Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Pessoa (Fernando António Nogueira) (suite)

Álvaro de Campos

C'est l'hétéronyme le plus fécond de Fernando Pessoa. Tandis que Ricardo Reis et Alberto Caeiro ont été créés pour apprendre à leur auteur une certaine sérénité devant la vie et la mort, Campos « feint la douleur que Pessoa réellement ressent ». Ainsi, dans la présentation que Pessoa fait de lui, on voit que Campos est le portrait non seulement physique mais aussi moral de son auteur, qui exprime à travers ce personnage sa profonde inquiétude, son incapacité de trouver le chemin qui mène vers la vie. Le culte du paradoxe, si caractéristique de Pessoa – la seule façon pour lui d'approcher la vérité –, prend avec Campos une expression dramatique ; il y a, en effet, deux Campos : un personnage turbulent, provocateur, qui doit un peu au futurisme, et son contraire, un personnage nocturne, tourné vers l'intérieur de lui-même, penché vers le puits qu'il se sent être. Pessoa s'exprime, en prose et en vers, au nom de Campos tout au long de sa vie. Sous ce masque, il fait en quelque sorte son journal de voyage, celui de l'éternel voyageur, une valise à la main, tel que son compagnon de route Almada Negreiros l'a représenté. Pour Campos et pour Pessoa, tout est voyage : sensations (« Sentir, c'est voyager »), aventure esthétique (« Je n'évolue pas, je voyage »), la vie même (« Nous sommes tous nés à bord »). Les poèmes d'Álvaro de Campos ont été réunis après la mort de Pessoa dans un volume intitulé Poésies et publié, ainsi que les poèmes des autres hétéronymes et de Pessoa lui-même, par l'éditeur Ática (Lisbonne). Ses autres textes sont dispersés dans les recueils de prose de Fernando Pessoa.

Ricardo Reis

C'est le troisième hétéronyme du poète. Son créateur le fait naître à Porto en 1887 et élever dans un collège de Jésuites, où il devient un fervent latiniste. Brun, mat, petit et sec, il se réfugie, comme son modèle Horace, dans une sagesse épicurienne et des Odes qui laissent percer l'angoisse de la mort. Il est probablement le plus énigmatique des hétéronymes, ce qui lui valut de devenir le personnage d'un roman de José Saramago, l'Année de la mort de Ricardo Reis (1984). La postérité de Fernando Pessoa semble ainsi s'affirmer prodigue, et autonome.

Pestalozzi (Johann Heinrich)

Pédagogue suisse d'expression allemande (Zurich 1746 – Brugg 1827).

Influencé par les idées de J.-J. Rousseau, il consacra sa vie à l'amélioration de l'éducation des classes laborieuses (la Gazette suisse pour le peuple, 1782-1783), préconisant un enseignement spécialisé, agricole et professionnel. Les premiers établissements qu'il fonda durent être abandonnés faute d'argent, mais l'école d'Yverdon, qu'il dirigea de 1805 à 1825, le rendit célèbre. Il a rédigé des traités (Recherches sur la marche de la nature dans le développement du genre humain, 1797 ; le Livre des mères, 1803) et des romans (Léonard et Gertrude, 1781-1787).

Petau (Denis)

Théologien et écrivain français (Orléans 1583 – Paris 1652).

Entré dans la Compagnie de Jésus en 1605, il occupe la chaire de Théologie positive à Clermont (Theologica dogmata, 1644-1650), participe aux controverses. Helléniste, il est aussi poète (Opera poetica, 1620), orateur (Orationes, 1620) et dramaturge néolatin (Sisaras, 1634). En définissant un style théologique (Epistolae, 1652), il annonce les principes du classicisme, par son souci de la clarté et son refus de l'effet.

Peterson (Kristian Jaak)

Poète estonien (Riga 1801 – id. 1822).

Lycéen à Riga, puis étudiant à Tartu, il écrivit en estonien des odes en vers libres d'inspiration romantique et des pastorales dialoguées influencées par la poésie populaire. Il fut le premier à affirmer sa foi dans l'avenir littéraire de la langue estonienne, qu'il exalta dans des vers prophétiques. Il traduisit la Mythologie finnoise de Chr. Ganander en y ajoutant des considérations sur les dieux des anciens Estoniens, ouvrant la voie à l'élaboration d'une pseudo-mythologie qui joua plus tard un rôle culturel important. Trop en avance sur leur temps, ses poèmes ne furent découverts et publiés qu'au début du XXe s. par le groupe Jeune-Estonie.

Petöfi (Sándor)

Poète hongrois (Kiskorös 1823 – Segesvár 1849).

Fils d'un boucher et d'une servante, il mène d'abord une vie de vagabondages, acteur ambulant, publie, en 1844, son premier recueil, qui connaît un succès immédiat. Ses recueils suivants (Feuilles de cyprès, 1845 ; Perles d'amour, 1845 ; Nuages, 1846) confirment sa gloire, et son poème épique Jean le Preux (1845) renouvelle le genre par son ton naïf et par l'heureuse alliance du réel et du merveilleux. En 1847, il épouse Julia Szendrey, à qui il dédie quelques-uns des plus beaux poèmes d'amour de la littérature hongroise (Fin de septembre, Comment te nommer ?, Comme un buisson frissonne). Lecteur avide des philosophes français du XVIIIe siècle et des révolutionnaires de 1789, Petöfi prend conscience de la misère et de l'injustice qui accablent son peuple et conçoit des solutions radicales qui y mettront un terme : le 15 mars 1848, il déclame sur les marches du Musée national de Pest son poème patriotique Debout, Hongrois !, déclenchant ainsi la révolution hongroise qui débouche sur une guerre d'indépendance contre l'Autriche. Petöfi s'engage dans l'armée hongroise et tombe en 1849 dans la bataille de Segesvár, réalisant le vœu de son poème Une pensée me tourmente. Son œuvre comprend encore deux pièces de théâtre, des traductions de Shakespeare, des poèmes épiques, dont l'Apôtre, portrait d'un révolutionnaire mis au ban de la société.

