Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Meredith (George)

Écrivain anglais (Portsmouth 1828 – Box Hill, Surrey, 1909).

Romancier exigeant, au style virtuose, théoricien (la Comédie et les usages de l'esprit comique, 1877), il vitupère contre l'esprit de système et les théories de l'éducation (l'Épreuve de Richard Feverell, 1859 : élevé par un père égocentrique, un jeune homme se laisse séduire et perd sa jeune épouse). Une suite de sonnets (l'Amour moderne, 1862) décrit l'effondrement du couple, tandis que Rhoda Fleming (1865) prône un féminisme malheureux. Un roman politique (la Carrière de Beauchamp, 1875), un hommage au socialiste Lassalle (les Comédiens tragiques, 1880) confirment une même vérité : l'homme est un être de vanité dont la femme doit se libérer. C'est la morale de l'Égoïste (1879), dont le héros est rejeté successivement par deux fiancées exaspérées par son égocentrisme, avant d'être accepté par une troisième, qui ne l'aime plus. Défenseur de la liberté féminine (Diane des carrefours, 1885), Meredith se replie, comme Hardy, sur la poésie (Poèmes et chants lyriques de la joie de la terre, 1883).

Merejkovski (Dmitri Sergueïevitch)

Écrivain russe (Saint-Pétersbourg 1866 – Paris 1941).

Il inaugure le courant moderne en Russie avec un recueil d'articles où il s'élève contre le matérialisme des années 1860-1880 (Des causes de l'actuelle décadence et des nouvelles tendances de la littérature russe contemporaine, 1892). Sa revue la Nouvelle Voie et son recueil poétique Symboles (1892) jouent un grand rôle dans la formation du symbolisme. Ses essais philosophiques, ses romans historiques, ses drames prophétiques s'attachèrent en réalité à un problème unique, l'opposition du paganisme et du christianisme, qu'il développe en un dualisme systématique (Tolstoï et Dostoïevski, 1901-1902 ; le Christ et l'Antéchrist,) 1902. Exilé en France après la révolution, il continua à publier.

Mergeai (Jean)

Écrivain belge de langue française (Villers-sur-Semois 1927 – Saint-Mard 2006).

Ses principaux récits (Du temps de ma maison, 1966 ; les Chemins de terre, 1970 ; Vêpres buissonnières, 1974 ; Adieu enfance, 1978 ; Ailleurs en Ardenne, 1984) s'enracinent dans une région – la Gaume – pour y retrouver le monde de l'enfance. L'écriture, sobre, est accueillante aux voix du passé, à la magie évocatoire d'une terre. J. Mergeai est aussi essayiste et dramaturge (Ensemble au paradis, 1975).

Meri (Veijo)

Écrivain finlandais de langue finnoise (Viipuri 1928).

Une œuvre dont les thèmes principaux, la guerre et l'enfance, sont traités par le biais de l'humour et du grotesque. Ses romans (Une histoire de corde, 1957 ; l'Été du déserteur, 1961), ses nouvelles (la Femme dessinée au miroir, 1963), son théâtre (Deux Comédies, 1978) et ses poèmes (l'Autre Cœur, 1978 ; le Printemps comme l'Aube, 1987), travaillés par l'angoisse de l'absurde, ont fait de lui l'écrivain finlandais le plus connu de sa génération.

Meric (Nezihe)

Écrivain turc (Gemlik 1925).

Après des études secondaires à Eskisehir et à l'université d'Istanbul, elle publie ses premiers textes dès 1949, puis fonde avec son mari S. Sengil la revue et la maison d'édition Dost (Ankara). Remarquable nouvelliste, elle s'est intéressée au déséquilibre né des relations entre les femmes de la classe moyenne et la société, accordant peu de place aux événements historiques. Elle a également publié deux romans et des récits de jeunesse (De boue et de cendre, 1953 ; Conscience de violette, 1965 ; Sous la fumée, 1979).

Mérimée (Prosper)

Écrivain français (Paris 1803 – Cannes 1870).

