Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (Moyen Âge) (suite)

Littérature didactique

On range sous cette appellation différents types de productions écrites : le débat, le traité ou manuel d'éducation, la compilation et l'encyclopédie. Terme complexe, le débat est une œuvre composée d'une discussion entre plusieurs personnages sur un thème donné. Aux personnages peuvent être substituées diverses personnifications et abstractions ; la fiction du débat impose usuellement la présence d'un juge, auquel il revient de décider de l'issue de la discussion. La structure de l'œuvre est essentiellement didactique : introduction du sujet, description des circonstances, discussion du thème, conclusion. Les questions traitées sont d'ordre théologique, politique, moral et social. Elles ont leur origine dans la tradition du folklore et de la fable (débats entre les saisons, les fleurs, les animaux), mais également chez les auteurs antiques, dans les pièces d'Aristophane, les églogues de Théocrite et de Virgile et la Psychomachie de Prudence. Le débat médiéval ajoute au jeu de l'habileté formelle (influencé par la disputatio universitaire et le jeu dialectique qui, pour toute question, impose d'envisager le pour et le contre) un intérêt propre pour le contenu de l'argument. Illustré par Villon (Débat du cœur et du corps), le genre unit très tôt à la veine allégorique la suggestion d'une dramatisation (Rutebeuf, Débat du croisé et du décroisé). Il trouve un thème privilégié, sur le modèle du poème latin Altercatio Phyllidis et Florae (XIIe s.), dans le Débat du clerc et du chevalier (XIIe-XIIIe s.) qui, dans l'élaboration de la courtoisie, illustre l'opposition entre deux conceptions de l'amour et de la société. Encore en faveur au XVe siècle avec Christine de Pisan (Débat des deux amants) ou Alain Chartier, le débat connaît, malgré Louise Labé (Débat de Folie et d'Amour, 1555), un net déclin à la Renaissance. À vocation plus résolument pédagogique, les traités et manuels se rencontrent sous la forme de traités d'éducation, ainsi le Jouvencel composé par Jean de Bueil (1461-1466), destiné à initier les jeunes aristocrates à la vie sociale et guerrière, avec des allusions voilées aux contemporains, ou bien des manuels tels les Clef d'amour, adaptation de l'Art d'aimer d'Ovide par Vivien de Nogent (1280), qui enseigne comment rencontrer une amie et la distraire. Entre dans cette catégorie le Doctrinal, traité de morale pratique laïque, en particulier le Doctrinal sauvage d'un trouvère du XIIIe siècle ou le Doctrinal de courtoisie ; traité de vie et de doctrine chrétienne (Doctrinal de Sapience, XIVe s) ; traité d'éducation poétique (Seconde Rhétorique de Baudet Herenc, 1432 ; Doctrinal de court de Pierre Michaut, 1466). Également genre didactique, mais cette fois sous l'aspect d'un ouvrage de compilation et de vulgarisation, le miroir (en latin speculum) est de contenu encyclopédique et/ou historique : le plus important fut sans doute le Speculum majus de Vincent de Beauvais (XIIIe s.), dont les trois parties furent traduites séparément en français (Miroir doctrinal, naturel, historial). Il peut être aussi de contenu moral tels les miroirs des princes, traités de théorie morale et politique, ou bien le Miroir de l'homme de John Gower (XIVe s.), déploration allégorique de l'immoralité du siècle, et le Miroir des dames de Durand de Champagne, traité d'instruction morale à l'usage des femmes. L'image du monde (en latin Imago mundi) se rapproche du miroir par sa vocation encyclopédique, bien qu'elle mette souvent en œuvre une cosmogonie fantaisiste, comme celle d'Honorius Augustodunensis (traduite par Gossuin de Metz). Dans un registre un peu à part, les sentences participent de la littérature didactique. Dans l'enseignement scolastique, elles désignent des textes choisis chez les Pères de l'Église et groupés suivant un plan doctrinal destiné à réduire les divergences de la Tradition. En ce sens, le Livre des sentences de Pierre Lombard (1148-1152) fut la base de l'enseignement théologique. La devise est une forme très particulière de sentence, quand ce terme est entendu au sens de « maxime ». C'est une formule accompagnant les emblèmes héraldiques, dont l'origine serait les cris de guerre permettant l'identification des combattants au visage caché par le heaume, et dont la mode date des guerres d'Italie : par imitation, écrivains et imprimeurs signèrent leurs œuvres de formules plus ou moins emblématiques ou anagrammatiques, de Clément Marot (« La mort n'y mord ») à Maurice Scève (« Non si non là »).

Littérature religieuse et morale

Elle regroupe différents genres, parmi lesquels les cantilènes, chants monodiques en langue romane, dérivant des séquences en latin. La Cantilène de saint Faron (620) et la Cantilène ou Séquence de sainte Eulalie (880), évoquant le martyre d'une sainte dont le nom signifie « qui parle bien », sont des repères dans l'élaboration de cette littérature qui se constitue en marge de l'hagiographie et de l'épopée latines. En 28 décasyllabes et une cauda d'un demi-vers, la seconde est bien connue pour être la première page de la littérature de langue d'oïl, rajoutée sur un manuscrit. Les vies de saints tiennent une place importante dans cette littérature, aussi bien en latin que dans les différentes langues vernaculaires. On peut citer, parmi d'autres, la vie de sainte Agnès qui connaît plusieurs versions en langue française, dont celle de Nicole Bozon (début XIVe s.), et la vie de sainte Marguerite rendue célèbre par Wace (XIIe s.), Fouque (XIIIe s.) et Nicole Bozon (XIVe s.). Le système narratif du genre, illustré par la Légende dorée de Jacques de Voragine (mort en 1298), se caractérise par le recours à l'énumération, au mélange de merveilleux et de doctrine, à l'écart entre la hiérarchie sociale et le monde des « purs », élite qui triomphe dans la souffrance et le sacrifice. S'ajoute à ce genre celui des contes pieux, récits merveilleux ou légendaires à des fins d'édification. Très en faveur aux XIIe et XIIIe siècles, ce sont souvent de simples traductions d'ouvrages en latin (Rufin, Grégoire le Grand). Les recueils les plus célèbres sont celui des Miracles de la Vierge d'Hermann de Laon (en latin, v. 1150) et le recueil français des Miracles de Notre-Dame de Gautier de Coincy (début XIIIe s.). Plus marginaux, certains poèmes reprennent de nombreux « exemples », paraboles et thèmes religieux, comme le Besant de Dieu de Guillaume le Clerc (1226-1227). D'autres détournent le genre : ainsi la Bataille de Caresme et de Charnage, datée du XIIIe siècle, qui parodie les chansons de geste soit pour critiquer la réglementation du jeûne, soit pour célébrer d'une façon burlesque les plaisirs de la table. Ce thème inspirera de nombreuses représentations picturales (Bruegel) et dramatiques (farces burlesques).