Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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littérature latine (suite)

Période tardive

On appelle aujourd'hui Antiquité tardive la période que l'on appelait autrefois Bas-Empire. S'étendant sur quatre siècles, elle commence avec le IIIe, qui voit la montée en puissance d'une part des peuples dits « barbares », d'autre part de la religion chrétienne, et elle s'achève à la fin du VIe, au moment où ce double processus connaît son aboutissement : l'Empire byzantin, après la mort de Justinien, se replie sur lui-même, renonçant à reconquérir sur les Barbares la partie occidentale de l'ancien Empire romain, et l'on constate l'extinction totale du paganisme, moribond depuis longtemps, mais que Justinien avait eu encore à combattre ici ou là. Enfin, il se trouve que cette date est aussi celle où disparaît la dernière génération qui ait reçu la formation culturelle héritée de l'Antiquité classique. Alors commence véritablement un monde nouveau, qui était en gestation depuis au moins deux siècles et qui est le monde médiéval.

L'essor de l'apologétique

La vie littéraire se ressent de ces profonds changements. Durant la majeure partie du IIIe s., l'Empire romain connaît une grave crise, conjointement militaire, économique et politique, qui a pour conséquence une quasi désertification du paysage littéraire – s'agissant des lettres dites profanes (au sens de non chrétiennes), si l'on excepte une poignée d'oeuvres mineures, l'essoufflement s'accentue. On assiste en revanche à l'éclosion spectaculaire d'une littérature chrétienne, tenant au fait que la religion nouvelle, jusque là à peu près cantonnée aux milieux populaires et serviles, s'est répandue largement dans les classes supérieures de la société. Du début à la fin du IIIe s., les lettres chrétiennes occupent donc pratiquement tout le terrain. Cette littérature est fondamentalement militante et « engagée » : ses représentants, pour la plupart issus du paganisme, mettent leur plume au service d'une cause qui est celle du christianisme, illégal et persécuté, dont ils se font les avocats (les apologistes, dit-on) en même temps qu'ils se font les procureurs virulents non seulement du polythéisme sous toutes ses formes, mais encore des doctrines d'inspiration chrétienne que l'Eglise considère comme « hérétiques ». Rompus à la rhétorique (parfois même anciens rhéteurs) et imprégnés de la culture classique, ces écrivains (tous originaires d'Afrique du Nord) sont en général de remarquables stylistes, dont le talent d'écriture ne le cède en rien à celui des plus grands écrivains latins. Il faut citer ici Tertullien, auteur d'une œuvre immense au style volontairement heurté, et polémiste d'une virulence inégalée ; Cyprien, évêque de Carthage ; Arnobe, pourfendeur des cultes païens ; Lactance, surnommé « le Cicéron chrétien » ; et un poète, Commodien, dont la langue truffée de populismes est d'une grande originalité.

La Renaissance constantinienne

Fort différent est le IVe s., qui apparaît à bien des égards comme une authentique Renaissance. Grâce aux réformes draconiennes impulsées par l'empereur Dioclétien (284-305), la situation générale de l'empire se redresse sensiblement, et ce redressement est aussi bénéfique aux arts et aux lettres que leur avait été néfaste la crise du siècle précédent. D'autre part, la légalisation du christianisme par son successeur Constantin (édit de Milan, 313) permet une cohabitation globalement pacifique de la religion nouvelle et des cultes anciens. Aussi assiste-t-on à une véritable résurrection de la littérature profane, brillamment illustrée par des poètes comme Ausone, Claudien, Rutilius, par un historien comme Ammien Marcellin, successeur et émule de Tacite, par l'orateur et épistolier Symmaque, et bien d'autres encore ; dans le même temps, une révolution dans les techniques d'édition et de transmission des textes, le remplacement du fragile papyrus par le solide parchemin, et du rouleau (volumen) par le livre relié (codex) permet de rééditer, après une révision approfondie, tous les grands textes de l'époque classique : c'est à ces éditions du IVe s. que remontent tous les manuscrits que nous possédons aujourd'hui. D'autre part, les lettres chrétiennes connaissent un essor sans précédent : la seconde moitié du siècle et les deux premières décennies du suivant sont la grande époque des Pères de l'Église, dont les trois principaux, saint Ambroise, saint Jérôme et saint Augustin, penseurs et écrivains de premier ordre, établissent en des œuvres souvent monumentales le socle sur lequel se construira toute la chrétienté médiévale, tandis que des poètes comme Juvencus, Paulin de Nole et Prudence, animés du souci de donner à leur foi un rayonnement culturel égal à celui du paganisme, rivalisent avec Virgile, Horace et Lucrèce en développant dans la métrique classique les grands thèmes du christianisme.

