Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
F

France (Moyen Âge) (suite)

L'idéal courtois (XIVe-XVe s.)

Roman XIVe-XVe siècle

Ces deux siècles sont marqués par un développement considérable des récits en prose. Le modèle arthurien reste toujours d'actualité, même s'il se prête à des aménagements. Dans le Perceforest (1337-1344), la matière arthurienne est liée à celle d'Alexandre, le héros grec devenant le découvreur de l'Angleterre (futur royaume d'Arthur) ; dans Ysaye le Triste (fin du XIVe s.), elle est le point de départ des aventures du héros, fils de Tristan et d'Yseut, qui affronte une série d'épreuves typiques des romans arthuriens dont l'amour, alors que son fils bâtard sera confronté aux sarrazins. D'autres romans, dont Ponthus et Sidoine, privilégient la veine de l'évasion, en jouant toute la gamme des aventures chevaleresques et des amours empêchées. Certains adoptent une tonalité plus édifiante, comme le Roman du comte d'Anjou de Jean Maillard, en vers (début du XIVe s.), inspiré du conte folklorique de la « Fille aux mains coupées », ou encore la Belle Hélène de Constantinople en vers (XIVe s., mise en prose au XVe). Reste la catégorie des romans partagés entre histoire et fiction, notamment ceux qui relatent, sur le modèle de la littérature généalogique latine, les origines à la fois historiques et imaginaires de familles nobles, comme le Roman de Mélusine ou Histoire des Lusignan de Jean d'Arras (vers 1392), ou bien ceux qui s'attachent spécifiquement à la carrière d'un chevalier, tel le Livre des faits de Jacques de Lalaing (XIVe s.) et le Jehan de Saintré d'Antoine de la Sale (1456), et qui sont l'occasion d'illustrer l'idéal courtois et les valeurs de la prouesse ou au contraire d'en dénoncer les limites et la vanité.

Théâtre médiéval

Théâtre religieux

Le théâtre de l'Église naît dès le Xe siècle avec le drame liturgique, mise en scène du texte sacré à l'occasion des messes de Pâques et de Noël, dans lequel est célébrée et mimée l'histoire sainte comme la découverte du sépulcre vide par les saintes femmes, composée en latin par des clercs et représentée à l'intérieur de l'église. Parmi les rares textes conservés, on retient le Jeu d'Adam (XIIe s.), mise en scène du péché originel, où les chants liturgiques sont en latin mais les dialogues entre les personnages, principalement entre Adam et Ève, et un diable, en français. Le lieu de représentation est l'Église et l'espace y est divisé de manière symbolique entre le lieu de Dieu, le Paradis céleste, et celui du Diable, l'Enfer. Mais le drame peut être joué en dehors de l'Église. Tel est le cas de la Sainte Résurrection (fin XIIe s.), dont le sujet est religieux mais le cadre profane : la scène au décor très sommaire se partage en « mansions » (maisons) qui correspondent au Ciel (opposé à l'enfer), la croix, le tombeau, la prison. Des lieux secondaires les complètent, selon le rôle des différents acteurs, tous présents en scène, et dont les déplacements indiquent les changements de « scènes ». Au XIVe siècle, sont composées les Passions, terme sous lequel on range des textes soit narratifs, soit dramatisés, qui relatent ou mettent en scène les différents épisodes de la Passion du Christ, à partir des Évangiles ou des textes apocryphes. Toujours de dimension moyenne, les Passions se déroulent dans le cadre spatio-temporel de la Semaine sainte. La plus ancienne d'entre elles (fin XIIe-début XIIIe s.) est la Passion du jongleur, texte narratif en octosyllabes comportant des dialogues et récité publiquement par un jongleur. Les principales œuvres connues jalonnant cette histoire des passions sont : la Passion des jongleurs (XIIIe-XIVe s.), la Passion du Palatinus, la Passion de sainte Geneviève, la Passion d'Autun, la Passion d'Arras (1437), due à Eustache Marcadé, le Mystère de la Passion d'Arnoul Gréban (1450). Les passions se distinguent des mystères, dont le texte est plus ample et la durée de représentation plus longue. Les mystères sont composés par des clercs et/ou des lettrés, appelés aussi « fatistes », avec l'appui autorisé de docteurs en théologie. Les représentations s'adressent au peuple et les acteurs sont des mimes ou des jongleurs qui se regroupent en confréries à la fin du XIVe siècle, à Nantes en 1371, à Rouen en 1374, à Paris, après une interdiction, en 1402. Le genre se caractérise par un texte fait pour accompagner une figuration par gestes, tandis que se tient un discours explicatif, le dialogue devenant au fur et à mesure le support de la représentation. La tendance à la compilation, à l'amplification, à la totalisation qu'illustre bien la Passion d'Arnoul Gréban en 34 500 vers, se traduit par un allongement du spectacle (quatre jours, voire une semaine), exige des moyens financiers importants et impose une multiplication des « mansions » et l'invention de machineries et de bruitages toujours plus ingénieux. La tentation dualiste (l'affrontement des forces du bien et du mal) que contient le mystère est conjurée par l'opposition des styles, le mal étant discrédité par le grotesque. Toutefois apparaît, à l'arrière-plan, la dialectique entre des notions théologiques, comme le débat entre Justice et Miséricorde. Interviennent également des éléments de pastorale, des chansons, des intermèdes et des plaintes lyriques. Mais ce qui se développe le plus, c'est la reconstitution concrète de la vie quotidienne à l'intérieur des grandes scènes traditionnelles. Autour des grands mystères de la Passion, d'autres spectacles se consacrent à une histoire plus profane. C'est le cas pour le Mystère des Actes des Apôtres et pour le Mystère du roi Advenir, tous deux commandés par le roi René d'Anjou. Mais on appelle aussi mystères des œuvres évoquant des vies de saints (André...) et de saintes (Apolline...), voire des sujets antiques (la Destruction de Troie, v. 1450) ou contemporains (le Siège d'Orléans, 1438). Devant l'évolution du goût, avec une place grandissante pour le burlesque, l'Église en vint à considérer les représentations de mystères comme sacrilèges, et le parlement de Paris les interdit en 1548. À la charnière du théâtre religieux et profane, le miracle, qui se présente sous une double forme, narrative et dramatique, et dont l'argument dérive des vies de saints, occupe une place particulière : le premier représentant en est Jean Bodel avec le Jeu de saint Nicolas, qui associe à un « miracle » du saint un contexte à la fois religieux (croisade) et profane (scènes de taverne). À partir du XIIIe siècle, une inspiration plus religieuse l'emporte dans la forme des Miracles de Notre Dame, catégorie particulière de miracles attribués à la Vierge (1218). Mis en scène pour des représentations données d'abord par des « écoliers » (ainsi des miracles en latin sur saint Nicolas aux XIeXIIe s.) puis patronnés par des confréries, les miracles constituent un genre dramatique, de forme généralement brève, dont le modèle est le Miracle de Théophile (vers 1260) de Rutebeuf, qui unit les propos blasphématoires et grossiers du clerc et ses prières émues au moment de son repentir.

