Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
B

Bomans (Godfried)

Écrivain hollandais (La Haye 1913 – Bloemendaal 1971).

Admirateur de Dickens, il pratiquait lui-même l'humour et la fantaisie dans ses livres pour enfants, ses contes et ses nouvelles (Pieter Bas, 1937 ; les Aventures de Bill Clifford, 1948 ; les Aventures du père Pinkelman, 1952 ; l'Enfant du dimanche, 1958). Il a exprimé sa nostalgie de la Flandre catholique et rurale (Un Hollandais découvre la Flandre, 1971).

Bompiani (Ginevra)

Écrivain italien (Milan 1939).

Ses romans se distinguent par leur capacité à créer un univers surréel (les Règnes du sommeil, 1975 ; l'Étourdi, 1987 ; le Grand Ours, 1991 ; Microcosmes, 1997 ; l'Âge d'argent, 2000).

Bon (François)

Romancier français (Luçon 1953).

Depuis son premier roman Sortie d'usine (1982), cet ancien ingénieur en mécanique donne à voir la gigantesque machine cassée, génératrice d'aliénation et de violence, qu'est la société industrielle moderne. Il peint la poignante déréliction de toutes les banlieues (Décor ciment, 1988), mais aussi de la France rurale dont il est issu (à travers le cortège de mise en terre d'un ami suicidé dans l'Enterrement, 1992). Observateur aigu de la détresse sociale, il évite le pathos journalistique et les pièges du voyeurisme, et se veut « passeur de langage » pour tous les sans-mots et les exclus dont il tente de sauver les vies du néant, de conserver dans toute leur force d'émotion les mots et les visages gommés par la société (une jeune toxicomane morte d'overdose dans C'était toute une vie, 1995 ; les grands enfants sans avenir que sont les taulards dans le Crime de Buzon, 1986). Il anime des ateliers d'écriture et un site pionnier sur internet. Militante, son écriture est aussi extrêmement belle et travaillée, nourrie par l'étude des textes des écrivains qu'il admire, comme Rabelais, à qui il a consacré un essai et qu'il a édité.

Bonald (Louis, vicomte de)

Philosophe français (Château de Monna, Millau, 1754 – id. 1840).

Dans sa Théorie du pouvoir politique et religieux (1796), il affirme contre Rousseau que l'homme, faible à l'origine, ne trouve son équilibre que dans la société, issue non d'un contrat mais de l'ordre voulu par Dieu. Famille, société, Univers ont des structures homologues : qui touche à l'une touche à l'autre. Après sa rencontre avec Chateaubriand, son Traité de la législation primitive (1802) ne connaît pas le succès du Génie du christianisme. Déçu par Louis XVIII acceptant la Charte, il sera l'âme de l'opposition ultraroyaliste dans ses pamphlets et ses articles de la Quotidienne et du Conservateur.

Bonalumi (Giovanni)

Écrivain suisse de langue italienne (Locarno 1920 – Minusio 2002).

Écrivain et historien de la littérature, il est l'auteur d'essais, de nouvelles et d'une anthologie (Situations et témoignages, 1976). En tant que romancier, Bonalumi se place dans la tradition du roman psychologique, avec deux récits qui traitent du thème de l'enfermement : les Otages (1954) et Louise (1972), qui traite de l'atmosphère oppressante d'une petite ville du Tessin.

Bonaviri (Giuseppe)

Écrivain italien (Mineo, Catane, 1924).

Ses romans élaborent le mythe d'une Sicile fantastique et immémoriale (le Tailleur de la grand-rue, 1954 ; le Fleuve de pierre, 1964 ; la Divine Forêt, 1969 ; Des nuits sur les hauteurs, 1971 ; le Poids du temps, 1976 ; Très doux, 1978 ; Contes sarrasins, 1980 ; la Dormeveille, 1988 ; Silvania ou le voyageur des Égarés, 1997). Il a également publié des recueils de poésies (Ô Corps soupirants, 1982 ; le Dire céleste, 1976 ; Chigo, 1990).

