Voltaire (François Marie Arouet, dit) (suite)
Le correspondant de l'Europe éclairée
Voltaire multiplie les correspondances à travers l'Europe, dont il devient la « conscience » : 18 000 lettres adressées à 700 correspondants (d'Alembert, d'Argental, l'abbé de Chaulieu, Mme du Deffand, Mme Denis, le fidèle Thiériot, Lekain, Vauvenargues, Walpole, mais aussi Benoît XIV et Frédéric II). Toute la vie de Voltaire est inscrite dans la correspondance (une moyenne d'une demi-douzaine de lettres par jour entre 1713 et 1778). Des lettres sur tous les tons et tous les sujets, lettres de courtisan, d'homme d'affaires, de philosophe, d'historien, d'homme de théâtre, d'ami : un vrai manuel de savoir-vivre, où dominent l'intelligence et le calcul ; la chronique non seulement d'un homme qui est une « merveille physiologique » (Valéry), mais de la vie intellectuelle et mondaine de l'Europe vue par un homme « à cheval sur le Parnasse et la rue Quincampoix » (Frédéric II). Celui qu'on nomme le patriarche de Ferney affectionne alors les œuvres percutantes et satiriques, comme le Dictionnaire philosophique (1764). Alors que l'Encyclopédie représentait une somme monumentale de la pensée des Lumières, Voltaire voulait dans le Dictionnaire proposer une œuvre incisive, plus maniable et plus offensive. Les articles, classés alphabétiquement de Abbé à Vertu, sont autant de petits pamphlets qui ressassent la dénonciation des préjugés, des abus et des fanatismes. Des questions philosophiques, littéraires, politiques et sociales sont débattues dans des articles qui prennent parfois la forme de dialogues ou de récits, mais la question religieuse et l'attaque anticléricale dominent dans ces pages, modèle de ce qu'on a pu appeler « l'esprit voltairien ».
Il compose également De l'horrible danger de la lecture (1765) et les contes (Jeannot et Colin, 1764 ; l'Ingénu, 1767 ; l'Homme aux quarante écus et la Princesse de Babylone, 1768 ; le Taureau blanc, 1774 ; l'Histoire de Jenni, parodie de Prévost, et les Oreilles du comte de Chesterfield, 1775). C'est le moment de la croisade anticléricale, encouragée par l'expulsion des jésuites en 1762 et résumée par le slogan « Écrasons l'infâme ». Voltaire composa jusqu'à son dernier jour. En 1777, il écrivit encore les Dialogues d'Evhémère, dialogues philosophiques, et une tragédie, Irène, qu'il vint faire représenter à Paris. Ce retour dans la capitale après vingt-sept ans d'éloignement prit des allures d'apothéose. Le vieillard fut accueilli triomphalement à l'Académie et à la Comédie-Française. Les agitations et les fatigues d'un tel triomphe hâtèrent sa fin. Sa mort, le 30 mai 1778, relança les polémiques, à propos de son éventuel repentir et de son inhumation religieuse. Il fut enseveli par son neveu, l'abbé Mignot, à l'abbaye de Scellières, en attendant que la Révolution lui décerne les honneurs du Panthéon, en 1791.
Le philosophe apparaît comme le porte-parole du nouvel humanisme des Lumières, soucieux du bonheur ici-bas plutôt que du salut éternel, de physique plutôt que de métaphysique, d'une histoire de la vie quotidienne plutôt que du récit des batailles et des événements dynastiques. Partisan de réformes politiques, juridiques, défenseur des droits de l'homme qu'accordera la Révolution, mais éloigné des audaces philosophiques de Diderot ou de Rousseau, il incarne l'esprit bourgeois dans son dynamisme et dans ses limites.