Né de parents cultivés et artistes, voltairien de goût et de formation, il fait son droit, fréquente les salons, où il se lie avec Stendhal, et, très vite, se lance dans la littérature. Il se signale d'abord par un ouvrage apocryphe dont il se donne pour le simple traducteur : le Théâtre de Clara Gazul (1825), dix brillantes saynètes au ton violent et passionné, dont le style vigoureux est rehaussé de couleurs fortes et qui seraient mélodramatiques si leur auteur ne leur avait apposé un sceau d'ironie qui les situe à la limite du pastiche. Ces pièces, que Mérimée ne destine pas à la scène, sont un échec commercial. La critique, en revanche, s'enthousiasme pour cette création originale dans la production littéraire contemporaine. Elle se laissera encore mystifier quand, deux ans plus tard, Mérimée, récidiviste, publiera la Guzla, recueil de ballades prétendument illyriennes, accompagnées d'un apparat critique fort savant. Mérimée s'oriente alors vers un genre très en vogue, l'histoire, avec une Chronique du règne de Charles IX pour laquelle il s'inspire de Walter Scott tout en s'en démarquant par un refus de description inutile et un souci de véracité dans sa reconstitution du passé. Ainsi que l'indique le titre, il s'agit moins « de donner le précis des événements historiques de l'année 1572 » que de retrouver les « mœurs et les caractères » de l'époque ; dès lors toutes les critiques adressées à l'auteur à propos de ses inexactitudes tombent d'elles-mêmes. En effet, à travers les aventures du huguenot Bernard de Mergy et de son frère, George, converti mais fondamentalement indifférent à toute croyance, Mérimée a cherché à retrouver les constantes affectives de l'humanité – amour, haine, intolérance, etc. – bien plus qu'à démonter le mécanisme ayant conduit aux massacres de la Saint-Barthélemy. Toile de fond – « couleur locale » comme disaient les romantiques –, l'Histoire cède donc le pas au romanesque, de même que les personnages historiques s'effacent derrière les héros de la fiction ; matériaux, les événements et les faits permettent de créer l'illusion de vérité : tout est ainsi manipulé par un narrateur omniprésent qui intervient pour dialoguer avec son lecteur et le laisser finalement libre de « terminer le roman à son gré » (dernière phrase). Pirouette ultime qui confirme que Mérimée est avant tout un « faiseur de contes » (préface).

   Suit en 1833 la publication d'un premier recueil de nouvelles, Mosaïque, dont on détachera Mateo Falcone, bref récit corse et cruel qui préfigure Colomba et où se manifeste de façon paroxystique le célèbre détachement propre aux narrateurs de Mérimée, ainsi que trois récits qui mettent crûment en scène les passions viriles tout en proposant d'originaux et complexes dispositifs narratifs (l'Enlèvement de la redoute, le Vase étrusque, la Partie de trictrac). On y adjoindra un très court roman publié quasi simultanément, la Double Méprise, récit méconnu, d'une grande richesse pourtant qui, conçu pour viser George Sand, n'en est pas moins particulièrement subtil dans l'étude des sentiments et d'un certain tragique mondain.

   L'intérêt constamment affirmé par Mérimée pour les « Antiquités » lui vaut d'être nommé en 1834 inspecteur général des Monuments historiques afin de préserver nombre de monuments menacés de ruine ou de démolition, tâche dont il s'acquittera avec un zèle et une compétence admirables, mais qui l'éloignera de la scène littéraire tout en lui fournissant matière à divers ouvrages d'érudition. Ses voyages en Corse et à l'étranger, notamment en Espagne, nourrissent ses deux récits les plus célèbres : Colomba (1840) et Carmen (1845). Le premier récit, afin qu'il ne se dilue pas dans une couleur locale gratuite ou dans l'anecdotique, est centré non sur la réalisation de la vendetta mais sur les clivages qu'elle révèle entre les personnages. Les caractères comptent dès lors moins que les idées qu'ils symbolisent : Colomba est moins « l'Électre rustique » (P. Josserand) que l'attachement aux traditions et au passé, la représentante d'une société archaïque ; de même Miss Nevil est moins le porte-parole du romanesque que le prosélyte de la civilisation moderne pour qui « il serait glorieux de convertir un Corse ». Ainsi, fidèle à son habitude, Mérimée élargit le problème du particulier au général en faisant de son récit, à travers quelques figures emblématiques, le portrait d'un pays ou d'un peuple autant que l'histoire de héros privilégiés ; et, même si le narrateur ne s'affuble ici ni du savoir de l'ethnologue ni des connaissances de l'historien, il n'en conte pas moins, au travers du drame d'Orso, « sauvage trop civilisé », le déchirement d'une île tentée par la culture continentale mais incapable de renoncer à sa propre nature.

   Quant à Carmen, elle présente une structure complexe où se mêlent les voix narratives, le récit que fait don José de ses amours tumultueuses avec Carmen venant s'enclaver entre la double rencontre du narrateur avec le brigand José Maria  et la bohémienne Carmen d'une part, et la digression finale sur l'histoire, les mœurs, le caractère et la langue des bohémiens de l'autre. Il naît ainsi un effet stéréoscopique dans la présentation des personnages : à la vision externe du narrateur, qui voit en Carmen « une beauté étrange et sauvage », répond le regard de don José, qui, saisissant « cette diable de fille » de l'intérieur, y décèle « un démon », tandis que le dernier chapitre permet de comprendre ce qui chez l'héroïne ressortit à ses origines. Mais, au-delà du heurt de deux caractères et de l'intrigue amoureuse, nouvelle variation sur le thème mélodramatique de la déchéance par l'amour, Carmen est avant tout une tragédie née de la tension entre deux univers mentaux . Autant que l'envoûtement du brigadier par la bohémienne, la nouvelle conte la fascination de don José pour la liberté, fascination pour l'impossible – car on ne « devient » pas bohémien – et qui contraint le héros à une errance au bout de laquelle il trouvera le lieu le plus clos de l'ordre social : la prison. Histoire d'une illusion et de son échec, Carmen peut apparaître d'une certaine façon comme la condamnation d'un romantisme qui se plaît à exalter la rupture d'avec l'ordre et la marginalité.

