Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (XVIe siècle) (suite)

L'affirmation de la monarchie

Les structures politiques en place évoluent vers une extension du pouvoir monarchique, amorcée depuis Louis XI. Représentant l'idéal de justice divine sur le royaume terrestre, la royauté a lentement augmenté son influence et ses prérogatives à la faveur de plusieurs phénomènes : les guerres d'Italie, amorcées en 1494 par Charles VIII en vue d'une croisade ultérieure, et continuées par Louis XII et François Ier, contribuèrent à renforcer le pouvoir royal face à la menace du Saint Empire romain germanique de Charles Quint. Augmentation de la pression fiscale, réduction du Conseil concentré autour du roi, création progressive de secrétaires d'État, contrôle de la totalité du système judiciaire, pérennisation de l'État grâce à la création d'officiers royaux : de l'Institution du prince de Budé (1547) aux Six Livres de la République de Bodin (1576), les théoriciens cherchent à justifier ce renforcement de la monarchie que ne contestent que quelques pamphlétaires protestants – les monarchomaques – et autres ligueurs extrémistes. Le faste de cette monarchie prend toute sa dimension spectaculaire dans l'édification de nouveaux châteaux dans le Val de Loire. François Ier, qui impose des artistes et des canons esthétiques rencontrés lors des expéditions italiennes, est ainsi un des premiers acteurs de la vie culturelle grâce à un mécénat très actif.

   C'est dans ce contexte de rayonnement culturel de la monarchie que la littérature, attachée depuis les grand rhétoriqueurs aux cours, continue de s'épanouir. Marot et Rabelais ont été deux des plus célèbres bénéficiaires des faveurs de François Ier ; mais l'aide de ce dernier a touché aussi des traducteurs (Amyot, Salel, Peletier du Mans), des savants (Paradis, Oronce Fine, Postel). C'est lui qui incite Baldassare Castiglione à écrire son Courtisan. Protecteur des lettres, le roi sacrifie lui-même aux conventions pétrarquistes dans des rondeaux et des chansons, et se montre disciple de Marot dans les épîtres composées lors de sa captivité de Madrid.

   Cette affirmation de la monarchie est liée à une conjoncture dans laquelle on a tendance à distinguer deux phases : la première Renaissance (1515, François Ier ; 1560, François II) lègue l'image d'une période économiquement prospère où les terres cultivées s'étendent, de même que progressent les industries nouvelles et l'artisanat. La montée d'un humanisme triomphant s'accompagne d'une remise en cause de l'unité religieuse, période propice aux rêves et aux théorisations d'une renaissance du fait religieux. La seconde Renaissance (1560, Charles IX ; 1610, Henri IV) subit les contrecoups des déséquilibres naissant de la période précédente : les finances ruinées par les guerres d'Italie se conjuguent à l'inflation, à la disette et surtout à plusieurs guerres de Religion successives pour signer l'échec des espoirs euphoriques des humanistes au début du siècle.

