Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
B

Bulgarie (suite)

La littérature contemporaine

Après un épanouissement du roman épique avec Dimitar Talev (1898-1966), Dimitar Dimov (1909-1966) et Emilijan Stanev (1907-1978), le thème fondamental reste la confrontation du destin national, de l'histoire et de l'idéologie, rendue par une écriture moderne, orientée vers la narration d'une psychologie plus fine aux dominantes lyriques, que les romans historiques de Vera Mutafcievna (née en 1929) illustrent bien. Jordan Radickov (né en 1929) renonce à la description et à l'action linéaire au profit d'un récit à la première personne où la rétrospection, l'analogie et les associations jouent un rôle de première importance. Quant à la poétique de Blaga Dimitrova (1922–2003), elle est inspirée du montage cinématographique et favorise la réminiscence, dans un discours lyrique aux strates multiples. Pavel Vezinov (1914-1983) rend le conflit de générations et le tragique du déracinement, tandis que Ivajlo Petrov (1923–2005) procède à la démythification de la vie.

   L'absurde reste le trait distinctif non seulement de la prose mais aussi du théâtre. Des auteurs comme Ivan Radoev (1927-1994), Jordan Radickov et Stanislav Stratiev (1941-2001), les plus représentatifs, usent de l'absurde pour dénoncer le désarroi du monde actuel.

   L'écrivain Dimitar Korudziev est le meilleur représentant du postmodernisme (1941). Sa prose lyrique est profondément humaniste.

   La poésie est marquée aussi bien par la continuité avec la tradition que par les recherches novatrices. Qu'elle soit engagée ou non, elle s'intéresse toujours à la problématique morale (Boris Hristov, 1945). Depuis les années 1980, elle devient un système dynamique et ouvert des images et émotions nouvelles. L'œuvre polyphonique de Nikolaj Kancev (né en 1937) frappe par sa thématique ontologique de valeur universelle et sa stylistique hardie.

Bunyan (John)

Écrivain anglais (Elstow, près de Bedford, 1628 – Londres 1688).

Chaudronnier, nourri de culture populaire, il assiste dans les armées de Cromwell au conflit entre la grâce et l'organisation. Son mariage (1647) déclenche une crise dont il sort prédicateur baptiste (1653). Emprisonné pour douze ans dès la Restauration (1660), il prêche « en chaînes aux enchaînés » la résistance passive et la gloire future. L'Abondance de la grâce (1666), récit de sa conversion, prélude au Voyage du pèlerin (1678), allégorie qui deviendra, avec la Bible, l'un des textes les plus lus dans le monde anglophone. Le héros, Chrétien, parcourt un monde surchargé de sens : ayant fui la cité de la Destruction, il affronte, guidé par Évangéliste, le marais du Désespoir, traverse la vallée de l'Ombre de la Mort et la ville de Vanité, avant de gagner enfin la porte de la Cité céleste, qui ne fera que s'entrouvrir pour lui. Dans la deuxième partie (1684), son épouse Christiana décide d'accomplir le même voyage avec ses enfants. Rongé par l'angoisse d'indignité, préférant le désespoir à la tiédeur, Bunyan lutte contre la morosité et le légalisme calvinistes en célébrant l'épreuve, le dynamisme de la foi, l'indifférence aux malheurs ; reprenant l'imagerie chevaleresque, il fait du croyant le champion des certitudes conquises et de la droiture envers l'Âme, le Livre et Dieu. Vie et mort de M. Méchanthomme (1680) et la Sainte Guerre (1682) illustrent, avec moins de verdeur, la réorientation du non-conformisme populaire vers la spiritualisation, puis la moralisation de la vie quotidienne.

Buonarroti (Michelangelo)

Écrivain italien (Florence 1568 – id. 1642).

Surnommé le Jeune, pour le distinguer de son grand-oncle Michel-Ange, il allie l'abstraction de personnages allégoriques et le réalisme burlesque d'une typologie sociale diversifiée dans ses deux comédies, la Tancia (1612) et la Foire (1618), chefs-d'œuvre du théâtre baroque.

Bürger (Gottfried August)

Poète allemand (Molmerswende 1747 – Göttingen 1794).

Enseignant de littérature à Göttingen, il se lia avec les poètes du Göttinger Hain et dirigea l'Almanach des Muses de 1778 à sa mort. Ses ballades, influencées par Percy, Herder et la tradition populaire, sont des exemples d'un romantisme fiévreux (Lenore, la Fille du pasteur de Taubenhain) critiqué par Schiller. Ses déboires amoureux ont donné naissance à un lyrisme personnel. Bürger a tenté de traduire Shakespeare et Homère. Longtemps après son suicide, on a découvert qu'il était le principal auteur des Aventures du baron de Münchhausen (1786).

Burgess (John Burgess Wilson, dit Anthony)

Écrivain anglais (Manchester 1917 – Londres 1993).

