Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Dorfgeschichte (récit villageois)

Genre littéraire allemand dont la tradition remonte aux Volksbücher des XVIe et XVIIe siècles et aux idylles villageoises du courant rousseauiste, illustré au XIXe par les anecdotes de l'Ami rhénan du foyer de J. P. Hebel, les romans et nouvelles de la montagne suisse de J. Gotthelf, les Récits villageois de la Forêt-Noire de B. Auerbach et par une abondante littérature régionaliste. Le genre évolue dans le sens du réalisme (A. von Droste-Hülshoff, G. Keller, P. Rosegger, L. Thoma) aussi bien que dans celui de la sentimentalité passéiste du « Heimatroman » et de la littérature « Blut und Boden ».

Dorgelès (Roland Lecavelé, dit Roland)

Écrivain français (Amiens 1885 – Paris 1973).

La guerre, Montmartre et le voyage sont les trois grands thèmes de son œuvre. Rendu célèbre par les Croix de bois (1919), évocation du quotidien, des tranchées et de la mort omniprésente, il publie d'autres livres sur la guerre (le Cabaret de la belle femme, 1919 ; Saint-Magloire, 1922). Ses chroniques de la vie montmartroise avant 1914 font de lui un des meilleurs mémorialistes parisiens (le Château des brouillards, 1932 ; Quand j'étais Montmartrois, 1936 ; Portraits sans retouches, 1952 ; Promenades montmartroises, 1961 ; Images, 1976). Il a aussi écrit des récits de voyage, excellents reportages (Sur la route mandarine, 1925 ; Partir, 1926 ; la Caravane sans chameaux, 1928).

Dorimond (Nicolas Drouin, dit)

Acteur et auteur dramatique français (Paris 1628 – id. 1693).

Sa troupe, dite « troupe de Mademoiselle », dans laquelle il jouait les rôles comiques, parcourut la province et l'étranger. Ses pièces (l'École des cocus, 1661 ; l'Inconstance punie, 1661 ; la Comédie de la comédie, 1662) mettent en scène des types très voisins de la farce italienne. Sa tragi-comédie le Festin de pierre ou le Fils criminel (1658) fut une des sources du Dom Juan de Molière.

Dorn (Edward)

Poète américain (Villa Grove, Illinois, 1929 – Denver 1999).

Lié au Black Mountain College, il exprime dans les Nouveaux Déchus (1960) et Haut les mains ! (1964) son attachement à la terre. Il souhaite réformer le « projective verse  » d'Olson (Dégage, Gloucester, 1964). La recherche technique s'allie au thème culturel (Geographie, 1965 ; la Turbine nord-atlantique, 1967) et à la méditation (Gunslinger, 1968-1979 ; les Gars du capitaine Jack, 1983).

Dorst (Tankred)

Écrivain allemand (Sonneberg 1925).

Il se fit connaître par une parabole à la manière de Brecht (la Grande Imprécation devant les murailles de la ville, 1961). Avec la pièce consacrée au poète Toller (1968), il inaugure une forme proche de la « revue » et du théâtre documentaire. Il l'utilisera pour illustrer les rapports de la littérature et de la politique à propos de Sand (1971), de Knut Hamsun (l'Époque glacière, 1973) ou des Goncourt (1977). Il a aussi entrepris la chronique d'une famille allemande entre 1920 et 1980 (Sur le Chimborazo,1974 ; Dorothea Merz, 1976 ; la Mère de Klara, 1978 ; le Jardin interdit, 1983).

Dorvigny (Louis François Archambault, dit)

Acteur et auteur dramatique français (Paris 1742 – id. 1812).

Il crée le personnage populaire de Janot dans un proverbe dramatique (Les battus paient l'amende, 1779), qui impose le mot « janotisme ». Il remet à la mode le type du niais à la logique absurde avec le Désespoir de Jocrisse (1793). Sous la Révolution, il donne des pièces de circonstance (la Parfaite Égalité ou les Tu et Toi, 1794 ) et continue à fournir le Boulevard en succès (le Niais de Sologne, 1803). Il écrit aussi des romans (la Femme à projets, 1808).

