Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (Moyen Âge) (suite)

Mouvements culturels et modes de diffusion

La culture monastique

La forme cénobitique du monachisme qui se répand lors du haut Moyen Âge détermine le rôle d'atelier culturel du monastère. À côté de l'activité manuelle, la règle de saint Benoît consacre une place importante au travail intellectuel, pratiqué dans le scriptorium, où les moines copient les manuscrits anciens. Les deux composantes de la culture monastique élaborée lors de la « renaissance carolingienne », à travers un renouveau du latin (Paul Diacre, Alcuin), sont l'étude de la grammaire (instrument de lecture des Écritures et premier moyen du salut) et l'eschatologie (patronnée par saint Grégoire le Grand). Le moine s'adonne à la lectio divina, c'est-à-dire à lire (à haute voix) et à méditer (s'exercer à apprendre et à retenir le texte divin), ce que Pierre le Vénérable assimile à la « rumination ». La culture monastique est également nourrie par la culture païenne antique (Virgile, Lucain, Quintilien, Donat, Sénèque, Cicéron), profondément remodelée au moyen de la glose : Ovide et Horace sont traités comme des moralistes ; Virgile est tenu pour le plus « chrétien » des auteurs païens. Les genres favoris de la littérature monastique sont la chronique (chronique d'événements politiques où transparaissent les visées de la Providence), les vies de saints, le sermon, la lettre (le plus souvent à vocation spirituelle), l'anthologie. Le renouveau intellectuel du XIIe siècle se fait cependant contre les conceptions monastiques dans les villes (Chartres, Paris, Laon, Reims, Orléans), autour des écoles-cathédrales et à travers l'activité des moines en rupture de ban (goliards, vagants). Même si au XIIIe siècle, et malgré les réticences de saint François d'Assise, les ordres mendiants retrouvent une place capitale dans l'aventure intellectuelle (Thomas d'Aquin), le moine et le clerc seront peu à peu supplantés, sur la scène littéraire et scientifique, par l'universitaire et l'humaniste.

La culture de l'école

Dans les écoles et les universités sont enseignés les arts ou arts libéraux. Ce terme, repris par Alcuin à Martianus Capella, remonte à l'école d'Alexandrie (IIe-IIIe s.). Dans l'université, la faculté des arts enseignait les humanités et la logique, ce qui permettait d'accéder ensuite à l'une des trois facultés supérieures (décret ou droit canon, théologie, médecine). Les arts apparaissent donc dans les titres d'ouvrages qui proposent un exposé didactique (Arts de rhétorique) ou se réfèrent au cadre de l'enseignement. Le cycle des arts comprend traditionnellement le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et le quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique), la théologie couronnant le tout. Parmi les techniques conçues par l'école, la scolastique est destinée à relier les dogmes chrétiens à la philosophie traditionnelle, dans un système de formules qui s'appuie sur les concepts logiques, linguistiques et ontologiques issus de l'enseignement d'Aristote. Elle est fondée sur le premier des sept arts, la grammaire, et sur la « mise en question »dialectique (problema dialecticum), à travers le jeu des « pour » et des « contre » (pro et contra). La scolastique repose sur le commentaire/la lectio d'un texte faisant autorité, c'est-à-dire une analyse grammaticale qui précise la « lettre » du texte (littera), une analyse logique qui dégage le sens (sensus), une exégèse qui révèle le fond même de la pensée (sententia). La démarche débouche sur la question (quaestio) soumise à un débat, la dispute (disputatio). Au terme de la question disputée, le maître propose sa conclusion (determinatio). Au XIIIe siècle, la dispute tend à s'éloigner des textes pour se constituer en genre autonome (débat public entre maîtres sur des problèmes épineux). Incarnée par Albert le Grand et Thomas d'Aquin, critiquée dès la fin du Moyen Âge, la scolastique évolua à partir du XIVe siècle, à travers le nominalisme, vers un divorce entre la foi et la raison : Guillaume d'Occam penchera ainsi vers le fidéisme, Raymond Lulle proposera une « mécanisation » des concepts.

