Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Corée (suite)

Les auteurs

Quelques grands noms se détachent de la masse des auteurs modernes. Il s'agit d'écrivains dont les œuvres sont imprégnées de la chaleur de l'humanisme coréen, mis en valeur par la maîtrise de la langue, qualités qui ne sont pas si courantes dans une littérature encore jeune, à la langue encore imparfaitement unifiée et où, bien souvent, les idées d'avant-garde tiennent lieu de talent littéraire. Chong Chi-yong (né en 1903) a été d'emblée plus loin que le mouvement de la littérature prolétarienne dans lequel il a fait ses débuts : il s'est révélé un maître de la langue, dont il sait mettre en valeur la beauté rythmique, mélodique, visuelle. Kim Ki-rin (né en 1909) restera en tant que maître de l'image, alchimiste du verbe qui a donné une forme poétique aux idées les plus neuves. Le bonze Han Yong-un (1879-1944) a écrit de très beaux poèmes en prenant pour thème sa vie intérieure et son patriotisme, qu'il se voit contraint de cacher derrière des allégories : tous les Coréens connaissent le Silence de la bien-aimée, qui représente les deux pôles de son inspiration, la Patrie et le Bouddha. Quant à Kim So-wol (1903-1934), il incarne, à lui seul, la poésie coréenne. Chaque vers, chaque mot, chaque sentiment, chaque paysage évoque la Corée dans ce qu'elle a de plus profond et de plus spécifique ; il fait partie de ces poètes qui désespèrent les traducteurs : sa langue est à la fois si simple, si naturelle et si riche en nuances, en connotations que toute transposition paraît d'emblée une trahison. Citons enfin Yun Tong-ju (1917-1945), mort dans les prisons japonaises et dont les poèmes furent publiés à titre posthume en 1948.

   Si Yi In-jik est le père historique du roman coréen moderne, Yi Kwang-su a été le premier à produire des œuvres littéraires dignes de ce nom. Avec lui (la Terre, 1919), la nouvelle, que les Coréens appellent « roman court », s'impose comme le genre prépondérant. On doit aussi à Kim Tong-in des nouvelles d'une élégance toute classique comme les Patates (1925), où un fait divers sert de prétexte à une critique glacée de la décomposition de la Corée traditionnelle. Yi Sang (1912-1939) s'insère dans le mouvement moderniste et intellectualiste des années 1930, et sa nouvelle Nalgae (les Ailes), écrite en 1936, est une des plus célèbres de la littérature moderne. Après un début dans la littérature prolétarienne, Yi Hyo-sok (1907-1942) est vite revenu à la Corée profonde : dans une prose lyrique, il chante la beauté des campagnes et décrit la vie des petites gens (Quand le sarrasin refleurit, 1936).

   Face à ces réussites, le théâtre moderne n'occupe qu'une place marginale. Kim U-jin, Yu Ch'i-jin, Ch'ae Man-sik (1904-1950) ou Yi Kwang-nae (né en 1908) ne parviennent pas à sortir le théâtre coréen de sa position de genre mineur.

La littérature nord-coréenne

Kim Il-song, leader de la Corée du Nord, a écrit : « Notre littérature et nos arts sont devenus vraiment une littérature et des arts du Parti, de la Révolution et du Peuple, ils constituent un puissant moyen pour l'éducation communiste des travailleurs. » C'est dans cette perspective qu'il faut voir la littérature nord-coréenne, littérature difficile d'accès, non seulement parce qu'elle obéit à la pensée du Djoutché (Autonomie), doctrine créée par Kim, mais aussi parce qu'il n'est pas facile d'avoir accès aux œuvres et de se faire une idée de l'activité littéraire de ce pays.

   La littérature nord-coréenne a connu plusieurs grandes périodes. De 1945 à 1950 : édification du socialisme dans la Corée du Nord libérée ; de 1950 à 1953 : guerre de Corée ; de 1950 à 1960 : reconstruction du socialisme ; puis, après une campagne de productivité dite du Ch'ollima (le Cheval qui galope pendant mille li), elle s'est plongée dans la mise en pratique du Djoutché. Ses grands thèmes sont les louanges à la gloire du président Kim, la guérilla antijaponaise, les faits d'armes de la guerre de Corée, la lutte des ouvriers et paysans pour augmenter la production et réaliser les objectifs du Ch'ollima puis du Djoutché, et enfin « la lutte du peuple sud-coréen pour se libérer de la dictature ». Parmi les principaux romanciers, on trouve Yi Ki-yong avec Création (1946) et la Terre (1947), consacrés à la réforme agraire ; il a aussi écrit sur la guérilla antijaponaise (Tumangang, 1954). Han Solya est l'auteur des Gens du village (1946), sur la lutte pour la production, et de Taedonggang, sur la guerre de Corée. Le roman de Ch'on Se-bong Nouveau Printemps au village de Sokkoul (1959), consacré à la productivité, a connu lui aussi beaucoup de succès. Le Phare (1975) de Li Puk-ryong vante, lui, les vertus de Kim Il-song. La mort de ce dernier (8 juillet 1996) et son remplacement, à la tête de l'État, par son fils Kim Joung-il n'ont pas fait évoluer la situation. La littérature doit rester un moyen efficace pour stimuler les travailleurs afin qu'ils accomplissent les tâches qui leur sont assignées. Tous ces thèmes se retrouvent chez Cho Ki-ch'on, le poète le plus représentatif.

