Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Grèce (suite)

La poésie lyrique

La poésie d'époque archaïque

En Grèce archaïque, deux types de poésie coexistent : épique, en hexamètres, narrative (Homère) ou didactique (Hésiode), et mélique (melos, « phrase musicale »), chantée, dans une prosodie variée, monodique ou chorale. Cette dernière est appelée « lyrique » par anachronisme, suivant la critique hellénistique : elle peut être accompagnée de lyre, mais aussi de cithare, de flûte, etc. Le premier but de cette poésie non épique n'est pas l'expression individuelle, qu'implique la notion moderne de lyrisme : son rôle est rituel, religieux ou politique, comme le montrent les genres qu'elle rassemble, dithyrambe (pour Dionysos), épinicie (éloge d'un athlète vainqueur), hyménée (chant de mariage), parthénée (chœur de jeunes filles), péan (pour Apollon), thrène (chant funèbre), etc.

   Au VIIe s. av. J.-C., deux courants dominent : la poésie iambique, dans un rythme proche du langage parlé, est ironique et satirique, souvent violente, chez Archiloque (Paros v. 712-v. 664 av. J.-C.), dont il reste aussi des fragments d'élégies – et qui, par ses attaques contre ses ennemis personnels, remet en cause les valeurs épiques et prépare Aristophane et Ésope – et chez Sémonide d'Amorgos ; la poésie élégiaque, en distiques de dialecte ionien, chante un idéal guerrier collectif, chez Callinos d'Éphèse et Tyrtée, chantre de la constitution spartiate (Eunomia et Exhortations), auteur aussi, en dorien, d'Embatêria (« charges contre l'ennemi ») ; Mimnerme de Colophon a des accents plus mélancoliques. À la fin du siècle, apparaît le premier représentant de la lyrique chorale, Alcman, qui vécut à Sparte et composa des hymnes pour les fêtes officielles, riches en références mythiques et notations amoureuses, en particulier des parthénées.

   Au VIe s., la poésie se diversifie, suivant l'évolution sociale et politique. L'île de Lesbos avait donné naissance à Terpandre, fondateur de l'école citharédique, inventeur de la lyre à sept cordes, auteur de nomes, d'odes et de scolies (chansons de table), et à Arion, inventeur du dithyrambe. C'est là que vivent Alcée (vers 630), qui, fidèle du parti aristocratique, chanta ses amours et ses haines politiques en dialecte éolien, et surtout Sappho (vers 630), qui, dans des vers à la métrique raffinée (strophe sapphique), composa hyménées, épithalames et poèmes mythologiques, en chantant les sourires et les tourments de l'amour. La poésie en distiques élégiaques se développe, chez Théognis, aristocrate de Mégare, exilé, qui critique amèrement la décadence de la noblesse et la nouvelle puissance du peuple, dans un recueil auquel des compilateurs ont adjoint de nombreuses maximes gnomiques, en regroupant en fin de volume un long groupe de vers à l'inspiration pédérastique. Xénophane de Colophon, premier adversaire connu de la conception anthropomorphique du divin, compose en hexamètres, en distiques élégiaques et en iambes (les Silles, textes satiriques) une poésie morale, dont la dimension philosophique prépare l'école d'Élée. La satire iambique se poursuit avec Hipponax d'Éphèse, la poésie gnomique en hexamètres avec Phocylide de Milet, et la lyrique chorale avec Stésichore, qui créa la triade (strophe, antistrophe, épode) et, dans un dorien littéraire devenant la langue du genre, composa des péans, des chants d'amour, des œuvres pastorales, des hymnes héroïques, dont il reste des fragments, et le poème Hélène – et sa correction, plus respectueuse de l'héroïne éponyme, divinisée, la Palinodie. De même, Ibycus de Rhégium inventa l'ode adressée à un humain : il reste une centaine de vers célébrant le tyran Polycrate de Samos et la puissance de l'amour. Une place particulière doit être accordée à Anacréon de Téos, vivant chez des tyrans de Samos et d'Athènes, qui composa des épigrammes et des chansons de circonstance, au style gracieux, ironique, sur l'amour et le banquet. Enfin, Solon (vers 640-v. 560), poète et politique, marque le passage à la démocratie, qu'il contribua à instaurer : archonte en 594, il élabora la constitution d'Athènes. Des 5 000 vers, en ionien, que lui attribuait l'Antiquité, il reste environ 300 vers de divers fragments, d'inspiration civique et morale, qui reflètent un idéal d'équilibre annonçant l'âge classique (Élégie pour Salamine, aux Muses, sur l'Eunomie).