Les soubresauts religieux

S'il est un phénomène majeur ayant influé sur la vie intellectuelle et artistique, c'est avant tout la progression de la Réforme. Immédiatement condamnées dès 1521 par la Faculté de théologie de Paris, les thèses de Luther s'installent en France assez librement, sous l'impunité que François Ier lui réserve dans un premier temps, voyant d'un bon œil l'émergence d'un contre-pouvoir face à Rome et à la Faculté de théologie. La sœur du roi, Marguerite de Navarre, est très proche des milieux réformés (en particulier du cercle de Meaux animé par Guillaume Briçonnet et dont le but était de favoriser l'accès le plus simple possible aux textes sacrés), et Marot, Rabelais, Lefèvre d'Étaples et bien d'autres sont finalement tentés par un évangélisme catholique qui pourrait constituer une « troisième voie » entre Rome et Genève. L'affaire des placards dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534 – qui vit la diffusion d'une affiche dénonçant la messe catholique comme sacrilège, jusqu'à son affichage sur la porte de la chambre royale – signe un revirement de la politique royale, un libelle contre la messe catholique ayant réussi à infiltrer les sphères du pouvoir. La répression commence alors à s'installer, le royaume promulgue des articles de foi (1543) et revendique à tout prix l'unité religieuse, comme en témoigne le massacre des Vaudois en 1545. La Réforme s'étend toutefois et ouvre de nombreuses églises : cette expansion culmine dans la tenue d'un grand synode national en 1559, époque où, grâce au ralliement de nombreuses grandes familles, le protestantisme est devenu une force politique et militaire considérable. Au terme d'une période oscillant entre une volonté de créer une église gallicane (crise de 1551) et une recherche de la conciliation avec les protestants qui finit par échouer en 1561 au colloque de Poissy, la ligne dure du catholicisme définie tant par la réaction du concile de Trente ouvert depuis 1545 que par celle de la Ligue finit par s'imposer et par définir une véritable Contre-Réforme, entraînant le pays dans des guerres de Religion symbolisées au premier chef par le massacre de la Saint-Barthélemy (août 1572), où plusieurs milliers de protestants périssent. En tuant Henri III, qui n'était pas assez radical à ses yeux, la ligue précipite paradoxalement sur le trône Henri de Navarre, chef du parti protestant qui, après avoir abjuré et être monté sur le trône, finit par pacifier le pays dès 1594. Quatre ans plus tard, l'édit de Nantes achève la pacification religieuse en garantissant la liberté de culte et de conscience là où le culte réformé existait de fait.

Le renouveau des genres

La Renaissance est une période de rénovation de la littérature fondée sur la réactivation du matériau antique. Mais les genres médiévaux perdurent et se voient progressivement adaptés aux nouvelles exigences des écrivains comme du public. Ainsi, la topique de l'amour courtois a été profondément modifiée de Cavalcanti à Pétrarque en passant par Dante : si le poète demeure au service d'une dame inaccessible et chante sa divine perfection, cette expérience devient proprement un cheminement spirituel, dans la mesure où l'objet de son amour n'est que l'incarnation transitoire d'une Idée vers laquelle il s'agit alors de progresser. La diffusion du néoplatonisme, notamment sous l'impulsion de Marsile Ficin qui édita les Ennéades de Plotin (1492), mais aussi le Banquet de Platon qu'il commenta (1482), ne fit qu'accentuer la réévaluation de la lyrique courtoise à la lumière d'un modèle théologico-philosophique ; ce dernier proposait de s'élever dans une ascension mystique vers le Bien en passant par divers degrés, dont la beauté charnelle était le premier. La femme aimée devient alors l'objet sensoriel le plus immédiat répondant au désir d'harmonie et de mesure qui habite le cœur du poète, et par là même, une porte qui ouvre sur le ciel des Idées. Au terme du processus contemplatif, l'âme du poète aura achevé sa purification et, mue par l'amour, elle aura pu éprouver le rapport spéculaire qui l'unit à la divinité. Le Canzoniere de Pétrarque, s'il ne va pas aussi loin que la lecture néoplatonicienne de l'amour par Maurice Scève qui faisait de sa Délie l'anagramme de « l'Idée », a tout de même donné un modèle déterminant pour les siècles suivants où les difficultés de l'expérience amoureuse se superposent aux vicissitudes du cheminement de l'âme, prisonnière de sa condition terrestre, vers Dieu. Ce cadre poétique et thématique, inséparable d'un style fondé principalement sur l'hyperbole et l'antithèse, est certainement l'un des plus nets exemples de l'importance du legs médiéval dans la création poétique renaissante. C'est bien sûr la poésie qui va connaître avant tout autre genre l'influence de cet héritage : si le latin continue à être sa langue naturelle, elle va donner lieu à une expérimentation poétique sans précédent des pouvoirs de la langue française. Elle est en tout cas considérée à l'époque comme le genre majeur qui incarne à lui seul toute l'activité littéraire.