La littérature sud-coréenne

Le 15 août 1945, date de la libération du joug japonais, est le point de départ de la littérature sud-coréenne. Dans sa phase initiale, cette littérature est caractérisée par le retour à la liberté, liberté d'opinion mais aussi liberté d'expression car, pour la première fois, les auteurs peuvent écrire en coréen sans contraintes. Cela ne va pas sans problèmes car, comme l'a écrit un critique, la plupart des écrivains « se trouvaient dans la situation difficile de devoir penser en japonais et écrire en coréen ». Pour ce qui est du contenu des œuvres, on assiste à un foisonnement chaotique d'idées et de tendances. Mais l'euphorie de la liberté retrouvée fut de brève durée. La division du territoire, l'opposition violente des forces de gauche et de droite au sein de la République et surtout la guerre de Corée (1950-1953) produisirent une « génération des blessés », période durant laquelle les écrivains plongent dans le désespoir et l'anéantissement. Cet état de prostration se poursuivra jusqu'au mouvement des étudiants du 19 avril 1960, suivi du coup d'État militaire du 16 mai 1961. On voit alors se lever une nouvelle génération qui n'a aucun lien avec le passé et qui a reçu une éducation entièrement coréenne. Elle apporte avec elle des thèmes nouveaux : recherche d'une identité et d'une indépendance culturelles, problèmes posés par la modernisation du pays.

   Les poètes du « Cerf bleu » (Ch'ong Nok), comme Pak Tu-jin (né en 1916), Pak Mok-wol (1917-1988) et Cho Chi-hun (1920-1968), assurent la transition avec la dernière période « japonaise » par des œuvres où dominent le sentiment de la nature, le calme, la douceur et la passivité d'un monde subjectif. Une réaction à cette tendance se manifeste avec le groupe des « modernistes »  : Pak In-hwan (1923-1956), Kim Kyong-nin (né en 1918) et Kim Kyudong (né en 1925) expriment l'aspect négatif de la civilisation moderne, surtout dans le milieu urbain, et leur contribution la plus importante a été le renouvellement de la langue poétique par le recours au langage de la conversation courante. So Chong-ju (né en 1915) est le représentant le plus typique de la « génération des blessés »  : après une période d'un réalisme violent, il s'enferme dans un monde abstrait, idéal et utopique, le royaume ancien de Silla, qui n'a rien à voir avec la vérité historique. Ce monde introspectif et passif se retrouve chez Kim Ch'un-su (né en 1922), tandis que Kim Su-yong (1921-1968) est celui qui exprime le mieux les conflits de la génération des années 1960. Le poète sud-coréen le plus connu à l'étranger est sans conteste Kim Chi-ha (né en 1941) : en 1970, il publia O Chok (les Cinq Bandits), long poème qui dénonce la corruption des classes dirigeantes ; la propagande nord-coréenne diffusa largement ce texte, sans autorisation préalable, et il tomba alors sous le coup des lois anticommunistes.

   Les mêmes courants, les mêmes tendances se retrouvent chez les romanciers. Les conséquences désastreuses de la guerre de Corée, les bouleversements économiques, le drame d'une urbanisation trop rapide ont donné naissance dans le roman à tout un courant « noir » avec Shorty Kim (1957) de Song Pyong-su (né en 1932), Kapitan Lee (1958) de Chon Kwang-yong (né en 1919), Une balle perdue (1959) de Yi Pom-son (né en 1920), le Sang (1972) et la Route de Sanp'o (1973) de Hwang-Sok-yong (né en 1943), Un million pour mourir (1977) de Kim Chin-ok (né en 1927). Mais, comme par le passé, la dure réalité a produit un contre-courant représenté par le refuge dans la beauté éternelle de la Nature, la grande consolatrice : Hwang Sun-won (1915-2000) est le meilleur représentant de cette tendance, avec l'Averse (1952) et les Grues (1953), évocations poétiques de la campagne coréenne, source de tendresse ou de réconciliation. Le courant le plus neuf du roman sud-coréen est celui qui, né dans les années 1960, évoque derrière des histoires en apparence banales, la chape de plomb d'une insularité autant culturelle que politique : Séoul, Hiver 1964, Récit d'un voyage à Moujin (1965), À la façon des années soixante (1986) de Kim Sung-ok (né en 1941), Liberté sous clef (1972) de Chong Yong-hui (né en 1936), le Fauconnier (1968), Ce paradis qui est le vôtre (1976), le Prophète (1977), de Yi Ch'ong-jun (né en 1939). Si la guerre de Corée marque encore beaucoup d'œuvres : l'Aurore (1978), la Maison dans la cour du bas (1989) de Kim Won-il (né en 1942) par exemple, le « miracle économique » coréen et ses conséquences souvent dramatiques pour une partie de la population est un thème que l'on rencontre chez Yi Mun-yol, né en 1948 (Notre héros défiguré,1987), Cho Se-hui, né en 1942 (la Petite Balle lancée par un nain, 1978) ou Kim Sung-ok (la Surproductivité, 1987). Alors que la nouvelle est la forme littéraire la plus répandue, on voit aussi apparaître de longues sagas comme la Terre (1993) de Pak Kyong-ni (née en 1927), les Monts T'aebaek (1986) ou Arirang (1994) de Cho Chong-nae (né en 1943).

   Le théâtre reste, pour sa part, très en retrait de la prose ou de la poésie, malgré les efforts de dramaturges comme Ch'a Pom-sok, Yi Kun-sam, O T'ae-sok, No Kyong-sik.