Bond (Edward)

Auteur dramatique anglais (Londres 1934).

La carrière théâtrale de Bond commence dans les années 1960, sous le signe de la polémique : deux de ses pièces s'attirent les foudres de la censure pour des raisons diverses. Sauvés (1965) montre un bébé lapidé dans son landau par un groupe de voyous, tandis que Au petit matin (1968) attribue à la reine Victoria une relation sexuelle avec Florence Nightingale et la présente comme une cannibale qui mange avec délices ses propres enfants. Tout comme son aîné John Arden, Bond doit beaucoup à Brecht, mais il crée un théâtre épique et poétique, riche en images fortes. Ainsi, Lear (1971) propose une réécriture du Roi Lear de Shakespeare, en poussant au paroxysme une tragédie déjà passablement brutale. Il accompagne généralement ses œuvres de textes théoriques où il s'explique sur ses conceptions dramaturgiques. La provocation, même si elle devient peu à peu moins agressive, vise à susciter chez le public un questionnement salutaire. Bond se penche notamment sur la figure de l'artiste intransigeant marginalisé par une société au conformisme étroit : Bingo (1973) dépeint Shakespeare en visionnaire à l'article de la mort, tandis que le Fou (1975) évoque le destin malheureux du poète-paysan John Clare. Après sa trilogie de « Pièces de guerre » viennent les « Pièces post-modernes », dont la Compagnie des hommes (1990). Ses pièces les plus récentes semblent parfois renouer avec la violence des débuts (Café, 1996 ; le Crime du XXIe  siècle, 1999) ; même si certains critiques déplorent une relative baisse d'inspiration, Bond jouit aujourd'hui d'une réputation internationale.

Bonet (Blai)

Écrivain espagnol d'expression catalane (Santanyi 1926 – id. 1997).

Il se destina d'abord à la prêtrise. Son œuvre lyrique (Quatre Poèmes de la Semaine sainte, 1950 ; Chant spirituel, 1953 ; les Faits, 1974), romanesque (la Mer, 1958 ; Mister Evasion, 1969) et dramatique (Parascève, 1958) témoigne de sa hantise du péché et de la mort.

Bonnefoy (Yves)

Poète français (Tours 1923).

Poète, critique, théoricien, il a occupé la chaire de poétique au Collège de France (1981-1993). Il est l'auteur d'une poésie très personnelle, reconnaissable à son accent, à son timbre. Il s'intéresse d'abord aux mathématiques, à la philosophie et, jusqu'en 1947, au surréalisme, dont les aspirations au rêve et le souci de la beauté le séduisent. Ses juvenilia en ont les accents.

   Gloire et reconnaissance lui viennent avec la publication de Du mouvement et de l'immobilité de Douve (1953), œuvre majeure. Quelqu'un habite ces vers ; une voix est née, grave, solennelle, profonde. Ce monde propre de l'esprit et du réel, sorte de dramaturgie à la fois intime et universelle, opère la synthèse virtuose d'apports divers : le référent de l'opéra, une très classique tradition orphique, et un travail sur le vers indissociable de la modernité baudelairienne. Créature autant que femme ou encore paysage, Douve est, dans le sillage probable de la Nadja de Breton, et en continuité surréaliste, ordonnatrice du réel. Ce théâtre mental est le lieu (la problématique poétique bonnefidienne par excellence) d'une tragédie organisée en actes. Douve incarne – au sens fort, précis du mot – l'idée centrale de la quête de Bonnefoy, la présence. La poésie est affaire de présence. Comment rendre la présence (à soi, à l'autre, au monde de l'espace peut-être encore davantage) est le souci de tels poèmes. Cette présence s'oppose au monde des Idées, au platonisme (Anti-Platon, 1947). Là où le philosophe pense en termes de dualité, de concept, le poète recherche l'unité. La vérité de l'homme de chair et de sang soumis à l'empire de la finitude s'oppose au concept ; l'imperfection, dont Bonnefoy écrit qu'elle est la cime, à la creuse perfection.