Pétrarque, en italien Francesco Petrarca

Poète et humaniste italien (Arezzo 1304 – Arquà, Padoue, 1374).

Premier des grands humanistes de la Renaissance, il est passé à la postérité pour la perfection de sa poésie en langue vulgaire (le toscan) devenue au cours des siècles, en alternative au réalisme de Dante, le modèle de tous les classicismes occidentaux. Envoyé à Carpentras (1312-1316) où il fit son apprentissage littéraire, il est contraint ensuite à étudier le droit à Bologne et à Montpellier. Pétrarque reçoit les ordres mineurs et s'établit à la cour d'Avignon, où il séjournera jusqu'en 1353. Il y rencontrera Laure en l'église Sainte-Claire en 1327 : cet amour idéalisé durera toute sa vie. Plusieurs missions diplomatiques, assorties de recherches érudites, le conduisent dans l'Europe du Nord puis à Rome, où il sera solennellement couronné poète sur le Capitole (1341). De retour à Avignon (1342), il connaît une profonde crise de conscience religieuse ; convaincu de la vanité des succès mondains, il se retire de plus en plus dans son ermitage du Vaucluse. L'orientation de sa vie spirituelle coïncide alors avec un intérêt croissant pour le sort de l'Italie et la restauration de l'Église romaine. Il entre au service des Visconti. En 1368, il accepte l'hospitalité de Francesco da Carrara et la maison de campagne que celui-ci lui offre à Arquà. Avant tout humaniste, désireux de retrouver les sources de la culture antique par-delà la dialectique scolastique, Pétrarque découvrit et fit copier des manuscrits anciens, publia des études historiques (Livre des choses mémorables, 1344) et philosophiques (la Vie solitaire, 1346-1356 ; De l'oisiveté des religieux). Son œuvre latine, à laquelle Pétrarque accordait plus de valeur, a son foyer philosophique dans Mon secret (1342-1358), confession en forme de dialogue : elle accomplit une vaste synthèse de culture classique et d'inspiration religieuse à travers notamment un poème épique, l'Afrique (vers 1338), exaltant la gloire de Rome et la figure de Scipion l'Africain, Des hommes illustres (1338), les Remèdes de l'une et l'autre fortune ainsi que plusieurs recueils de Lettres, en vers et en prose. La correspondance latine de Pétrarque, des Lettres familières (1349-1366) aux Épîtres métriques (1331-1361) et aux Lettres de vieillesse, est un document doublement fondateur de l'humanisme de la Renaissance et de la rhétorique classique. Œuvre concertée, où toutes les réflexions personnelles, politiques et spirituelles se fondent dans un style irréprochable, où la grandeur n'exclut ni la fluidité ni la sagesse ironique.

   Mais l'essentiel de sa gloire et de son influence modernes tient à son Canzionere en langue vulgaire, dont le titre original est Rerum vulgarium fragmenta (Fragments de pièces en vulgaire). Il compte 366 pièces (317 sonnets, 29 chansons, 9 sextines, 7 ballades et 4 madrigaux), articulées traditionnellement autour de la vie et de la mort de Laure. À l'exception, en effet, de quelques poèmes politiques exaltant la Rome antique ou fustigeant l'envahisseur étranger et la corruption de la pontificale, le Chansonnier est tout entier dédié à l'amour du poète pour celle qu'il nomme Laura, Laura-Aurora, Laura-Lauro-Laurea (le laurier : l'arbre et la couronne), Laura-l'Aura (souffle vital et poétique), mais aussi à deux reprises, Laureta, gracieux diminutif évoquant hors de tout symbolisme une figure féminine concrète, dont l'identité demeure cependant mystérieuse. Si, dans la tradition provençale, Pétrarque recourt à la fiction d'un unique amour idéalisé et s'il fait de cette fiction, dans l'esprit du dolce stil novo, la métaphore d'une révélation divine, il élude la transcendance et la logique du symbole, d'une part, dans l'analyse des contradictions du désir, et, d'autre part, à travers la répétition obsessionnelle de fantasmes emblématiques. Le désordre amoureux ne saurait ni conduire à l'ordre divin (sauf à travers le reniement du repentir), ni, surtout, le représenter, et la sublimation du désir de Laura en désir de gloire (Lauro) ne s'accomplit jamais qu'ici-bas. À la fiction réaliste du symbolisme théologique de la Vita nuova dantesque, Pétrarque oppose les figures et les emblèmes intemporels de l'aliénation amoureuse. Par ailleurs, l'entreprise la plus ambitieuse de Pétrarque en langue vulgaire est le poème allégorique des Triomphes, entrepris vers 1354 et publié avec le Chansonnier en 1370, dans lequel il ordonne son autobiographie spirituelle en une succession de cycles symboliques culminant dans le triomphe, tour à tour, du Désir, de la Chasteté, de la Mort, du Temps, de l'Éternité.