Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
V

Voltaire (François Marie Arouet, dit) (suite)

Une cible constante : le pouvoir religieux et le fanatisme

La publication d'œuvres semblables après celle des Lettres philosophiques, condamnées au feu, firent craindre une répression, qu'il évita en s'enfuyant à Cirey, où l'invitait Mme du Châtelet. Ce séjour en Champagne, auprès d'une femme aimée, fut fécond. Voltaire y prolongea son travail théâtral (la Mort de Jules César, 1735 ; Alzire ou les Américains, 1736 ; Mahomet, 1741 ; Mérope 1743), poétique (le Mondain, apologie de la société moderne ; les Discours sur l'homme, pièces philosophiques inspirées par l'Essai sur l'homme de Pope ; la Pucelle, épopée burlesque et anticléricale sur Jeanne d'Arc) et philosophique (Éléments de la philosophie de Newton, 1738). La tragédie Mahomet le prophète ou le Fanatisme eut au XVIIIe s. une résonance immense. Mahomet y apparaît comme un despote hypocrite qui utilise le fanatisme religieux pour construire un empire temporel. Il ne recule ni devant l'assassinat ni devant un inceste qu'il favorise, pour apaiser son appétit de pouvoir et sa soif de vengeance. On crut y voir (avec quelque raison) une attaque contre les jansénistes, dont l'influence retarda la représentation de la pièce. Voltaire s'appuya fort habilement sur le cardinal de Fleury et offrit même sa pièce au pape. La dénonciation voltairienne vise en réalité l'ensemble des rapports entre la foi et le pouvoir.

Le mondain

Le règne de Mme de Pompadour à la cour de France et l'ébauche d'un assouplissement de la position royale à l'égard des philosophes le firent rentrer à Paris et recevoir des consécrations officielles. Il est nommé historiographe du roi (1745), gentilhomme ordinaire, puis reçu à l'Académie française (1746). Il connaît alors une période mondaine. Il célèbre dans un poème la Bataille de Fontenoy (1745) et compose des opéras. De cette époque datent Sémiramis, tragédie de 1748, Nanine, comédie de 1749, et les premiers contes : Memnon, histoire orientale, qui, en 1747, est la première version de Zadig. Devenu Premier ministre par son seul mérite, le jeune et sage Zadig, injustement soupçonné d'être l'amant de la reine Astarté, doit fuir Babylone. Au terme d'une série d'épreuves et de révélations, il retourne dans sa ville, épouse Astarté et inaugure un règne de paix et de vertu. Opposant à l'« ordre immuable de l'Univers » le désordre d'ici-bas, Voltaire affirme pourtant dans ce récit initiatique sa foi dans la Providence, dont le roi-philosophe est l'incarnation parmi les hommes.

L'expérience berlinoise : une leçon de relativisme

Éprouvé par la mort de Mme du Châtelet, Voltaire répondit favorablement à l'invitation du roi de Prusse Frédéric II, qui était entré en correspondance avec lui avant d'accéder au trône et qui l'avait chargé de publier l'Anti-Machiavel. Le roi ne négligea aucune flatterie pour attirer le philosophe, qu'il nomma chambellan et qui demeura à Berlin de 1750 à 1753. Le Siècle de Louis XIV (1751) et Micromégas (1752) virent alors le jour. Mais les relations ne tardèrent pas à se détériorer entre le monarque et l'homme de lettres. Diverses querelles littéraires interférèrent, en particulier celle qui mit aux prises Voltaire et Maupertuis, qui dirigeait l'Académie de Berlin. La cour de Berlin ne réussit pas plus à Voltaire que celle de Paris.

La retraite de Ferney

Indésirable dans les deux capitales, Voltaire s'installa près de Genève, à la frontière franco-suisse, aux Délices d'abord (1755) puis à Ferney (1758), où il fit construire une vaste demeure et où il géra le domaine en seigneur éclairé. Le tremblement de terre de Lisbonne suscite la composition d'un poème philosophique sur la Providence et un échange polémique avec Jean-Jacques Rousseau. Le Poème sur le désastre de Lisbonne témoigne de l'évolution de la pensée du philosophe dans les années 1750. Voltaire s'en prend à la pensée de Pope et de Leibniz avec une pertinence et une profondeur tactiques admirables. Il a parfaitement perçu la valeur du dispositif philosophique de ses adversaires qui, affirmant que « tout est bien » et que du mal même ne peut sortir finalement que du bien, sauvent le monde de la chute et ne rejettent pas dans l'au-delà la question du bonheur. Mais Voltaire conteste la reprise de ces idées par le sens commun qui en tire une acceptation fataliste de l'ordre des choses. Le désastre de Lisbonne lui arrache un cri du cœur. Ce pessimisme de sentiment, plus que toute autre construction intellectuelle, dément les rationalisations d'un optimisme aveugle : « Un jour tout sera bien, voilà notre espérance. Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion. » Voltaire compose alors l'Orphelin de la Chine, tragédie de 1755, et l'Essai sur les mœurs, essai historique de 1756, précédé à partir de 1769 d'une introduction théorique intitulée Philosophie de l'histoire. L'œuvre, qui retrace l'histoire de l'humanité des origines au siècle de Louis XIV, se caractérise par sa volonté universaliste contre les étroitesses nationales, et par son souci de constituer une histoire des civilisations par opposition aux chroniques événementielles et dynastiques. Voltaire s'y intéresse à l'Orient aussi bien qu'à l'Amérique, au développement du commerce qu'aux productions culturelles. Il gère une information énorme avec moins de légèreté et d'erreurs qu'on ne l'a prétendu. Mais l'Essai déchaîna les passions par ses prises de position contre les croisades et les guerres de Religion, en faveur de la tolérance et de la fraternité universelle.

« Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes »

Les guerres qui ont déchiré l'Europe durant toute son histoire et dont le XVIIIe s. est encore le témoin, le tremblement de terre de Lisbonne ont poussé Voltaire à critiquer l'optimisme métaphysique de Leibniz, tel qu'il est simplifié par certains de ses disciples comme Wolff, qui soutient que notre monde est « le meilleur des mondes possibles », formule qui revient comme un leitmotiv dans le conte. Le héros, Candide, à la recherche de Cunégonde, la femme aimée, et de la vérité, fait l'expérience des malheurs qui frappent l'humanité. Tant dans l'Ancien Monde que dans le Nouveau, il découvre l'inanité des systèmes spéculatifs sans application pratique, représentés par Pangloss, adepte de l'optimisme et premier professeur de Candide, et son contradicteur Martin, le pessimiste. Il traverse sans s'y arrêter l'Eldorado, utopie située en Amérique, et renonce finalement à sa quête philosophique pour « cultiver son jardin ». Cette morale ambiguë a suscité des interprétations contradictoires : tantôt un appel à l'action militante, une allégorie du style de vie que mène Voltaire à Ferney, tantôt une résignation, un repli sur soi. Voltaire, délaissant les grands genres littéraires traditionnels de l'épopée et de la tragédie qui avaient fait sa gloire, trouvait dans le conte une forme souple qui convenait particulièrement à sa verve et à son ironie. Candide (1759) est devenu le symbole de l'esprit voltairien, quand ce n'est pas de l'esprit français. Le théâtre devient également une tribune militante. Installé à Ferney, Voltaire reste en effet en contact étroit avec le combat encyclopédique.

Le philosophe engagé

Il acquiert une nouvelle dimension en intervenant publiquement dans toutes les affaires où éclatent l'injustice et la force des préjugés. Il fait appel à l'opinion en faveur de l'amiral anglais Byng, condamné à mort pour avoir perdu une bataille (1756), et en faveur de son équivalent français, le gouverneur des Indes, Lally-Tollendal, exécuté pour avoir été battu par les Anglais (1776-1778). La cause la plus connue est celle d'un protestant injustement condamné, Calas (1762-1765). L'affaire Calas éclate à Toulouse en 1761, avec le décès mystérieux d'un jeune protestant que l'on disait sur le point de se convertir, Marc-Antoine Calas. Les membres de la famille Calas font des déclarations contradictoires, la thèse du suicide à laquelle ils s'attachent n'est guère plausible. Sans preuve aucune, après une enquête malveillante, poussés par l'opinion publique, emportés par leur haine des protestants, capitouls et parlementaires condamnent Jean Calas, le père de la victime. Le 10 mars 1762, c'est l'exécution : le supplice de la roue suivi de l'étranglement et du bûcher. L'intervention et la lutte de Voltaire pour la réhabilitation de Calas confèrent à cette affaire toute sa dimension. En 1762, le philosophe poursuit un double combat, contre « l'infâme », le « fanatisme papiste », et contre le fanatisme huguenot. L'affaire Calas vient à point nommé : elle permet à Voltaire de centrer l'attaque idéologique. Convaincu par une enquête minutieuse de l'innocence de ses protégés, Voltaire entreprend de multiples démarches. Au moment le plus fort de la campagne, il publie le Traité sur la tolérance (1763), dans lequel, sans perdre de vue sa cible, s'élevant par degrés au-dessus de son indignation, il propose une philosophie morale et pratique cohérente, fondée sur le déisme. Il dénonce le préjugé et l'ignorance, causes de l'excès populaire, et dans un même mouvement le fanatisme religieux des parlementaires. Il précise ainsi sa position de bourgeois monarchiste. L'écriture de Voltaire est ici une machine de guerre d'une redoutable efficacité : ironie, appels à la raison et, finalement, construction d'un « tableau » fixant le mythe de « la malheureuse famille Calas ». L'intolérance religieuse ou autre était également à la base des affaires des époux Sirven (1767-1771), du chevalier de La Barre (1766-1774), dont il recueille le compagnon à Ferney, de Mme Montbailli (1770), etc.