La poésie

Les grands rhétoriqueurs

L'homme de lettres n'a pas encore, au début du siècle, un statut de créateur indépendant : avant même d'être un courtisan particulièrement honoré au sein de la Cour royale, il dépend depuis la fin du Moyen Âge des petites cours féodales. Virtuoses de la parole et de la manière de la rythmer, les rhétoriqueurs sont attachés à un seigneur, le plus souvent comme secrétaire ou chroniqueur. Travaillant sur commande pour des pièces de circonstance, des auteurs tels que J. Meschinot, J. Lemaire de Belges, G. Cretin ou J. Bouchet ont produit une poésie érudite fortement ornée dont le travail formel est une préoccupation majeure. Le célèbre rondeau-rébus de J. Marot porte à l'extrême cet art ludique devant associer le lecteur dans le décryptage de formes complexes qui, si elles sont pour la plupart héritées du Moyen Âge (ballades, lais, virelais et chansons), intègrent des jeux visuels et phoniques subtils tels que la concaténation, l'annexation ou le couronnement des rimes.

Clément Marot

Lui-même fils d'un des plus célèbres rhétoriqueurs, Clément Marot a poursuivi une carrière brillante de poète de cours, perturbée seulement par la répression qui a suivi l'affaire des Placards et à laquelle l'a exposé sa traduction de trente Psaumes. L'itinéraire de Marot est emblématique de la mutation poétique des années 1520 à la fin des années 1540. S'il est resté fidèle à de nombreuses formes héritées des Grands Rhétoriqueurs (rondeaux, ballades et chansons) ainsi qu'à leur recherche de la virtuosité technique, il a imposé le ton à la fois familier et acerbe qui caractérise au premier chef ses épigrammes ; il a fait évoluer les épîtres vers une expression libre et personnelle du jugement critique, relancé la mode du blason en organisant un véritable concours depuis Ferrare, et il a surtout été le premier à introduire en France le sonnet. Son influence a été décisive tant chez les membres de l'école lyonnaise que chez ceux de la Pléiade qui ont pourtant critiqué son attachement aux formes passéistes, réorientant la création vers un épanouissement simple de la confidence personnelle, de la satire ou de la spiritualité.

L'école lyonnaise

À la faveur de l'essor économique de Lyon et de l'explosion de l'imprimerie, des cercles poétiques se forment, tels que le Sodalitium Lugdunense. Entre 1540 et 1550, Maurice Scève, Louise Labé et Pernette du Guillet donnent au pétrarquisme ses lettres de noblesse françaises, en chantant l'amour : si Scève opte, dans sa Délie, Objet de plus haulte vertu (1544), pour une expression ésotérique et néoplatonicienne de la passion, Pernette lui répond dans ses Rymes (1545) en laissant plus librement s'exprimer une vérité psychologique que ne vient rehausser qu'une attention extrême aux jeux allusifs et mythologiques. L. Labé s'éloigne, elle, plus radicalement des modèles prétrarquisants, en témoignant du tourment amoureux dans des élégies et des sonnets, forme qu'elle contribue à développer à la suite de Marot. De l'expression de la passion contrariée à celle d'un véritable drame existentiel, l'école lyonnaise a offert la possibilité d'une prise de parole poétique féminine et l'intégration des modèles italiens, déjà détachés du carcan néoplatonicien par la libération d'une parole passionnelle. À l'aube de l'avènement de la Pléiade, les formes héritées du Moyen Âge demeurent vivaces et l'élégie, l'épigramme et le dizain sont extrêmement prisés.