   Hier régnant désert (1958), Pierre écrite (1965) complètent ce premier versant, modulant les interrogations lancinantes. Dans le premier recueil, sur un ton qui accueille volontiers la mélancolie, Douve cède la place à une très mystérieuse statue d'orante ; dans le second, une luminosité, un « éblouissement » se font jour, redevables au sentiment amoureux et sensuel qui lie le « je » et le « tu », fondus en un « nous », un couple primitif. À la manière des trois coups d'une pièce, les recueils inaugurent la démarche mais aussi traduisent une évolution positive allant du mythe à la réalité, de l'esprit à la chair, de l'ombre à la lumière.

   Il faut attendre 1975 et la publication d'un volume lentement élaboré, Dans le leurre du seuil, point d'orgue de cette parole, pour qu'aussi bien l'expérience biographique et la réflexion sur la nécessité même de la pratique poétique s'éclairent. Baudelaire encore : le poète s'accompagne d'un critique et travaille moins en aveugle qu'en homme réfléchissant sur son parcours propre. Que cette réflexion ardue s'accomplisse en termes accessibles qui ne renoncent pas à la transparence, que ceux-ci soient dotés d'une présence quasi charnelle (celle d'un lieu précis en Provence) n'est pas l'une de moindres gageures d'un recueil pointant toutefois la tendance possible vers un esthétisme qui séparerait le moi du monde, de lui-même, et peut-être d'abord de l'autre en deuxième personne. Le réel est parfois pris comme un seuil, qui est un leurre, ce qui nous prive du contact direct, plénier avec le monde, tel que le réalise de manière simple et naturelle l'enfant. Fort de cette quasi-révélation qui lui aura pris des années, le je de ces poèmes, mais aussi le père que le poète est devenu, consentent au réel imparfait, lacunaire, inachevé. La poésie dit enfin oui au monde.

   Le mouvement de retour sur l'évolution de la parole se poursuit avec Ce qui fut sans lumière (1987) et Début et fin de la neige (1991), obéissant à un vœu de simplicité que traduit aussi la prose poétique, présente très tôt chez Bonnefoy, et qui sera la modalité de « récits en rêve », du titre d'un recueil de 1987. Prose et rêve ont beaucoup à se dire. Le rêve est une manière d'établir la continuité entre l'homme et le monde, unité qui est le lot de toute poésie authentique, et peut-être plus encore de la peinture. Après Baudelaire et Apollinaire, Bonnefoy lie en effet écriture et picturalité. Là où un langage de survol, toujours suspect de conceptualisation, de « seuil », nous menace d'« excarnation », la peinture, celle des primitifs ou des premiers baroques italiens, celle encore de Zeuxis, rapproche du réel. L'auto-élucidation dans et par la langue s'accompagne d'une importante réflexion critique (l'Improbable, 1959 ; Entretiens sur la poésie, 1990) où la prose, révélant encore sa souplesse, se fait réflexion globale sur l'acte de la création dans son rapport au monde. C'est un même souci qui explique un travail de traducteur, notamment de Shakespeare (Shakespeare et Yeats, 1998), matrice inépuisable dont les exergues ou les intrigues (the Winter's Tale in Dans le leurre du seuil) nourrissent une réflexion sur les enjeux de la présence au monde. Oublier celui-ci est alors, et d'une certaine manière moralement, une sorte d'injustice. Autrui non plus ne saurait être réduit à une simple image et privé de densité existentielle.

   Pris dans la globalité de cinquante ans de création, le parcours de Bonnefoy est à l'image de la poésie française : venu du surréalisme, il s'en écarte, préférant à l'image la réalité sensible. Par la poésie, par la prose, par l'essai, par d'autres arts, le poète moderne, souvent obscur à lui-même, tente d'éclairer sa démarche dans le monde.