   Dans les deux cas, la force du récit tient beaucoup à la concentration permise par le genre de la nouvelle, dont Mérimée apparaît comme un des plus grands maîtres. On peut néanmoins se demander s'il a réellement pris au sérieux ce genre auquel il est venu de fait un peu par hasard : n'affirme-t-il pas que « Carmen serait demeurée inédite si l'auteur n'eût été obligé de s'acheter des pantalons »  ?... Ce mépris peut sembler d'autant plus singulier qu'une telle forme d'expression, par ses limites mêmes, est incontestablement le terrain qui permettait le mieux à cet admirable technicien du récit de mettre en valeur son talent ; il s'explique en revanche aisément dès lors que l'on tient compte du dédain longtemps affiché par la critique à l'égard de ce qu'elle considérait comme un « genre mineur ». Comme tous les grands nouvellistes, Mérimée ne laisse rien au hasard. Son récit est placé sous le signe de la rigueur et de la concision. Pour qu'il converge mieux vers sa pointe, il l'épure de toute digression, quitte à faire explicitement affirmer au narrateur ce parti pris de couper court en s'en tenant aux seuls temps forts de l'anecdote. Les nouvelles de Mérimée, remarquables par l'intensité que leur procure la cristallisation autour d'une crise unique, ont pu, à tort, faire figure d'exception dans la production littéraire contemporaine au point de pousser certains critiques à considérer leur auteur comme un « classique » égaré en plein âge romantique. Elles ne font que s'inscrire dans une certaine tradition française qu'elles renouvellent, en privilégiant un détachement continu et ironique, tant à l'égard des personnages que des situations dramatiques dans lesquelles ils se trouvent plongés contre leur gré, et qui empruntent aux conteurs de la Renaissance comme au romantisme déchaînements passionnels, cruautés sentimentales et crimes de sang. Détachement aussi à l'égard des règles du récit par dérèglement des cadres narratifs, goût systématique de la suspension, de l'ellipse, au risque voulu de l'obscurité, manipulations langagières qui revendiquent le caractère foncièrement énigmatique non seulement des discours mais aussi des langues.

   On comprendra dès lors qu'à côté de Carmen et de Colomba, récits promis à une gloire mondiale par leur puissance d'évocation, leur capacité à suggérer avec une extrême simplicité les ressorts des passions les plus universelles, c'est dans le genre fantastique que Mérimée devait le mieux s'illustrer et ce, tout au long de sa carrière avec Vision de Charles XI (1829), les Âmes du purgatoire (1834), la Vénus d'Ille (1837), Il Viccolo di Madama Lucrezia (1846), Lokis (1869) ou Djoûmane (1873), nouvelles dont certaines sont considérées comme des archétypes du genre. La Vénus d'Ille, reconnue par l'écrivain lui-même comme son chef-d'œuvre, a été depuis saluée par la critique comme un des sommets du récit fantastique. Il est vrai que tout y est dit sans jamais être affirmé : d'un bout à l'autre du texte, les signes se répondent, les mystères linguistiques s'enchaînent – l'inscription du socle, le serment de la bague – et conduisent tous à la Vénus sans que pour autant puissent être posées des interrogations informulées parce qu'indicibles : comment, en effet, parler de la statue autrement qu'en termes esthétiques à moins d'en faire un être objectivement surnaturel ? Comme dans Lokis et son homme-ours, le propre du fantastique de Mérimée est de construire une fiction qui s'enracine profondément dans le quotidien, tout en infiltrant des bribes de merveilleux dont l'existence n'est pas problématique en soi mais dont l'enchaînement se heurte à la cohérence et à la logique initiales. De fait, la froideur du regard et la minutie avec lesquelles l'inspecteur général des Monuments historiques relate les événements les plus invraisemblables sont d'autant plus propices à produire le doute fantastique que le narrateur est un scientifique objectif et digne de foi, que seul le hasard a rendu témoin de faits insolites pour lesquels une explication rationnelle, sans être totalement exclue, n'est guère satisfaisante. C'est par la création de cette indécision qui lui permet de s'éloigner en même temps tant d'un merveilleux frelaté que de la frénésie stérile d'un certain romantisme que Mérimée ouvre la voie à une longue lignée de conteurs fantastiques et s'assure ainsi une place enviable dans le panthéon littéraire.