Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Finlande (suite)

Le mouvement moderniste

Dès le début du siècle, les poètes suédois de la Finlande semblent plus sensibles que leurs compatriotes finnois aux influences étrangères : Edith Södergran introduit ainsi dans le Nord le mouvement moderniste. Du côté finnois se constitue le groupe peu homogène des « Porteurs de feu », que fréquentent la plupart des écrivains importants des années 1920 et 1930. Le théoricien du mouvement est Olavi Paavolainen, qui se fait l'introducteur des idées cosmopolites. Deux grands poètes, Aaro Hellaakoski et P. Mustapää, ancrent solidement leur œuvre dans l'identité nationale. Aino Kallas s'inspire de l'histoire estonienne, et Maria Jotuni, auteur de comédies acerbes et de nouvelles dialoguées, fustige les conventions bourgeoises. Le milieu ouvrier et les tendances socialistes sont les thèmes des poètes Arvo Turtiainen et Elmer Diktonius. Hella Wuolijoki prend pour cadre de son œuvre dramatique le milieu paysan : c'est la série des Niskavuori, très appréciée par le grand public.

   Mika Waltari débute parmi les « Porteurs de feu » ; il est le premier à écrire des romans sur la vie des bourgeois et des intellectuels des villes ; mais ce sont ses vastes fresques historiques (Sinouhé l'Égyptien) qui lui vaudront, après la Seconde Guerre mondiale, une renommée internationale. Un autre « Porteur de feu », Pentti Haanpää, connaît une carrière toute différente : dans ses nouvelles, dont la langue originale garde un caractère foncièrement rustique, il dépeint les habitants et les vagabonds des régions déshéritées, avec un humour parfois féroce. Cette veine sera reprise par Veikko Huovinen, dont les personnages évoluent aussi dans les forêts du Nord-Est.

   Haanpää est le maître incontesté des juttu, ces brefs récits au style familier. D'autres genres de « prose miniature » sont particulièrement bien adaptés au caractère de la littérature finnoise. Juhani Aho a créé le lastu (le « copeau »), parfois humoristique, parfois proche de la poésie lyrique. Le pakina, encore plus répandu (et que l'on traduit en français par « causerie »), est principalement humoristique et a pour sujet l'actualité ou la vie quotidienne.

   L'après-guerre voit l'influence de l'existentialisme avec Juha Mannerkorpi et Jorma Korpela, auteurs de romans à tendance éthique. La ville de Tampere, et plus particulièrement son quartier ouvrier, ne cesse cependant de donner à la littérature finnoise des auteurs majeurs : Lauri Viita, Väinö Linna, Hannu Salama. Cependant, au cours des années 1950, la littérature finlandaise voit poindre une nouvelle génération d'écrivains : Eeva-Liisa Manner, Paavo Haavikko, Pentti Saarikoski, Bo Carpelan bouleversent la tradition lyrique ; ils sont soutenus par Tuomas Anhava, rédacteur en chef de la revue Parnasso, qui contribue au succès de la poésie moderniste. Veijo Meri et Antti Hyry, pour leur part, renouvellent la conception traditionnelle du roman, Meri avec son sens extrême du grotesque, Hyry dans une perspective proche du nouveau roman français. Mais, depuis la parution du Soldat inconnu (1956) de Väinö Linna, la littérature traditionnelle finnoise se donne entre autres pour tâche l'analyse de l'histoire récente en dévoilant les côtés officiellement reniés de la guerre. Paavo Rintala, avec son Commando de la mort blanche, suscite des polémiques intenses, et la trilogie Ici sous l'étoile Polaire de Linna présente une nouvelle interprétation de la guerre civile et, par là même, de tout un siècle d'histoire finlandaise. Les années 1960 sont d'ailleurs marquées par la contestation politique. C'est l'époque des « chansons de cabaret » et des pièces lyriques engagées, comme l'Opéra de la mutinerie de Lapua d'Arvo Salo. Matti Rossi fait place aux événements mondiaux (le Viêt-nam et l'Amérique du Sud entrent dans la littérature finnoise), tandis qu'Alpo Ruuth et Lassi Sinkkonen renouvellent le roman social.

   La réaction des années 1970 se manifeste par un retour marqué au roman régional : Eeva Joenpelto brosse l'histoire récente de son terroir au Sud-Ouest ; Kalle Päätalo décrit, dans un style qui lui vaut de grands succès populaires, la vie des habitants du Kainuu, au Nord-Est ; Eino Säisä est le peintre de la province de Savo, Heikki Turunen celui de la Carélie. Timo K. Mukka, de Pello en Laponie, les domine tous par le tragique de son œuvre et de sa destinée.

Tendances contemporaines

Le sentiment d'impuissance et l'angoisse existentielle sont de grands thèmes du roman contemporain. Dans les romans d'Olli Jalonen, les systèmes de protection dont s'entourent les individus constituent un risque social majeur. Jalonen crée ses personnages en puisant au plus profond de l'être, dans les rêves et les craintes, dans la logique inexplicable de l'existence et du cauchemar de la mémoire. Juha Seppälä, Kari Hotakainen et Jari Tervo ont brossé dans leurs romans un tableau facilement reconnaissable du temps présent. Leur style, fait d'une ironie souvent amère, dénonce l'absurdité et la cruauté du chaos humain. Arto Paasilinna se place également dans le monde des interdits et des libertés. Ses romans révèlent cependant une approche entièrement différente du mal de vivre des individus, et de leurs démêlés avec un système coercitif. Laila Hietamies et Kalle Päätalo ont su gagner, eux aussi, la fidélité de nombreux lecteurs grâce à des romans sous-tendus par un discours nostalgique qui renvoie aux expériences de jeunesse ; Hietamies fait revivre avec une nostalgie romantique l'histoire de la Carélie finlandaise qui se confond avec celle de la Russie ; Päätalo décrit d'un roman à l'autre le long et lent devenir d'un fils de la région de Kainuu.

   Chez les auteurs féminins, le modèle épique met l'accent sur l'adaptation à la dure réalité quotidienne. Eeva Kilpi a suivi le sillon qu'avaient tracé Jotuni et Kallas en revendiquant pour les femmes le droit à une vie affective et à la sexualité, contre les préjugés et les réticences de la société. Annika Idström s'est intéressée à la puissance du mal et des tabous dans les relations interpersonnelles. Anja Kauranen (devenue Snellman) a examiné les grands moments marquants de la vie d'une femme et la difficulté qu'il y avait à suivre sa propre voie : son premier roman, Sonja O. est passée ici, a connu un grand retentissement. Les nouvelles de Rosa Liksom ont pour thème de prédilection l'exclusion des jeunes vivant dans les grandes villes et la mort lente des campagnes abandonnées. Dans son roman écrit en suédois, Adorables femmes à la plage (1994), Monika Fagerholm a décrit, non sans quelque ironie délicate, le choc du rêve et de la réalité chez les jeunes citadines.

   La caractérisation essentielle de ces dernières années paraît être celle du mélange : interférences culturelles, multiplicité des genres, hommes, femmes, écrivains d'origine prolétaire et bourgeoise... La littérature confirme la vocation géographique, historico-politique de ce pays frontière entre l'Est et l'Ouest.