Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Crevel (René)

Écrivain français (Paris 1900 – id. 1935).

Après des études de droit et de lettres, une thèse abandonnée sur Denis Diderot, Crevel, en jeune homme de son temps, se lance à corps perdu dans l'aventure surréaliste aux côtés d'Arland, de Vitrac, d'Aragon, d'Eluard, de Soupault et de Tzara. Il publie des textes remarqués aux forts accents personnels dans la revue la Révolution surréaliste. Très tôt, la peinture – le dédale des toiles de De Chirico en particulier – lui révèle un monde neuf, des perspectives saisissantes qu'il n'aura de cesse d'arpenter. Comme chez Diderot, écrivain et critique d'art sont un même homme. Poète avant tout, et par une écriture souple et fluide qui rend la vie de la pensée, qu'il tente d'écrire au fur et à mesure de son déroulement même, R. Crevel est pourtant surtout connu pour trois récits qui ne forment pas cycle : Détours (1924), Mon corps et moi (1925), la Mort difficile (1926). Le second aura une influence durable sur les jeunes surréalistes.

   Ces œuvres denses frappent les trois coups de son aventure d'écrire et se dressent dans une belle narration contre l'univers bourgeois par trop conventionnel du temps, dont la lourdeur est sapée par une écriture en flux tendu. Théoricien, essayiste, pamphlétaire (Êtes-vous fou ?, 1929 ; Paul Klee, 1930), Crevel est un écrivain engagé avant la lettre et sera de toutes les polémiques. Charme, intuition, intelligence : ce jeune homme à l'aura immense qui avait tout pour lui choisit « la plus invraisemblablement juste et définitive des solutions », le suicide, en mettant fin à ses jours à une époque très critique pour le surréalisme. Sa fin aura un retentissement énorme et participe de sa légende. C'est que la vie qui lui était proposée ne correspondait en rien à « certaine sensation d'âme » qu'il recherchait et appelait de ses mots. C'est aussi que, comme il l'avance dans l'Esprit contre la raison (1928) et comme le naturel et la fougue de son style le disent pour lui, « toute poésie est une révolution ». Se rêvant « clavecin sensible » – toujours Diderot –, celui qui entendait « se débarrasser du souvenir » aura arpenté, entre enchantement et terreur, la rive la plus noire des touches du clavier.

criollismo

Courant littéraire latino-américain, répandu jusqu'à la fin de la première moitié du XXe siècle, exaltant les beautés et les coutumes du monde latino-américain. Le terme, dérivé de criollo, désigne, à l'origine, l'Américain de race blanche, né de père et de mère espagnols, puis toute une classe sociale. Par extension, il s'applique à tout ce qui est authentiquement américain. Le criollismo s'exprime, au XIXe siècle, dans une littérature nativiste et régionaliste ; les emprunts aux divers particularismes et aux parlers indigènes sont très fréquents et la campagne, garante supposée de la tradition criolla, est opposée à la ville, sujette aux immigrations successives. Le criollismo apparaît d'abord au Chili, avec le romancier Alberto Blest Gana (l'Idéal d'un libertin, 1863). Mais ce courant ne prend son véritable essor qu'avec le naturalisme et des écrivains tel Mariano Latorre (Zurzulita, 1920), ouvrant la voie à Manuel Rojas (l'Homme du Sud) et Luis Durand.

   En 1930, les tenants du criollismo se regroupent autour de la revue Indice, qui devait révéler B. Subercaseaux (le Chili, ou une géographie folle) ; la décennie suivante, avec Oscar Castro et Juan Godoy, est celle des néo-criollistas. Ceux d'en bas, du Mexicain Mariano Azuela, la Fosse aux Indiens de l'Équatorien J. Icaza, Doña Bárbara du Vénézuélien R. Gallegos, la Voragine du Colombien E. Rivera, ou Juan Criollo, au titre révélateur, du Cubain C. Loveira, sont quelques-uns des grands romans du criollismo, dont le chef-d'œuvre est sans aucun doute Don Segundo Sombra de l'Argentin R. Güiraldes. Bien que le criollismo n'ait pas totalement disparu de la littérature d'Amérique latine, il est nettement passé au second plan des préoccupations des écrivains contemporains, souvent en quête d'un « panaméricanisme » supranational.

Crisinel (Edmond-Henri)

Poète suisse de langue française (Faoug 1897 – Nyon 1948).

