Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Dumas (Alexandre) , dit Dumas père (suite)

Le dramaturge et ses succès

La scène a précédé le roman. Dumas devient célèbre dès 1829 avec Henri III et sa cour (un an avant Hernani), et mène avec Hugo la bataille pour le théâtre romantique. Il a pour interprètes les acteurs les plus fameux de l'époque : Bocage, Frédéric Lemaître, Georges, Marie Dorval... Le drame romantique est souvent historique (Henri III, Christine, Charles VII chez ses grands vassaux, la Tour de Nesle), mais peut aussi se situer dans la période contemporaine : Antony (1831) dresse le portrait d'un révolté, un bâtard qui met en accusation la société mesquine et rigide de son temps. La pièce, qui pose clairement le problème de la naissance et de l'adultère, apparaît comme le manifeste moral de toute la jeune génération. Enfin, Kean (1836), hommage à Shakespeare et au théâtre, définit le génie comme un mélange de démesure et de passion.

L'autobiographie

L'autobiographie est une autre dimension importante de cette œuvre multiple : Mes Mémoires, entamés en 1851, s'arrêteront à l'évocation de l'année 1836. Dumas ne pratique pas l'introspection, et ne s'arrête pas à son destin individuel, mais s'attache à la reconstitution d'une époque foisonnante : « Quand j'ai commencé ce livre, croyez-vous, vous qui me lisez, que ç'ait été dans le but de dire éternellement moi ? Non, je l'ai pris comme un cadre immense pour vous y faire entrer tous, frères et sœurs en art, pères ou enfants du siècle,... vous qui avez été, ou êtes encore la splendeur de notre époque... Non, ce ne sont pas mes Mémoires que j'écris.... ce sont les Mémoires de la France ».

   Tentative inachevée certes, mais il y a d'autres manières pour Dumas de se raconter, notamment les récits de voyage. Italie, Suisse, Russie, Allemagne, Belgique, Espagne, Afrique du Nord... Les Impressions de voyage, souvent publiées d'abord en feuilletons, comme les romans, sacrifient volontiers au pittoresque et à l'anecdote, et exploitent largement le folklore et l'histoire de chaque pays. Le voyage dans le temps se conjugue avec le déplacement dans l'espace. C'est ainsi que Dominique Fernandez a pu y voir un « laboratoire où il inaugure ou affine les recettes de ses grands romans ».

   Influencé par Nodier et Hoffmann, Dumas a également abordé le conte fantastique. On retrouve son obsession de la Révolution dans Une Journée à Fontenay (Mille et Un fantômes), et dans la Femme au collier de velours : le fantastique ne sert pas à sortir de la réalité et de l'Histoire, mais au contraire à les voir avec des yeux hallucinés qui en saisissent toute la poésie macabre et théâtrale.

   Dramaturge, romancier, fondateur de journal, grand voyageur, engagé dans la vie politique de son temps, gastronome (son Grand Dictionnaire de cuisine est publié après sa mort), Dumas a connu une vie aux multiples facettes, ce qui en fait un des représentants les plus marquants du romantisme. Hugo donne la mesure de son génie en le définissant comme un « semeur de la civilisation ».

Dumas (Alexandre) , dit Dumas fils

Écrivain français (Paris 1824 – Marly-le-Roi 1895).

Fils de la couturière Catherine Labay, il est reconnu par son père à l'âge de 7 ans mais souffre d'être un « fils naturel » en butte aux quolibets de ses camarades de pension et lamentablement ballotté jusqu'au sein des tribunaux, entre père et mère. À 18 ans, il se jette à corps perdu dans une existence désordonnée et voluptueuse qu'il partage avec nombre de courtisanes brillantes. De bacchanales en plaisirs d'alcôve, il évolue dans un monde interlope où il « fait » la seule chose que son père lui avait enseignée : des dettes. Il y parvient si bien qu'il est contraint de suivre jusqu'au bout la voie tracée : après un volume de vers (Péchés de jeunesse, 1847), il se tourne vers le roman avec Aventure de quatre femmes et d'un perroquet (1847), bientôt suivi de la Dame aux camélias (1848), qui, inspiré de la vie de Marie Duplessis, développe le thème romantique de la bayadère à laquelle de nombreux amants n'ont su faire connaître l'amour ; quand enfin elle le découvre, elle lui sacrifie tout, jusqu'à son bonheur, et consent à éloigner l'élu de son cœur qu'elle remet dans le droit chemin, celui de la famille et de la société bourgeoise. Si, après cette brillante réussite, rémunératrice et encourageante, Diane de Lys (1851), dans la même veine, jouit encore d'un accueil chaleureux, ses autres romans (Trois Hommes forts, 1850 ; le Régent Mustel, 1852) ne lui apportent plus guère qu'un succès d'estime. Mais l'adaptation à la scène la Dame aux camélias (1852) sera l'un des triomphes les plus éclatants du siècle. Désormais, hormis quelques brochures exposant les théories mises en situation dans ses drames (l'Homme-femme, 1872 ; la Question du divorce, 1880), Dumas fils n'écrira pratiquement plus que pour la scène : quand, après quelques modifications, la Dame aux camélias devient la Traviata, il est mondialement connu ; son œuvre est la première à s'imposer depuis le coup d'État et l'on veut voir en lui le fondateur d'une nouvelle dramaturgie. La comédie de mœurs est née et la vogue de cette fusion, difficilement supportable, du romantisme passionnel et de l'observation sociale à fins édifiantes durera le temps d'un régime. Dumas fils est certainement parmi ses contemporains celui qui croit le plus en la puissance du théâtre, et c'est pour les prémunir contre les attraits dangereux d'un « demi-monde » où se côtoient verts galants quinquagénaires et femmes aux conjoints invisibles qu'il leur peint dans ses moindres détails cette société où les hâbleries les plus machiavéliques se dissimulent avec grâce dans les dentelles des belles dames et où, parfois, se fourvoient l'innocence et la naïveté. Apôtre de la réhabilitation de la jeune fille séduite et de l'enfant né des amours illégales, il travaille la formule (le Demi-monde, 1855 ; Un père prodigue, 1859 ; l'Ami des femmes, 1864 ; Une visite de noces, 1871 ; la Femme de Claude, 1873) et complète son œuvre dramatique par de longues préfaces. Dans celle du Fils naturel (1858), il déclare : « Par la comédie, par la tragédie, par le drame, par la bouffonnerie, dans la forme qui nous conviendra le mieux, inaugurons le théâtre utile, au risque d'entendre crier les apôtres de l'art pour l'art, trois mots absolument vides de sens. »