La culture des cours

Le XIIe siècle est marqué par le souci de diffuser un savoir profane, en romanz, à l'intention des cours anglo-normandes, par des chroniques retraçant le passé légendaire et historique de l'Angleterre et par les romans dits « antiques », parce qu'ils reprennent les grands mythes de l'Antiquité. Écrire en romanz est le moyen de développer, à côté de la culture officielle, monastique et/ou universitaire, une culture « profane » avec des thèmes, des motifs, des sources orales nourries de matériaux légendaires ou mythiques, tels les traditions épiques liées à Charlemagne et les contes et légendes en provenance du monde celte. Les auteurs s'essaient donc à inventer une langue littéraire, narrative et poétique, qui véhicule en outre un idéal de société destiné au public des cours seigneuriales. Pour accréditer la valeur de leurs écrits, ils insistent toujours sur la valeur édifiante et didactique de leurs œuvres. Au XIIIe siècle, certaines, dont les fabliaux, commencent à faire montre d'émancipation en s'avouant comme textes de pur divertissement. Les auteurs sont en règle générale des clercs : au départ hommes d'Église qui maîtrisent l'écrit et la langue latine, ils se mettent au service de grands mécènes, pour qui ils écrivent en romanz sur commande. On sait que les œuvres étaient diffusées oralement, comme en témoignent les multiples adresses où le public est invité à prêter attention ou à s'interroger sur ce qu'il écoute. Les chansons de geste et la poésie lyrique associent au texte une mélodie et un accompagnement musical, tandis que romans et/ou œuvres historiques supposent une gestuelle, une répartition des voix dans une véritable mise en scène de l'écrit. Les lieux de production de ces œuvres varient en fonction du type de texte et des mécènes qui les accueillent. Des centres se distinguent tout particulièrement, qui révèlent le rôle important de la femme : la cour d'Aliénor d'Aquitaine où fleurit toute une littérature en langue d'oïl et en langue d'oc, puis celle de sa fille Marie de Champagne, dont le rayonnement a contribué à la codification et à la diffusion de l'idéal courtois.

Diffusion

La diffusion des œuvres se fait par le biais des manuscrits. Avant le XIIIe siècle, les ateliers monastiques sont les grands producteurs de livres manuscrits ; l'un des plus réputés est celui de l'abbaye royale de Saint-Denis. Au XIIIe siècle naissent les premiers ateliers dits séculiers, dont les copistes sont majoritairement des clercs. La différence entre les premiers et les seconds est que l'atelier monastique travaille pour la bibliothèque de son couvent ou, plus rarement, pour un protecteur. L'atelier séculier a au contraire une activité d'édition. Le développement des écoles urbaines et des universités a créé en effet une nouvelle clientèle soucieuse de posséder des livres scolaires, tous en latin. On sait en revanche peu de chose sur la diffusion des genres littéraires en romanz. Vies de saints et chansons de geste sont surtout récitées et chantées par des jongleurs dans les lieux publics, foires, pèlerinages... Mais comme le montre la sophistication déjà remarquable de l'« écriture », les jongleurs maîtrisent la lecture et les exercices écrits. Les premiers manuscrits conservés, qu'ils soient ou non « cycliques » (réunion de plusieurs chansons consacrées au même héros), datent du XIIIe siècle. S'agissant des autres genres, la tradition manuscrite repose bien souvent sur le recueil et/ou l'anthologie, mêlant parfois de manière déconcertante registres et genres différents ; on trouve ainsi des recueils rassemblant les fabliaux, les branches du Roman de Renart ou les œuvres de Chrétien de Troyes qui figurent aux côtés du Brut de Wace et du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, tandis que des textes concernant la nature du monde, les encyclopédies sont réunis dans un même gros volume. Copiés dans des ateliers ou des officines, chez des libraires, plus rarement chez de grands seigneurs, plus ou moins bien enluminés selon qu'ils sont destinés à être lus ou à être des objets d'art, les manuscrits donnent lieu à un véritable commerce et leur exécution dépend de la richesse et des exigences du mécène. Personnellement attaché au service du duc de Bourgogne, David Aubert (XVe s.) compte parmi les copistes les plus célèbres du Moyen Âge.

   Le degré de confiance à accorder au texte des manuscrits est le plus souvent problématique : les copistes commettent des fautes involontaires, modifient sciemment la matière initiale en insérant des passages de leur cru, en abrégeant ou en développant, ou encore en ne respectent pas la langue de l'auteur, quand celle-ci est encore marquée par des traits dialectaux. Les manuscrits autographes ou contrôlés par leurs auteurs n'apparaissent qu'au XIVe siècle (œuvres de Guillaume de Machaut, par exemple). Quant aux œuvres du XIIe siècle, elles ont été conservées dans le meilleur des cas dans des manuscrits copiés au XIIIe s. Chaque manuscrit est de fait un unicum, les variantes entre les différentes copies d'un même texte étant généralement plus importantes pour les textes épiques et lyriques (pour lesquels la performance orale est de règle) que pour les textes narratifs.