La poésie à l'époque classique

Au Ve s., la poésie chorale s'exprime par les passages chantés de la tragédie et de la comédie ancienne, dans des genres narratifs typiques de la cité démocratique, mais elle triomphe chez trois auteurs proches des milieux tyranniques. Simonide de Céos (vers 556-468) vécut à la cour du tyran athénien Hipparque, puis en Thessalie, encore à Athènes, où il fréquente Eschyle, puis auprès de Hiéron de Syracuse : premier « poète de métier », qui réclame de l'argent pour son art, il compara la poésie à la peinture, et composa des épigrammes politiques, des dithyrambes, des thrènes et des odes d'apparat. Bacchylide (vers 505-v. 430), neveu de Simonide, composa des Odes triomphales ou Épinicies, des dithyrambes et des péans, redécouverts en 1897 en Égypte : sa poésie exalte un idéal aristocratique modéré, dans un style serein et fluide, qui l'oppose au sublime parfois rude de Pindare. Ce dernier (vers 518-v. 438) marque le sommet et la fin du genre choral. Aristocrate thébain, il compléta son éducation musicale à Athènes, et devint célèbre très jeune, en 498, avec la Xe Pythique. Il voyagea de ville en ville, accueilli par Hiéron de Syracuse ou Arcésilas de Cyrène. De ses nombreuses œuvres (Hymnes, Éloges, Dithyrambes, Péans, Hyporchèmes), à part des fragments, il reste 40 Épinicies (Odes triomphales) : réparties en 4 livres (Olympiques, Pythiques, Néméennes, Isthmiques), elles célèbrent les vainqueurs aux jeux Panhelléniques. Dans chaque ode, de composition complexe, Pindare évoque en général un épisode mythique en rapport avec la famille ou la cité du vainqueur et en tire une morale selon laquelle l'homme qui a reçu en don la force, l'intelligence, la beauté, doit faire fructifier ses talents par la pratique des exercices du corps et de la vertu ; c'est au poète qu'il revient de reconnaître sa valeur, de la célébrer et de rendre l'athlète glorieux et immortel. Son style, majestueux et fulgurant, est considéré par les Anciens comme le type de l'« harmonie austère » (Denys d'Halicarnasse).

La poésie d'époque hellénistique et romaine

À partir du IIIe s., Alexandrie est le vrai centre de la culture grecque, placée sous le signe de l'érudition, et liée aux recherches menées à la Bibliothèque. Influencée par l'histoire et la critique littéraire, cette poésie est œuvre de savants et les références à la littérature passée s'allient à l'originalité la plus subtile. L'épopée d'inspiration homérique se poursuit, chez Apollonios de Rhodes (les Argonautiques), mais ce sont les les pièces brèves et virtuoses qui ont la faveur des poètes. Callimaque (vers 315-240), auteur d'ouvrages techniques nombreux, est connu pour ses élégies (Origines), iambes, hymnes et épigrammes ; Théocrite (vers 315-v. 250), pour le recueil des Idylles, qui regroupe des poèmes de formes variées (pastorales, épigrammes, mimes dialogués, hymnes, fragments épiques et mythologiques) et fonde le genre bucolique, pratiqué au IIe siècle par Moschos de Syracuse (Europe) et Bion de Smyrne ; Hérondas (vers 275-225), pour ses Mimes, scènes de genre en choliambe ; Lycophron de Chalcis (fin IVe s.-début IIIe s.), pour l'Alexandra, monologue tragique consacré aux prophéties de Cassandre, célèbre pour son hermétisme. On notera aussi la poésie didactique d'Aratos de Cilicie (IIIe s., Phénomènes, traité d'astronomie), Nicandre de Colophon (IIe s., Theriaka et Alexipharmaka, sur les antidotes), Oppien (IIe s., Halieutiques, sur la pêche, et Cynégétiques), et surtout la vogue de l'épigramme, avec Méléagre de Gadara (vers 130-60 av. J.-C.), auteur d'une Couronne ou recueil thématique, comme Philippe de Thessalonique (Ier s. apr. J.-C.). Il nous reste plus de 4 000 poèmes, rassemblés en anthologies, de Straton de Sardes (IIe s., la Muse garçonnière), Agathias le Scholastique (VIe s., Cycle), à l'époque byzantine, avec Constantin Céphalas (IXe-Xe s., Anthologie, recomposée ensuite sous la forme de l'Anthologie Palatine, éditée au XVIIIe s., et complétée par l'Anthologie Planudéenne, du XIIIe s.). À part ce genre foisonnant, et des épopées tardives (Collouthos, Quintus de Smyrne, Nonnos de Panopolis), la poésie lyrique, à l'époque romaine, est un élément marginal de l'histoire littéraire grecque : on citera le recueil des Anacreontea, fixé au Moyen Âge et inspiré de la poésie amoureuse d'Anacréon, et des poètes chrétiens comme Clément d'Alexandrie (fin du IIe s.) et Grégoire de Nazianze (IVe s., plus 17 000 vers de textes variés).

   C'est la poésie d'époque archaïque et classique qui influencera d'abord la littérature européenne postérieure, en particulier des figures éminentes comme Sappho et Pindare, dont certains accents et thèmes se retrouvent jusque dans la poésie contemporaine, de Valéry à Bonnefoy, par exemple.