Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Croce (Benedetto)

Philosophe et écrivain italien (Pescasseroli, L'Aquila, 1866 – Naples 1952).

L'œuvre et la pensée de Croce ont dominé la scène culturelle italienne pendant toute la première moitié du XXe siècle. À partir de 1903, la revue La Critica témoigne de son incessante intervention dans les domaines les plus variés de la culture contemporaine. Son œuvre, immense, alterne réflexion théorique et pratique érudite, philosophie de l'histoire et historiographie, esthétique et critique. C'est surtout dans la critique littéraire que Croce a exercé son influence avec notamment Arioste, Shakespeare et Corneille (1920), la poésie de Dante (1921), Poésie et non poésie (1923), Histoire de l'âge baroque en Italie (1929), Essais et Nouveaux essais sur la littérature italienne du XVIIe siècle (1911-1931). Affirmant l'autonomie de l'art, Croce se propose de distinguer le beau dans chaque œuvre, autrement dit l'expression pure de ses résidus idéologiques. Son influence s'étendait également dans la sphère politique. D'abord indulgent à l'égard du fascisme, Croce se ravise devant le raidissement dictatorial du régime en assumant par la suite une attitude clairement antifasciste. Nombreux opposants à Mussolini se réunissent alors autour de son nom et de ses idées libérales. À partir du Manifeste des intellectuels antifascistes (1925), il est le symbole d'une résistance au fascisme, qui, non militante, mais déterminée, se terminera seulement avec la chute du régime. L'engagement moral de Croce est explicite dans sa philosophie, en particulier dans l'Histoire comme pensée et comme action (1938), où la réflexion sur l'histoire, interprétée comme histoire de la liberté, sert à unifier la vie de l'esprit.

Croce (Giulio Cesare)

Écrivain italien (San Giovanni in Persiceto 1550 – Bologne 1609).

Poète ambulant, autodidacte, à qui sont attribuées plus de 400 œuvres, tantôt en italien, tantôt en dialecte bolonais. Les Astuces très subtiles de Bertoldo et les Simplicités plaisantes et ridicules de Bertoldino, fils de Bertoldo, lui-même déjà astucieux (1608), dont les héros sont devenus proverbiaux, sont des chefs-d'œuvre de verve et de réalisme populaires. À partir de 1620, on prit l'habitude de publier ensemble ces deux récits en leur adjoignant la médiocre suite que leur donna Adriano Banchieri (Cacasenno), sous le titre collectif de Bertoldo, Bertoldino et Cacasenno.

Crommelynck (Fernand)

Écrivain belge de langue française (Paris 1886 – Saint-Germain-en-Laye 1970).

Journaliste par nécessité, Crommelynck partagea son existence entre Bruxelles et Paris, avec de fréquents séjours à Ostende. Il remporta à 20 ans le prix de la revue bruxelloise le Thyrse pour Nous n'irons plus au parc, jouée à Bruxelles en 1906. Le Sculpteur de masques fut créé à Moscou avant de paraître en volume en 1908 et d'être joué à Paris dans une version remaniée. Chacun pour soi (1906), satire mordante de la bourgeoisie d'affaires, fut sa première pièce en prose. Après avoir été l'animateur du Théâtre-Volant à Bruxelles durant la guerre, Crommelynck écrit entre 1916 et 1919 le Cocu magnifique, monté par Lugné-Poe à l'Œuvre, en 1920, avec un succès retentissant. Ce drame-farce montre la montée de la jalousie se nourrissant d'elle-même. Ce « coup de force » rendit l'auteur célèbre immédiatement. Mais les Amants puérils, l'année suivante, connurent un échec durable. Tripes d'Or (1925), drame burlesque de l'avarice, rencontra la même incompréhension. Suivent Carine ou la Jeune Fille folle de son âme (1929) et Une femme qui a le cœur trop petit (1934). Chaud et Froid, créé en 1934, est « le procès d'une société qui se crée des mythes ». L'œuvre de Crommelynck se situe, par bien des côtés, aux origines du théâtre de l'absurde. Elle est parente de celle de Ghelderode par sa truculence, le baroquisme poétique de son style, le goût du paroxysme et son sens pictural.

Cronin (Archibald Joseph)

Romancier anglais (Cardross, Dumbartonshire, 1896 – Montreux 1981).

Médecin dans la marine, il dit la ténacité des hommes de bonne volonté, la loi morale sous un ciel vide, la droiture dans un monde vil (le Chapelier et son château, 1935 ; Sous le regard des étoiles, 1934 ; les Clés du royaume, 1941 ; les Vertes Années, 1944 ; l'Arbre de Judas, 1961). La Citadelle (1937) reste son titre le plus connu : un médecin, pris entre son métier et la mine qui l'emploie, perd sa femme et sa foi, mais reconquiert in extremis son honneur et son idéal.

Cros (Charles)

  • Charles Cros, l'Obsession, par Constant Coquelin

Écrivain français (Fabrezan 1842 – Paris 1888).

« Physicien, chimiste, philosophe et poète, je suis depuis longtemps condamné à n'être que l'humoriste titubant de Pituite et du Hareng saur. » Cros consate en 1887 un malentendu : on le réduit à un bohème fantasque. Assidu aux « Vilains Bonshommes », au « Cercle zutique » (1871), un des premiers hydropathes, une célébrité du Chat-Noir (1881), il avait fondé le « Club des zutistes » (1883). L'habitué des tavernes (Quartier latin, Montmartre, Montparnasse) avait fait rire : il laisse la trace d'un humoriste vertigineux. Il avait recréé le genre médiéval oublié du monologue, devenu grâce à lui une « espèce de vaudeville à un personnage » selon la définition de Coquelin : il reprend les textes du poète miséreux, mélange corrosif de burlesque et de « fumisterie » d'où surgit une poésie absurde. Seul Verlaine (Hommes d'aujourd'hui, 1888) reconnaît le « versificateur irréprochable qui laisse au thème sa grâce ingénue ou perverse ». En 1873, Cros publie à ses frais son unique recueil de vers, le Coffret de santal. Mêlant thèmes et genres, fonds populaire ou métrique savante (la terza rima chère à Gautier), dans des vers « ni classiques, ni romantiques, ni décadents bien qu'avec une pente à être décadents, s'il fallait absolument mettre un semblant d'étiquette sur de la littérature aussi indépendante et primesautière » (Verlaine), cette somme, fraîche, hétérogène, retient par ses Fantaisies en prose, dont « Sur trois aquatintes de Henry Cros ». Elle a une rare fantaisie de voyant. Les parnassiens, croisés dans le salon de Nina de Villard (sa passion), impassibles, oubliant sa participation aux deux premiers Parnasse, l'excluent (« Je suis l'expulsé des vieilles pagodes »). Sa Revue du Monde nouveau, qui publia le Démon de l'analogie de Mallarmé, eut trois numéros. Celui qui rêvait de communiquer avec les planètes a dispersé ses dons littéraires et scientifiques. Il eut l'idée du phonographe (d'où l'actuel prix du même nom), du télégraphe, réussit la synthèse des pierres précieuses, fit des recherches sur la photographie en couleurs. Sa légèreté, sa désinvolture ont les fulgurations de l'humour moderne (Breton le cite dans son Anthologie de l'humour noir) et l'empêchèrent de figurer au premier rang des poètes ou des physiciens. « Moi, je vis la vie à côté. » Le Collier de griffes est posthume. Pour Breton, Cros annonce les Illuminations et Rimbaud.