Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
V

Voltaire (François Marie Arouet, dit) (suite)

Le correspondant de l'Europe éclairée

Voltaire multiplie les correspondances à travers l'Europe, dont il devient la « conscience » : 18 000 lettres adressées à 700 correspondants (d'Alembert, d'Argental, l'abbé de Chaulieu, Mme du Deffand, Mme Denis, le fidèle Thiériot, Lekain, Vauvenargues, Walpole, mais aussi Benoît XIV et Frédéric II). Toute la vie de Voltaire est inscrite dans la correspondance (une moyenne d'une demi-douzaine de lettres par jour entre 1713 et 1778). Des lettres sur tous les tons et tous les sujets, lettres de courtisan, d'homme d'affaires, de philosophe, d'historien, d'homme de théâtre, d'ami : un vrai manuel de savoir-vivre, où dominent l'intelligence et le calcul ; la chronique non seulement d'un homme qui est une « merveille physiologique » (Valéry), mais de la vie intellectuelle et mondaine de l'Europe vue par un homme « à cheval sur le Parnasse et la rue Quincampoix » (Frédéric II). Celui qu'on nomme le patriarche de Ferney affectionne alors les œuvres percutantes et satiriques, comme le Dictionnaire philosophique (1764). Alors que l'Encyclopédie représentait une somme monumentale de la pensée des Lumières, Voltaire voulait dans le Dictionnaire proposer une œuvre incisive, plus maniable et plus offensive. Les articles, classés alphabétiquement de Abbé à Vertu, sont autant de petits pamphlets qui ressassent la dénonciation des préjugés, des abus et des fanatismes. Des questions philosophiques, littéraires, politiques et sociales sont débattues dans des articles qui prennent parfois la forme de dialogues ou de récits, mais la question religieuse et l'attaque anticléricale dominent dans ces pages, modèle de ce qu'on a pu appeler « l'esprit voltairien ».

   Il compose également De l'horrible danger de la lecture (1765) et les contes (Jeannot et Colin, 1764 ; l'Ingénu, 1767 ; l'Homme aux quarante écus et la Princesse de Babylone, 1768 ; le Taureau blanc, 1774 ; l'Histoire de Jenni, parodie de Prévost, et les Oreilles du comte de Chesterfield, 1775). C'est le moment de la croisade anticléricale, encouragée par l'expulsion des jésuites en 1762 et résumée par le slogan « Écrasons l'infâme ». Voltaire composa jusqu'à son dernier jour. En 1777, il écrivit encore les Dialogues d'Evhémère, dialogues philosophiques, et une tragédie, Irène, qu'il vint faire représenter à Paris. Ce retour dans la capitale après vingt-sept ans d'éloignement prit des allures d'apothéose. Le vieillard fut accueilli triomphalement à l'Académie et à la Comédie-Française. Les agitations et les fatigues d'un tel triomphe hâtèrent sa fin. Sa mort, le 30 mai 1778, relança les polémiques, à propos de son éventuel repentir et de son inhumation religieuse. Il fut enseveli par son neveu, l'abbé Mignot, à l'abbaye de Scellières, en attendant que la Révolution lui décerne les honneurs du Panthéon, en 1791.

   Le philosophe apparaît comme le porte-parole du nouvel humanisme des Lumières, soucieux du bonheur ici-bas plutôt que du salut éternel, de physique plutôt que de métaphysique, d'une histoire de la vie quotidienne plutôt que du récit des batailles et des événements dynastiques. Partisan de réformes politiques, juridiques, défenseur des droits de l'homme qu'accordera la Révolution, mais éloigné des audaces philosophiques de Diderot ou de Rousseau, il incarne l'esprit bourgeois dans son dynamisme et dans ses limites.

Vonnegut (Kurt)

Écrivain américain (Indianapolis 1922-New York 2007).

Ses romans, que l'on peut rapprocher de ceux d'un Fredric Brown ou d'un Robert Sheckley, font un emploi si particulier de la science-fiction que les Anglo-Saxons ont forgé un néologisme pour les désigner : « vonnegutsy ». Seul le Pianiste déchaîné (1952), son premier roman, relève d'une science-fiction classique. Si son univers est l'un des plus singuliers de la littérature américaine contemporaine (les Sirènes de Titan, 1959 ; le Berceau du chat, 1963 ; le Breakfast du champion, 1973 ; le Cri de l'engoulevent dans Manhattan désert, 1976 ; Gibier de potence, 1979 ; Rudy Waltz, 1982 ; Psalm Sunday, 1981 ; Galapagos, 1985), il est d'abord un écrivain satirique au ton mordant qui stigmatise les travers de sa société avec beaucoup de finesse, illuminant de son verbe ses obsessions, excès et défauts, recourant à des faits marquants (tel le bombardement de Dresde dans Abattoir 5, 1969) ou à des inversions de situation (comme celle de l'éducateur en détenu dans Abracadabra, 1990).

Voronca (Ilarie)

Poète français d'origine roumaine (Braïla 1903 – Paris 1946).

Après des études de droit, il devient journaliste à Bucarest, lance une revue de caractère dadaïste avec Brauner (75HP), collabore à Punct et à Integral, où il critique le surréalisme, qu'il rejoindra par ses contributions à Unu. Il publie ensuite plusieurs recueils de poèmes de ton élégiaque (Incantatii, 1931), qu'il traduira en français lorsqu'il s'installera à Paris (1933), tel Ulysse dans la cité (1933). Les titres de ses recueils – Poèmes parmi les hommes (1934), la Poésie commune (1936), La joie est pour l'homme (1936), Beauté de ce monde (1939) – disent assez son aspiration au bonheur entrevu, son amour, non dénué d'ironie, pour la collectivité humaine. Ses images, insolites et concrètes, portent un chant d'innocence et de bonté, largement pathétique. Ses romans (Lord Duveen ou l'Invisible à la portée de tous, 1941 ; Souvenir de la planète Terre, 1945) relèvent d'un fantastique hoffmannien. L'Interview (1944) médite sur la création artistique à travers l'exemple voilé de Brancusi. Mais, ne pouvant concilier le rêve et la vie, Voronca se suicida, en laissant le dernier appel de Contre-solitude (1946).

Vörösmarty (Mihály)

Écrivain hongrois (Kápolnásnyék 1800 – Pest 1855).

Chef de file des romantiques, il est avec Petöfi le plus important poète hongrois de la première moitié du XIXe s. Né en Transdanubie dans une famille de hobereaux appauvris, il devint avocat en 1824. Il est l'auteur de poèmes épiques : la Fuite de Zalán (1825), Cserhalom (1825), histoires situées dans des époques lointaines ou imaginaires. De cette époque datent également la tragédie Kont (1825), l'épopée les Deux Châteaux voisins (1831) et le conte dramatique Csongor et Tünde (1831). Député pendant la révolution de 1848, il vit dans la clandestinité après la défaite, puis, gracié, revient à Pest en 1850. Vers la fin de sa vie, atteint de mélancolie, il se sent guetté par la folie. On lui doit aussi de nombreux poèmes lyriques, comme Szózat (Appel, 1837), devenu chant national, des chansons à boire (Chants de Fót, 1842) et des poèmes philosophiques (Réflexions surgies dans une bibliothèque, 1844 Préface, 1850).