Dos Passos (John)

Écrivain américain (Chicago 1896 – Baltimore 1970).

Contemporain de Fitzgerald et d'Hemingway, ami de Cummings, fils bâtard d'un self-made man, formé dans l'esthétisme « fin de siècle » de Harvard, ambulancier pendant la Première Guerre mondiale, voyageur en Europe, au Proche-Orient, en Afrique du Nord entre 1920 et 1939, il entreprend de totaliser la réalité nationale dans ses trilogies, USA (1930-1936) et District de Columbia (1939-1949). Malgré les contradictions, son œuvre présente en continu une protestation contre la société américaine en même temps que l'attachement à ses valeurs. Le hobo qui conclut la Grosse Galette (1936) est la figure des déshérités de l'Amérique, mais aussi de la multiplicité d'un espace qui a commandé les techniques nouvelles du collage, du montage, du simultanéisme. Les techniques de Dos Passos produisent un roman à la fois de l'individu et d'une collectivité sans centre de gravité (Manhattan Transfer, 1925). Quarante-Deuxième Parallèle (1930) expose le capitalisme sauvage. Dans la Belle Vie (1966), Dos Passos dit le secret de sa vocation : non pas faire l'histoire, mais refaire le temps dans l'évocation de l'histoire. Cette leçon se lit exemplairement dans Terre élue (1951). Le héros, orphelin ou artiste, a perdu les cadres cognitifs qui lui permettraient de se placer dans la réalité américaine. Défini par sa parole singulière, il incarne, parce qu'il est témoin, la voix publique et son existence se confond avec le social. Orient-Express (1927), De tous pays (1934), D'une guerre à l'autre (1938) présentent les seules figures rédemptrices : prieur et vagabond musulmans, paysan espagnol, tous vivent dans le présent et dans l'histoire, dans la solitude et dans la communauté, en eux-mêmes et hors d'eux-mêmes. Le récit de formation (Initiation d'un homme, 1920) devient peinture de l'indéterminé. Manhattan Transfer invente la technique de composition capable de fixer cette vision du monde. Influencé par la peinture (il peignit lui-même les gratte-ciel new-yorkais) et le cinéma (Eisenstein), Dos Passos utilise simultanéisme et montage pour réfracter la vie de la métropole dans une douzaine de personnages. Chaque chose, chaque être fait événement, et s'insère en un réseau discret. La concentration des événements et la condensation de la symbolique font de l'espace une miniature et la trace d'un devenir. La pathologie de la ville résume toutes les critiques sociales. Les allers et retours d'une scène à l'autre, commandés par le simultanéisme, fondent le réalisme sur un décalage constant des représentations du même objet.

   Cette méthode de composition assure, tout particulièrement dans USA (trilogie composée de Quarante-deuxième parallèle, 1930 ; l'An premier du siècle, 1932 ; la Grosse Galette, 1936), la saisie du gigantisme américain et ne donne jamais les moyens d'une représentation synthétique. L'usage systématique de la technique impersonnelle, des récits autonomes, des références au cinéma permet la notation des points extrêmes sans rien hiérarchiser. Ce défaut de hiérarchie, témoignage du pessimisme politique de l'auteur, assure encore l'égalité et la continuité de la représentation qui apparaît syncrétique par son propre développement. L'épopée de l'échec est ainsi épopée du réel, en ce qu'elle exclut tout point de vue ordonnateur, et qu'elle fait de tout individu la mesure du quotidien. L'impersonnalité est à la fois le signe de la ruine de l'homme anonyme et le moyen de traduire une vaste coexistence des choses et des êtres américains, née du constat d'un défaut général de plénitude. En rapportant explicitement, après 1939, la recherche de la filiation à une idéologie conservatrice, Dos Passos se prive de l'ambiguïté constitutive de son univers romanesque. Aventures d'un jeune homme (1939), Numéro Un (1943), le Grand Dessein (1949) n'allient plus critique politique et innovation narrative, et conduisent inévitablement au roman quasi didactique (la Grande Époque, 1958) qui célèbre la libre entreprise (le Milieu du siècle, 1961).