La pléiade

La véritable réaction contre les marotiques et les survivances médiévales qu'ils proposaient est venue au milieu des années 1550 d'un regroupement de praticiens et de théoriciens en une école dont le nombre a fluctué : tout d'abord dénommé « Brigade », ce groupe ne tarde pas à prendre l'appellation de « Pléiade ». Jean Dorat, poète néolatin, ses élèves Jean Antoine de Baïf et Pierre de Ronsard, ainsi que Joachim Du Bellay, Étienne Jodelle, Rémy Belleau, Pontus de Tyard et Peletier du Mans ont marqué la vie littéraire par leur volonté d'illustrer plus nettement la création en langue vernaculaire et de faire passer le poète du statut de simple artisan, techniciens assembleurs de rimes et de rythmes comme pouvaient l'être les Rhétoriqueurs, à celui de devin, être orphique inspiré qui saurait gagner une immortalité poétique tout en révélant les mystères et faisant ressortir la beauté du réel. Si, après avoir fait définitivement la fortune du sonnet dans son Olive pétrarquisante (1549), Du Bellay décide « d'oublier de pétrarquiser » pour faire du sonnet dans ses Antiquitez de Rome et ses Regrets une forme adaptée à l'expression franche de ses désillusions comme de ses espoirs, Ronsard – en parallèle à ses Amours – réintroduit des genres antiques parmi les plus élevés : odes à la manière de Pindare ou d'Horace, hymnes et épopées viennent enrichir le champ poétique. Un double renouvellement s'effectue alors, lié à la redécouverte des modèles gréco-latins, mais aussi à la prise en compte d'auteurs italiens tels que Pontano ou Bembo. On citera encore les noms de Guillaume Des Autels, de Thomas Sébillet et de Jean Vauquelin de La Fresnaye.

La poésie scientifique

À une époque où la poésie n'a pas pour unique vocation d'exprimer les soubresauts de la vie intérieure, il est fréquent de voir cette dernière s'inscrire dans la visée encyclopédique liée à l'humanisme. Ainsi, il n'est pas étonnant de voir Belleau entreprendre un exposé gemmologique dans les Nouveaux Eschanges des pierres precieuses, vertus et proprietez d'icelles (1576), ou Baïf rejoindre Pontano dans le propos cosmologique des Météores à partir de 1567. Dans une perspective plus globale et historique, Scève retrace les débuts de l'humanité post-lapsaire dans son Microcosme (1562), avant que Du Bartas remonte jusqu'à la création originelle dans sa Sepmaine (1578) pour chanter la complexité et la beauté du travail divin.

La poésie spirituelle et les débuts du baroque

La poésie, notamment à travers la production de la Pléiade, avait joué avant tout sur la surprise, la déstabilisation du lecteur par une multiplication des points de vue, une déstructuration des formes perdues dans d'incessantes métamorphoses, une prolifération des motifs effaçant la perception immédiate de tout ordre d'ensemble. Cette esthétique, que l'on a qualifiée de « maniériste », a avant tout été reliée à une intention ludique, voire à une vision du monde sceptique et relativiste. Mais une autre influence va s'affirmer progressivement sous l'effet de la Contre-Réforme et des canons esthétiques liés au renouveau de la pastorale qu'elle cherche à promouvoir ; on tend de plus en plus à privilégier une alliance de l'éloquence sacrée et du movere cicéronien. Il en résulte, bien au-delà de la simple surprise ménagée subtilement par le maniérisme, une esthétique du choc visuel, de l'énergie et de la peinture du mouvement perpétuel et chaotique qui guette celui qui ne trouve pas en Dieu son point d'attache. La littérature prend en charge une mission protreptique : il s'agit de pousser l'âme par le biais des émotions les plus fortes à se dépouiller pour se tourner vers Dieu. Agrippa d'Aubigné a eu une importance décisive et singulière dans l'instauration du baroque, en peignant dans ses Tragiques les tribulations des fidèles protestants, comparables à celles du peuple d'Israël. Cette vaste vision dramatique et apocalyptique, finissant par l'avènement du règne de Dieu et la rétribution des justes, a lié à une ambition polémique une réflexion religieuse fondée sur le choc des images les plus vives. Cette ouverture à la conversion par la contemplation d'un effet visuel constitue le nerf de la poétique des Théorèmes de La Ceppède (1613) consacrés à la passion, du Mespris de la vie de Chassignet (1594) ou même des Méditations de Sponde (1588) ; la peinture de l'inconstance de la vie humaine, creusant le désir de la stabilité retrouvée dans l'acte de foi, contribue fortement à l'émergence de motifs qui vont s'épanouir au début du siècle suivant dans une poésie baroque, mais amoureuse cette fois.