Après avoir détruit à la suite d'une dépression (qui le conduit, en 1919, en milieu psychiatrique) toute sa production poétique, puis pratiqué pendant de longues années le métier de journaliste, il écrit, de 1936 à 1948, plusieurs œuvres d'une étonnante modernité, parmi lesquelles le Veilleur (1939), Alectone (1944), ou Nuit de juin (1945) et le Bandeau noir (1949). D'une sensibilité excessive, il a souffert d'un sentiment de culpabilité insurmontable ; ses poésies reflètent les conflits d'une rare intensité, leur conférant une dimension existentielle qui permet d'y voir la quête et les désarrois des hommes et des femmes de notre temps. Malheureusement, la magie poétique n'est pas parvenue à dépasser les doutes d'une existence angoissée : en 1948, il mit fin à ses jours.

Crnjanski (Milos)

Écrivain serbe (Congrad, Hongrie, 1893 – Belgrade 1977).

En 1919, il a publié ses poèmes, Ithaque, en évoquant l'inquiétude de la jeune génération marquée par l'absurdité des guerres et à la recherche d'un nouvel universalisme (sumatrisme). Ses œuvres principales sont les Carnets de Carnojevic (1921), Migrations (1929-1962), Roman de Londres (1971). Ce dernier roman est une autobiographie transposée de ses années d'exil en Angleterre de 1940 à 1965.

Croatie

Les premiers textes littéraires croates sont rédigés en vieux slave et écrits en caractères glagolitiques (premier alphabet slave, inventé par l'apôtre Cyrille). Ils sont de nature religieuse (écrits liturgiques, hagiographies, apocryphes). À partir du XVe s. apparaissent la prose didactique ou historique, la poésie pieuse et les drames sacrés, sous l'influence latine. Parallèlement, il existe une littérature orale en langue populaire – les chants lyriques et les chants épiques.

Dalmatie et Raguse

Au XVe s., toute la Dalmatie devient une possession vénitienne. Deux éléments – le sentiment slave et la culture italienne – donnent une caractéristique particulière à la littérature de Dalmatie et de Raguse (Dubrovnik). Les écrivains se fondent sur la tradition médiévale autochtone et sur la poésie orale croate. Marko Marulic (1450-1524), originaire de Split, compose en « vers croates » des poèmes édifiants et patriotiques. La poésie est doublement marquée par le pétrarquisme italien et par la poésie orale indigène. Les écrivains les plus connus de cette époque sont Hanibal Lucic (mort en 1553), Petar Hektorovic (1487-1572), Niksa Pelegrinovic (mort en 1562), Petar Zoranic (1508-1570), Brne Karnarutic (mort en 1573). À Raguse, république marchande, pratiquement indépendante, naît dès la fin du XVe s. une littérature dont la continuité va s'affirmer au cours de trois siècles. Malheureusement, de nombreuses œuvres ont disparu ou ne nous sont parvenues qu'incomplètes. Les plus grands auteurs de Raguse sont Dzore Drzic (1461-1501), Vladislav Mencetic (1457-1527), Mavro Vetranovic (1482-1576), Dinko Ranjina (1536-1607), Dominko Zlataric, Nikola Naljeskovic (mort en 1587), Marin Drzic (1505-1567). Le XVIIe s. et l'austérité de mœurs qu'impose la Contre-Réforme n'interrompent pas le cours du lyrisme amoureux (Dzivo Bunic-Vucic, Junije Palmotic). Cependant, la figure la plus marquante de cette époque, parfois appelée « l'âge d'or de la littérature de Raguse », est Dzivo Gundulic (1598-1638), avec ses tragédies, ses pastorales et surtout son poème épique Osman, qui doit aux modèles du Tasse et de l'Arioste mais qui chante la victoire des Polonais sur les Turcs. Avec le déclin du commerce adriatique, puis le séisme catastrophique de 1667, s'ouvre pour Raguse une période de décadence. Son indépendance ne résistera pas à l'invasion des armées de Napoléon. Dans la Dalmatie du XVIIIe s. l'activité littéraire se poursuit. Les représentants les plus connus de cette époque sont deux franciscains, Filip Grabovac (mort en 1749) et Andrija Kacic-Miosic (1704-1760), tous deux mus par un idéal national. Ils cherchent l'audience d'un large public et, pour atteindre leur but, empruntent une forme populaire, celle des chants épiques oraux.