Théâtre profane (XIIIe-XVe s.)

En mêlant à la dimension religieuse de son Jeu de saint Nicolas (vers 1200) des séquences mettant sur scène des escrocs, amateurs de bons vins et de parties de dés truquées, Jean Bodel signe l'avènement d'un théâtre profane et comique dont le vers (présentant des combinaisons et des mètres variés) reste l'unique support et qui est situé dans un lieu scénique riche d'avenir : une taverne arrageoise. Ce lieu propice à la représentation d'un monde quotidien et aux diverses ressources du comique – coups, gestuelle obscène, incongruités et grivoiseries y sont très présents – se retrouve peu après dans Courtois d'Arras, qui transpose à la ville la parabole de l'enfant prodigue, ici un jeune niais dupé par deux prostituées.

   Le Jeu de saint Nicolas et Courtois d'Arras dramatisent tous deux des hypertextes religieux. À la fin du XIIIe siècle, le Jeu de Robin et Marion d'Adam de la Halle parasite la pastourelle lyrique : ses bergers évoluent en pleine nature dans un monde idyllique. Mais c'est encore dans une taverne arrageoise, microcosme de l'espace urbain, que s'achève son Jeu de la feuillée (fin XIIIe s.). Mettre en scène dans ce cadre des gens d'Arras, dont certains ont pu jouer leur propre rôle, est alors le moyen de brouiller les frontières entre spectateur et acteur, univers quotidien et monde féerique, bien décevant. Une autre innovation, qui n'aura guère d'avenir, est la présence en scène du « je » Adam traitant sur le mode ironique ses problèmes existentiels et son désir de quitter Arras. Date aussi de la fin du XIIIe siècle le Garçon et l'Aveugle, dialogue aussi dérangeant que comique entre un infirme et son valet qui le dépouille et s'en vante.

   Nées dans un même milieu, jouées et composées à l'intention d'un public urbain, ces pièces profanes et comiques signent, en parallèle aux fabliaux contemporains, la promotion esthétique – elles ont été fixées par l'écrit – et dramatique d'un rire jusqu'alors interdit de la scène littéraire et qui se fait l'écho, tout en les désamorçant, des tensions sociales et des problèmes nouveaux (le pouvoir de l'argent en premier lieu) qui agitent la société urbaine du XIIIe siècle.