Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Pinto (Fernão Mendes)

Écrivain portugais (Montemor-o-Velho 1510 ? – Almada 1583 ?).

Sa vie fut aventureuse : il servit dans la maison de l'un des fils du roi Jean II, puis partit en Orient pour chercher fortune. Il parcourut les mers, de l'Arabie au Japon, « treize fois captif et dix-sept fois vendu », selon ses propres mots, en Inde, en Éthiopie, en Arabie, en Chine, en Tartarie, à Sumatra. Il fut, aux confins de l'Asie, pirate, esclave, grand seigneur et même missionnaire jésuite au Japon, sur les traces de saint François Xavier, qu'il rencontra dans l'un de ses voyages, laissant plus tard à l'ordre, qu'il finit par quitter, la plus grande partie de ses biens. De retour au Portugal, en 1558, il écrivit le récit de ses voyages : sa Pérégrination, élaborée entre 1570 et 1580, publiée en 1614, vingt et un ans après sa mort, annonce à la fois la critique sociale du XVIIIe siècle et l'exotisme du XIXe. Il s'agit du livre de voyage le plus intéressant du XVIe siècle portugais, présentant tantôt des aspects dramatiques, tantôt des épisodes picaresques. Des récits impressionnants de pillages, de sacrilèges, de naufrages côtoient d'admirables peintures des mœurs et des institutions de civilisations étranges, avec des détails crédibles d'ordre géographique, ethnologique ou historique. Ses descriptions du Japon et de la Chine, l'une à partir de l'expérience vécue, l'autre, de sources littéraires, brossent un tableau de la vie orientale dans son exotisme, certes, mais aussi dans l'expression de ses aspects humains, idées et sentiments. L'intérêt de l'auteur pour les lieux et les mœurs qu'il décrit témoigne d'une admiration sans préjugés de civilisation, de religion ou de « race » ; il transpose les métaphores du « parler » indigène et va jusqu'à utiliser des phrases entières dans des langues inconnues. Ce récit contraste avec le ton héroïque des autres chroniques de l'époque et apporte une vision nouvelle des Européens, Barbares en Orient que seule la convoitise semble mouvoir.

Pinto (Heitor)

Écrivain portugais (Covilhã 1528 – en exil apr. 1583).

Il entra encore enfant dans l'ordre des Hiéronymites, où il reçut une éducation qui le familiarisa non seulement avec les auteurs de l'Antiquité et les penseurs médiévaux, mais aussi avec les plus brillants humanistes de son temps. Réputé comme commentateur des Écritures, il devint docteur en théologie et s'éleva à la dignité de Provincial de son ordre au Portugal. Opposé à la domination castillane, il fut exilé en Castille en 1583, date à partir de laquelle on perd sa trace. Son œuvre Images de la vie chrétienne (11 dialogues, 1563-1572) s'appuie sur l'observation de la nature et fait de la connaissance de soi-même et du monde le chemin de la connaissance de Dieu.

Piovene (Guido)

Journaliste et écrivain italien (Vicence 1907 – Milan 1975).

C'est un romancier catholique dont les subtiles intrigues psychologiques, centrées sur de troubles cas de conscience, s'inscrivent dans la tradition de Fogazzaro (la Novice, 1941 ; la Gazette noire, 1943 ; les Furies, 1963 ; les Étoiles froides, 1970). Il excelle également dans l'art du reportage (l'Amérique cette inconnue, 1953 ; Voyage en Italie, 1957 ; Madame la France, 1966).

Pirandello (Luigi)

Écrivain italien (Agrigente 1867 – Rome 1936).

Le théâtre de Pirandello est, avant celui de Brecht, l'entreprise la plus systématique de renouvellement de la dramaturgie moderne. Et pourtant Pirandello n'a abordé le théâtre qu'à près de 50 ans, et son activité dramatique ne représente que le tiers d'une œuvre, couronnée par le prix Nobel en 1934 et qui compte tout autant de nouvelles, de romans, de poèmes (Mal joyeux, 1889 ; Pâques de Gea, 1891 ; Élégies du Rhin, 1895 ; Scamandro, 1909) et d'essais (Art et science, 1908 ; l'Humour, 1908). Comme celle de Brecht encore, son œuvre a donc souffert de la même réduction de la part de ses contemporains, et la critique théâtrale a même tenté de ramener l'ensemble de ses pièces à un contenu philosophique, le « pirandellisme », conflit dialectique entre la vie et la forme, la raison et la folie.

