Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Beaumarchais (Pierre Augustin Caron de)

Écrivain français (Paris 1732 – id. 1799).

L'essentiel de sa vie est extérieur à la littérature. Ce jeune bourgeois, fils d'un artisan horloger, s'essaya aux activités les plus diverses pour faire fortune et carrière. Il perfectionna le mécanisme des montres, pénétra à la Cour, puis dans le milieu des grands financiers, devint professeur de harpe des filles de Louis XV, puis l'associé du richissime Pâris-Duverney, acheta une charge anoblissante et se fit appeler de Beaumarchais. Chacune de ces occupations fut l'occasion de déployer son charme, son sens de l'intrigue et son goût des affaires, mais il se heurta aux pesanteurs des privilèges et aux enjeux d'intérêts économiques opposés. Sa vie se poursuivit de coups d'éclat en scandales : un procès avec les héritiers de sa première femme morte trop tôt, un second procès avec les héritiers de Pâris-Duverney qui rebondit en une nouvelle affaire avec l'un des juges, le conseiller Goezman, qu'il accusa de corruption, des missions secrètes pour empêcher la diffusion de libelles injurieux envers le vieux Louis XV puis le jeune Louis XVI, des ventes d'armes aux insurgents américains, ensuite à la République française en guerre contre les monarchies européennes. Jusqu'à sa mort, il tente de soutenir son ascension personnelle dans la France d'Ancien Régime d'une volonté de réformes et de progrès. D'où son engagement en faveur de la révolution américaine et l'ambiguïté de ses positions à l'égard de la Révolution française.

   C'est d'abord son existence mondaine et ses démêlés avec la justice qui l'amenèrent à l'écriture et à la littérature. Pour le financier Lenormant d'Étioles, mari complaisant de Mme de Pompadour, il composa des parades, pièces de théâtre volontiers grossières et scatologiques qui jouaient d'un comique prétendument populaire pour des privilégiés. Plus tard, il rédigea des Mémoires et des factums qui alertèrent l'opinion publique et firent pression sur ses juges. Ses Mémoires de l'affaire Goezman, en 1773-1774, mirent les rieurs de son côté. Il s'intéressa au genre dramatique nouveau, promu par Diderot, lancé surtout par le Philosophe sans le savoir de Sedaine en 1765. Beaumarchais obtint un succès relatif en 1767 avec sa première pièce Eugénie, accompagnée d'une longue préface intitulée Essai sur le genre dramatique sérieux, mais échoua avec la seconde en 1770, les Deux Amis ou le Négociant de Lyon. La rentabilité de l'écriture théâtrale était alors limitée par les privilèges des comédiens-français. Beaumarchais s'attaqua à leur monopole en cherchant à unir les auteurs dramatiques et en fondant en 1777 une société qui est à l'origine de l'actuelle Société des auteurs. De telles revendications ne trouvèrent leur aboutissement que sous la Révolution, avec la libération du théâtre et la création des droits d'auteur.

   Ses premières productions, les parades (les Bottes de sept lieues, Zirzabelle mannequin, Jean Bête à la foire), étaient destinées à des théâtres privés. Le premier de ses drames, Eugénie, est l'histoire d'une jeune fille séduite par un courtisan qui a feint un mariage secret pour l'obtenir : elle découvre qu'elle est enceinte et que son prétendu mari va épouser une riche héritière ; diverses péripéties donnent à l'aristocrate le temps de revenir à de meilleurs sentiments et au rideau de se baisser sur la morale rétablie. Dans les Deux Amis ou le Négociant de Lyon, les mouvements d'argent constituent le fond de l'intrigue : un négociant risque en toute innocence la faillite, son ami receveur des fermes comble secrètement son déficit et devient victime de son dévouement ; une fois encore, tout finit par s'arranger. C'est dans la gaieté du Barbier et du Mariage que Beaumarchais atteint son plein épanouissement dramatique. Les péripéties biographiques de l'auteur, plus que les déclarations de ses personnages, transformèrent chacune de ses pièces en scandale. Beaumarchais sut exploiter l'attente du public et la mesquinerie de la censure officielle pour faire de chaque représentation un triomphe personnel. En 1787, l'opéra Tarare met en scène, dans un décor oriental, la chute d'un despote et l'avènement d'un bon prince. En 1792, Beaumarchais reprend les personnages du Mariage et revient au drame avec la Mère coupable.

Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile, comédie en 4 actes et en prose (1775). Issue d'une parade écrite en 1765 (le Sacristain, intermède espagnol), la pièce connut diverses formes, dont celle d'un opéra-comique, plusieurs interdictions et l'échec d'une première représentation avant de remporter un grand succès en février 1775. Elle fut imprimée quelques mois plus tard, accompagnée de la Lettre modérée sur la chute et la critique du Barbier de Séville. Beaumarchais a su renouveler un schéma traditionnel (l'amant arrache la jeune fille, Rosine, à son tuteur ombrageux, Bartholo, grâce au valet, Figaro), en ennoblissant les personnages et en faisant de Figaro un esprit indépendant, un aventurier poète.

Le Mariage de Figaro ou la Folle Journée, comédie en 5 actes. Rédigée de 1776 à 1780, elle fut interdite en 1782, puis, après remaniement, en 1783, jouée sur des scènes privées, avant d'être représentée publiquement au printemps 1784 et de remporter un immense succès. L'idée originale de donner une suite au Barbier avec le Mariage de Figaro permet de saisir les personnages dans la durée, le comte Almaviva, Rosine devenue la comtesse, Figaro, Bartholo et Bazile. Le comte délaisse sa femme et tente de séduire Suzanne la fiancée de Figaro. Il voit ses soutiens l'abandonner et se retrouve finalement combattu et vaincu par sa femme, ses valets, ses obligés. Il conserve son élégance et sa dignité mais son libertinage le rend odieux aux femmes comme à ses inférieurs. La comtesse, épouse délaissée, apprend à se révolter, Marceline dénonce la situation faite aux femmes, Figaro conteste les privilèges de la noblesse et revendique la reconnaissance de son mérite. Il fait du peuple un acteur essentiel de sa vengeance. S'appuyant sur des innovations dramaturgiques, Beaumarchais veut restaurer l'ancienne gaîté de la comédie et lui donner des prolongements sérieux et sentimentaux. Il combine des situations de drame (la mélancolie de la comtesse, Figaro retrouvant ses parents, son long monologue qui en fait un héros pathétique) et la plus grande fantaisie dans le déroulement de l'action, le sens du dialogue ou l'invention du personnage de Chérubin et son éveil à la sexualité.

La Mère coupable ou l'Autre Tartuffe, drame en 5 actes. Beaumarchais mène à son terme l'idée originale de suivre ses personnages dans leur évolution et complète les deux premières comédies par un drame qui culmine avec la folie momentanée de la comtesse. Le projet date de 1785, la pièce est composée en 1789-1790, représentée en 1792, puis reprise dans une version remaniée en 1797 après le retour d'exil de son auteur. Au décor espagnol des deux premières pièces succède un cadre parisien et révolutionnaire. Un imposteur, « l'autre tartuffe », du nom de Bégears, tente d'exploiter les secrets de la famille Almaviva. Florestine qui passe pour la pupille et la filleule du comte est en réalité sa fille ; Léon, pour sa part, est le fils de la comtesse et de Chérubin, qui a disparu à la guerre. Figaro et Suzanne, en serviteurs dévoués, parviennent à déjouer les complots de Bégears. Léon peut épouser Florestine, et les époux réconciliés se pardonnent leurs fautes passées.