Les derniers feux de la culture classique

Vers la fin du IVe s., et surtout dans la première moitié du suivant, ce bel équilibre se trouve rompu : à partir du règne de Théodose (376-395), la coexistence pacifique du paganisme et du christianisme prend fin, car, sous l'impulsion d'une Église désormais triomphante, les pouvoirs publics prononcent l'interdiction des cultes polythéistes et imposent le christianisme comme seule religion d'État ; d'autre part, la pression des peuples « barbares » aux frontières se fait si forte qu'elle devient irrésistible et aboutit, à partir de 405, au phénomène des « grandes invasions » ; enfin, à partir de 395, le partage de l'empire unique en deux empires distincts, celui d'Occident (romain et latin) et celui d'Orient (byzantin et grec), change considérablement la donne : le second parvient à tirer son épingle du jeu (et survivra juqu'au XVe s.), tandis que le premier se disloque en quelques décennies, et s'écroule définitivement en 476. Dès lors, la littérature latine ne fait plus que survivre, dans un monde occidental où le système scolaire est en ruines et où ne subsistent que quelques oasis de culture au milieu d'un désert d'illettrisme. Néanmoins quelques écrivains de grande envergure maintiennent çà et là le flambeau littéraire. On peut citer, en Gaule, Sidoine Apollinaire, poète et épistolier de talent, Fortunat, l'un des poètes les plus féconds de toute la littérature latine, Grégoire de Tours, historien des Francs, et quelques autres ; en Italie, Ennodius, poète mondain touché par la grâce, Cassiodore, créateur des scriptoria monastiques, l'historien Jordanès et, surtout, Boèce, ultime représentant de la philosophie antique et poète profondément original ; en Afrique du Nord, Dracontius, dont l'œuvre est le chant du cygne de la littérature mythologique, et Corippe, qui écrit la dernière épopée de type virgilien sur la reconquête de l'Afrique par les Byzantins ; en Espagne, Martin de Braga, disciple chrétien de Sénèque, et Isidore, évêque de Séville et dernier en date des grands encyclopédistes de l'Antiquité, qui transmettra au Moyen Âge une bonne partie du savoir accumulé par celle-ci. Ce sont là les derniers feux de la littérature latine antique : après eux s'ouvre ce qu'on appelle parfois « la nuit du haut Moyen Âge », qui prendra fin deux siècles plus tard, avec la Renaissance carolingienne. Alors naîtra une nouvelle littérature latine, médiévale celle-là, non moins importante que celle de l'Antiquité, quantitativement tout au moins, puisque le latin restera en Occident la seule langue littéraire jusqu'au XIe s. et que même ensuite les œuvres latines représenteront durant plusieurs siècles près de la moitié de la production littéraire européenne.

Période médiévale

Invention historiographique de l'époque moderne pour désigner le laps de temps écoulé entre la chute de l'Empire romain (476 de notre ère) et l'ère des grandes découvertes (fin du XVe siècle), le Moyen Âge a longtemps été considéré comme une période sombre, légende à laquelle l'historiographie contemporaine a fait justice. On s'emploie désormais à rechercher les logiques propres d'une culture riche, héritière des temps antiques et en perpétuelle mutation. La littérature latine médiévale doit donc être considérée non pas comme un état de transition entre deux âges classiques, l'Antiquité et la Renaissance, mais comme l'expression la plus importante d'une culture particulière, elle-même aux origines de la modernité européenne. En particulier, l'attention portée à l'émergence progressive des langues nationales de l'Europe à la fin du Moyen Âge ne doit pas masquer l'écrasant déséquilibre dans la production écrite en faveur du latin jusqu'à la fin de la période. Latin et langues « vulgaires » entretiennent une relation dynamique et instable, dans laquelle le premier, réservé à l'ensemble des entreprises proprement conceptuelles (histoire, philosophie, théologie) mais aussi à la littérature d'apparat, influence en permanence le français et les autres langues romanes ou germaniques, d'abord vouées à l'oralité, dont la sphère d'utilisation ne s'élargit que très progressivement dans les divers domaines de l'écrit.