   Essentielle à la genèse de son œuvre théâtrale, elle comprend sept romans (l'Exclue, 1901 ; Chacun son tour, 1902 ; Feu Mathias Pascal, 1904 ; les Vieux et les Jeunes, 1909 ; Son mari, 1911 ; On tourne, 1915 ; Un, personne et cent mille, 1926) et les 242 récits (dont 21 inédites de son vivant) des Nouvelles pour une année, parues en recueils successifs à partir de 1894 jusqu'en 1937. Au vaste corpus folklorique que composent les nouvelles d'argument typiquement sicilien s'ajoutent toutes les nouvelles qui se rattachent directement au théâtre de Pirandello. Ce sont une insistante thématique du miroir (symbole d'une expérience de dédoublement vécue par Pirandello à la fois comme horreur de son propre corps et comme aliénation au discours d'autrui, particulièrement au délire paranoïaque de sa femme) et de la gémellité (à la fois inversion et récupération de l'expérience biographique du dédoublement), qui unissent les nouvelles, mais aussi quelques romans, à l'œuvre théâtrale.

   Toute l'œuvre de Pirandello est donc à lire comme un rigoureux système du double, système qui culmine dans la trilogie du « théâtre dans le théâtre » (Six Personnages en quête d'auteur, 1921 ; Comme ci [ou comme ça], 1924 ; Ce soir, on improvise, 1930), qui forme la réflexion critique la plus élaborée sur les conditions de toute représentation : celle-ci ne peut avoir lieu en dehors du système qui codifie, d'une part, les rapports des divers éléments constitutifs du théâtre, et, d'autre part, la relation du théâtre et de la société. Ainsi, le théâtre pirandellien n'est que la représentation d'une représentation impossible (l'Étau, Cédrats de Sicile, 1910 ; Liolà, 1916 ; Chacun sa vérité, la Volupté de l'honneur, 1917 ; la Greffe, 1919 ; Comme avant, mieux qu'avant, 1920 ; Henri IV, Vêtir ceux qui sont nus, 1922 ; la Vie que je t'ai donnée, l'Autre Fils, 1923 ; l'Offrande au seigneur du navire, 1925 ; la Nouvelle Colonie, 1928 ; Ou d'un seul ou d'aucun, Lazare, 1929 ; Comme tu me veux, 1930 ; Je rêvais [peut-être], 1931 ; Se trouver, 1932 ; On ne sait comment, 1935 ; les Géants de la montagne, posthume 1937). Plus précisément, le théâtre dans le théâtre est mise en scène de ses propres « conditions d'impossibilité ». Selon Pirandello (Préface de la trilogie), l'« impossibilité » des Six Personnages est de l'ordre de la création (comédie « impossible à faire », au même titre que Ce soir, on improvise), alors que celle de Comme ci (ou comme ça) est de l'ordre de la représentation. En fait, dans Six Personnages, le véritable drame n'est pas celui des personnages en quête d'auteur, mais celui d'une œuvre chaque soir aliénée par la présence physique des « personnages », qui seuls sont en mesure de jouer la « scène primitive » incestueuse qui les obsède. Comme ci (ou comme ça) relève plutôt de la mystification, en ce que Pirandello y oscille entre la représentation d'une pièce à clés, interrompue par l'intervention des membres du public qui ont servi de « modèles » à l'auteur, et l'identification du public réel – celui qui assiste à Comme ci (ou comme ça) – au public fictif (de la pièce fictive) qui interrompt la représentation. Ce soir, on improvise, en revanche, est une démonstration par l'absurde (au double sens : logique et représentatif) du fonctionnement théâtral lui-même : l'« impossibilité » que Pirandello y met en scène n'est autre que l'impossibilité, pour les acteurs, de « devenir », sans intermédiaire aucun, les personnages que le metteur en scène prétendait seulement leur faire « interpréter », et, pour le metteur en scène, de se passer de l'auteur (Pirandello). En tant que représentation d'une représentation impossible, les Géants de la montagne s'inscrivent également dans cette problématique du « théâtre dans le théâtre », mais, au lieu de reposer sur un conflit intérieur aux éléments constitutifs du « théâtre », l'« impossibilité » tient ici à l'incompatibilité du « théâtre » et de la société, symbolisée par la mise à mort de la prima donna, lapidée par la foule qu'elle rêvait de convertir à sa passion.