Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Turquie (suite)

Naissance d'un théâtre occidental

Par ailleurs, le XXe s. voit le développement du théâtre en Turquie. Dans ce domaine, la grande innovation est l'apparition, au début du siècle, d'actrices pour tenir les rôles féminins, jusque-là tenus par des hommes – ou par des Arméniennes – pour des raisons religieuses. Un théâtre national est créé en 1923. Les acteurs de la troupe Darülbedayi, fondée en 1913-1914, se dispersent pour animer de nouvelles troupes. Ceux qui restent dans la troupe initiale sont dirigés de 1916 à 1966 par Celâl Esat Arseven et forment en 1934 le Théâtre de la Ville d'Istanbul. Dans les grandes villes se constituent d'autres troupes privées, qui ne bénéficient pas du soutien de l'État. Enfin, en 1949, est fondé à Ankara un théâtre d'État, qui effectue des tournées à l'intérieur de la Turquie et à l'étranger. Toutes les troupes présentent aussi bien des œuvres classiques étrangères que des créations nationales, comme celles de Cevat Fehmi Baskut (1905-1971), d'Ahmet Muhip Dranas (né en 1909), de Güngör Dilmen Kalyoncu (né en 1930), de Haldun Taner (1915-1986), etc. Marquée par la disparition (1979) de Musin Ertugrul, la vie théâtrale est essentiellement représentée par Basar Sabuncu (né en 1943), qui exploite le thème de l'aliénation, Vasif Öngören (1938-1984), qui prône un théâtre brechtien, Mehmet Baydur (1951-2002), Murathan Mungan (né en 1955) et de nombreux dramaturges de l'absurde.

Depuis 1980 : facettes multiples d'une littérature

Les difficultés économiques rencontrées au cours des dernières décennies, les entraves apportées, au lendemain de l'intervention militaire du 12 septembre 1980, à la liberté d'expression entraînent tout d'abord une diminution sensible du volume de la production littéraire. Mais, depuis 1985 et encore plus depuis le milieu des années 1990, une restructuration du monde de l'édition, puis le dynamisme croissant du roman ont transformé le paysage littéraire turc. La poésie n'a malgré tout pas tant souffert : parmi les poètes de la jeune génération, Yasar Miraç compose ses « chansons » à consonance sociale en puisant dans le folklore de la région de Trabzon ; Ahmet Erhan se fait le chantre de la nuit et de la mort ; poètes confirmés, Fazil Hüsnü Daglarca, Ahmed Arif et Hasan Hüseyin pratiquent un lyrisme généreux et d'accès facile, tandis qu'Edip Cansever, Hilmi Yavuz (né en 1936) et Özdemir Ince (né en 1936) empruntent des voies plus hermétiques. Inspirée par la grande ville, une nouvelle génération de poètes pratiquent des jeux intellectuels dans le cadre d'un Istanbul souverain : Enis Batur (né en 1952), Küçük Iskender (né en 1964).

   À la recherche de nouveaux thèmes et de nouvelles techniques, une majorité de romanciers choisissent d'exploiter les possibilités du roman historique : Ahmet Altan (né en 1950), Orhan Pamuk (né en 1952) ou Mario Levi (né en 1957). Par ailleurs, Demir Özlü (né en 1935), Selim Ileri (né en 1949) et Nedim Gürsel (né en 1951) tentent de traduire les angoisses et les attentes des élites citadines. Loin des thèmes figés de la littérature du terroir, plusieurs auteurs réexplorent la province turque, sous l'angle d'un tragique universel : Tahsin Yücel (né en 1933) et Hasan Ali Toptas (né en 1958). Parallèlement à l'épanouissement d'une importante littérature féminine illustrée par des personnalités aussi diverses que Leylâ Erbil (née en 1931), Füruzan (née en 1935), Tomris Uyar (née en 1941) et Latife Takin (né en 1957), les dernières années ont également vu l'émergence d'une littérature pour enfants et adolescents (récits ou bandes dessinées), qui indique aussi la création d'un marché nouveau, d'une édition à l'occidentale.

Littérature turque des Balkans et de Chypre

Dans les anciennes provinces ottomanes (Macédoine, Kosovo, Bulgarie) et dans la république de Chypre du Nord se poursuit une production littéraire peu connue : vouée (dans les Balkans) à la conservation du « modèle républicain », cette littérature (de la poésie et des recueils de nouvelles essentiellement) présente un cas intéressant de décalage par rapport à la production turque. Les auteurs principaux sont, pour Chypre, Özker Yasin (né en 1932), Taner Baybars (né en 1936), qui a effectué une carrière bilingue comme poète anglais, et Fikret Demirag (né en 1940), infatigable animateur de revues littéraires chypriotes.

Turrini (Peter)

Écrivain autrichien (Maria Saal 1944).

Écrivain proche du « Forum Stadtpark » de Graz, il donne des drames violents sur la désagrégation de la société moderne dans lesquels il fait appel au dialecte (Zéro, Zéro, 1971 ; Abattage de cochons, 1971 ; la Chasse au rat, 1973). Avec la Saga des Alpes pour la télévision (1980) et Éléments moins performateurs (1988), et ses adaptations de Goldoni et Beaumarchais, il crée un théâtre politique réaliste. Mort et diable (1990) lui ouvre le Burgtheater.

Tutuola (Amos)

Écrivain nigérian (Abeokuta 1920 – 1998).

Il est l'auteur d'un récit singulier et baroque, dans lequel il raconte un voyage imaginaire dans une contrée peuplée de démons et de fantômes qui doit beaucoup à la mythologie yoruba, l'Ivrogne dans la brousse (1952), traduit la même année par Raymond Queneau. On lui doit encore des romans (Ma vie dans la brousse des fantômes, 1954 ; Simbi et le satyre de la jungle noire, 1955 ; la Vaillante Chasseresse africaine, 1958 ; la Femme plume, 1962 ; Comment Ajaiyi reçut la pauvreté en héritage, 1967 ; la Sorcière de la ville lointaine, 1981) inspirés des contes et légendes yoruba, inscrits dans un monde technique et violent, et écrits dans une langue peine d'énergie et de verve. Longtemps regardé avec suspicion par ses confrères nigérians, il est aujourd'hui considéré comme le fondateur de la littérature nigériane.

Tvardovski (Aleksandr Trifonovitch)

Poète russe (Zagorie 1910 – Moscou 1971).

Sa première œuvre poétique importante, le Pays de Mouravia (1934-1936), inventive, exploitant à merveille folklore paysan et langage populaire, est un éloge du kolkhoze bien que ses parents koulaks furent déportés. C'est la guerre qui lui permit de se réconcilier avec lui-même en incarnant en Vassili Tiorkine (1941-1945) l'héroïsme dans l'épreuve des citoyens les plus humbles. L'œuvre ultérieure dénote une exigence de vérité : la Maison au bord du chemin (1946) évoque le sort des prisonniers soviétiques au retour d'Allemagne, Tiorkine dans l'au-delà (1954-1963) fournit le reflet grotesque des années sombres, Droit de mémoire (1968, publié en 1988) parle de la collectivisation forcée. Rédacteur en chef de la revue le Monde nouveau (Novyj Mir, 1950-1954 et 1958-1970), il joua un rôle essentiel dans le renouveau littéraire des années 1960 en soutenant de jeunes écrivains, dont Soljenitsyne.