Musicologue, officier chargé de l'Éducation à Bornéo, il regagne l'Angleterre en 1959, se croyant atteint d'une tumeur au cerveau. De son expérience malaise (l'Heure du tigre, 1956 ; Lits à l'est, 1959), il passe aux satires de la vie moderne, dénonçant dans l'Orange mécanique (1962) le désir d'ordre voilé sous « la violence des jeunes », la dissimulation de leur soif de soumission. Burgess se livre à la parodie des genres littéraires (Un agent qui vous veut du bien, 1964), évoque un avenir surpeuplé (la Folle Semence, 1962) et médiatisé (le Testament de l'Orange, 1975 ; 1985, 1978 ; Un enfer très raisonnable, 1981), témoignant d'un goût swiftien pour les langages artificiels, et d'une pitié aussi perverse que la violence ou la bêtise qu'il dénonce (Dernières Nouvelles du monde, 1982 ; la Dame noire d'Enderby, 1984 ; Pianistes, 1986). En même temps que son catholicisme agressif s'affirme un culte ambigu du héros (la Symphonie Napoléon, 1974 ; l'Homme de Nazareth, 1976).

Burian (Emil František)

Compositeur et auteur dramatique tchèque (Pilsen 1904 – Prague 1959).

Poète (Vu à travers les larmes, 1947), auteur de récits (Huit de là-bas, 1947), il fonda en 1933 le théâtre d'avant-garde D-34. Il monta ses propres pièces (le Plus Bel Amour, 1948 ; le Fumier, 1949) et des adaptations de chants et de poèmes populaires (Mai de K. Mácha, l'Éveil du printemps de Wedekind).

burlesque

Si le mot apparaît en Italie au XVIe siècle, avec des poètes (Berni, Tassoni, Caporali, Lalli) qui tournent en farce toutes les formes d'amplification littéraire, et si le burlesque connaît une sorte d'âge d'or au XVIIe s. en France, il est pourtant présent dans tous les genres et à toutes les époques : dans la comédie antique (Aristophane, Plaute) comme dans le roman policier moderne (San Antonio) ; dans les chansons de geste parodiques médiévales comme dans la vogue des ballets burlesques au début du XVIIe s. en France ; aux États-Unis (XIXesiècle), où le burlesque anime un drame populaire issu du minstrel show, qui mêle arlequinades, danses et chants, comme chez Molière, Shakespeare ou encore Jarry (Ubu roi). L'intertextualité de tous les styles et écritures et la dérision généralisée en font un genre « moderne » par excellence. Le burlesque, en littérature, consiste à choisir pour principe esthétique la disconvenance et la discordance : entre le genre et le sujet, entre le personnage et son énonciation, et à l'intérieur des choix lexicaux (archaïsmes/néologismes, mélange de langues, comme dans le genre macaronique, qui mêle des termes de latin plus ou moins corrects à un texte en langue moderne). Ces discordances s'obtiennent en particulier en mêlant le haut et le bas, le noble et l'élevé, soit en traitant un sujet noble en termes « bas » (selon les définitions rhétoriques des trois styles), comme le fait Scarron dans le Virgile travesti (1648-1653), soit en traitant un thème trivial ou ridicule en termes élevés (ce qu'on appelle depuis le XVIIIe siècle l'héroï-comique, alors que ce terme désigne, au sens propre, un poème épique mêlé d'épisodes comiques, tel le Roland furieux de l'Arioste) : ainsi, parmi les parodies d'Homère, la Batrachomyomachie, qui reproduit le style et les procédés de l'Iliade, ou, chez les Modernes, le Seau enlevé (1621) de Tassoni, le Lutrin (1674) de Boileau, la Boucle de cheveu enlevée (1712) de Pope. Mais la burla (la mystification) y est également reine, par la pratique de la figure de l'équivoque, et par l'ambiguïté de ses significations : le burlesque est-il ludique ou subversif ? C'est en tout cas en se donnant pour un exercice de style gratuit qu'il a pu se développer en « marge tolérée » par les institutions au XVIIe siècle, bien qu'il ait aussi joué un rôle revendicatif ou subversif : dans la liberté des langues et de la langue, contre les puristes ; dans le politique, à l'occasion des guerres de Religion – la Satire Ménippée – ou de la Fronde ; dans la littérature libertine.Contrairement à une opinion répandue, le burlesque n'a rien d'un genre vulgaire ou grossier. Ces critères moraux passent à côté de sa spécificité : l'inversion systématique – et donc la connaissance – des valeurs et des règles. L'écriture burlesque est une déformation stylistique de la norme, une manière recherchée et ambiguë de s'exprimer, et non un genre populaire et spontané. Il est la marque d'esprits ironiques qui misent sur des effets comiques de contraste. Se demander si le burlesque est dans les termes employés ou dans les idées manipulées (dans le signifiant ou le signifié) est vain, puisque ce n'est que dans le contraste entre les deux signes que le comique s'instaure. Il est souvent malaisé de distinguer le burlesque des autres formes comiques ; on remarquera simplement que le burlesque refuse le discours moralisateur de la satire, qu'il n'a pas nécessairement la vision catastrophée et nihiliste du grotesque, qu'il est proche, mais différent, du style marotique, caractérisé par son archaïsme artificiel et par un mélange d'esprit et de naïveté feinte (à la manière de Marot). Il tient aussi de la caricature, déformant (enlaidissant) les traits du modèle, tout en le laissant reconnaissable.