1658.

Browning (Robert)

Poète anglais (Camberwell, Londres, 1812 – Venise 1889).

Après une période d'enthousiasme shelleyen (athée, végétarien, pacifiste), il s'interroge sur l'inefficacité « suicidaire » de l'idéalisme (Pauline, 1833 ; Paracelse, 1835 ; Sordello, 1840) ; puis, pour compenser sa propension à la « lucidité morbide », il élabore une vision objective, dramatique et pittoresque de l'amour et de la générosité comme excentricité : farfelus, charlatans, sophistes, prêtres sans foi, toute la faune des « tricheurs » mal résignés à vivre qui tentent de se barricader derrière un optimisme souvent défaillant. Pippa Passe (1841) chante la fécondité inconsciente de la femme ; Hommes et Femmes (1855) raffine la technique du monologue dramatique : un homme parle sa vie, au lecteur de détecter mensonges, failles, affabulation dans le puzzle d'une âme mise à nu. Ces locuteurs pittoresques sont souvent des êtres subtils et retors, soucieux d'autojustification. Après la mort de son épouse Elizabeth Barrett-Browning (1861), Robert Browning s'immerge dans le travail. Dramatis Personae (1864) évoque des thèmes contemporains comme la critique biblique et le spiritisme. L'Anneau et le Livre (1868-1869) évoque le meurtre d'une jeune Romaine au XVIIe siècle, conté par neuf personnes, de neuf points de vue différents. L'anneau (le poème) maintient néanmoins l'opposition centrale : le chevaleresque (féminin) contre la vilenie. La succession des monologues contradictoires et des digressions annonce le modernisme éclaté de Henry James. Dans la deuxième partie de sa carrière, le poète développe ses thèmes favoris : dans une âme, tout est vrai ; toutes les âmes se valent ; l'homme vaut par ses aspirations ; chacun a droit au masque ; nous sommes tous des rois déchus. Cette remise en question oblique des valeurs victoriennes (faits, efficacité) et de leur antithèse (l'authenticité malheureuse) fait de lui le prophète baroque de la désillusion et de la ténacité vitale : un Don Quichotte, revenu de tout, appréciant les bigarrures de la vie. Sa poétique, tout en éclats et obscurités, annonce Kafka, Pirandello et Freud : son art est de débusquer les sublimations. Au seuil du déclin de l'Occident se dresse Roland, héros du poème « Le chevalier Roland s'en vint à la tour sombre » (Hommes et Femmes), dont la quête bascule dans l'absurde et le néant.