Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
H

Hugo (Victor Marie) (suite)

Le drame du fanatisme

Torquemada, drame en vers, dont l'idée remonte à la première Légende (1859), écrit en 1869, est publié en 1882, en guise de protestation contre la persécution des Juifs en Russie. C'est une dénonciation virulente de l'Inquisition en Espagne et de son rôle dans la constitution de la monarchie très catholique. Fanatique visionnaire du salut par le bûcher, vouant au moindre pécheur la violence de son amour homicide, Torquemada accomplit dans une horreur sublime la rigueur d'une folie ultra, qui disqualifie les ruses des pouvoirs établis. Cet absolutisme forcené des grandes mutations historiques, empire du nouveau monde comme terreur, désigne par contrecoup la disponibilité démocratique de l'espérance et de l'amour. Synthèse superbe du drame romantique et du théâtre en liberté, la pièce porte à l'incandescence les qualités philosophiques et lyriques de la dramaturgie hugolienne.

Après la mort

Jusqu'au centenaire de 1902, surtout, mais aussi bien au-delà, les révélations d'inédits se poursuivent. Œuvres dramatiques : Théâtre en liberté (1886), Mille Francs de récompense (1934), l'Intervention (1951). Œuvres poétiques : la Fin de Satan (1886), Toute la lyre (1888-1893), Dieu (1891), les Années funestes (1898), Dernière Gerbe (1902). Témoignages : Choses vues (1887-1900), Voyages : Alpes et Pyrénées (1890) ; France et Belgique (1892).

   Après l'édition « ne varietur » d'Hetzel et Quantin, la monumentale édition dite de l'Imprimerie nationale, établie successivement par Paul Meurice, Gustave Simon et Cécile Daubray (Ollendorff et Albin-Michel, 45 volumes, 1901-1952) procure de nombreux inédits, puis l'édition chronologique dirigée par Jean Massin, avec la collaboration d'une quarantaine de spécialistes (Le Club français du livre, 18 volumes, 1967-1970), reproduit dans les deux derniers volumes 2 000 dessins qui placent désormais Hugo parmi les grands artistes du XIXe siècle. L'édition des Œuvres complètes, dirigée par Jacques Seebacher, établie et présentée par 28 spécialistes (15 volumes, « Bouquins », Robert Laffont, 1985), est réimprimée en 2002. Des éditions critiques d'œuvres séparées ont été procurées, entre autres, par Pierre Albouy, Yves Gohin et Jacques Seebacher (dans la Bibliothèque de la Pléiade), Tony James (Klincksieck), René Journet, Guy Robert, Anne Ubersfeld (les Belles Lettres). Deux volumes de Correspondance familiale et écrits intimes (1802-1828 et 1828-1839) ont été publiés sous la direction de Jean Gaudon, Sheila Gaudon et Bernard Leuilliot (« Bouquins », Robert Laffont, 1988 et 1991). Le cinéma, les médias, ne cessent d'apporter à Hugo une faveur grandissante, qui tient à la plasticité idéologique de son œuvre, à son mélange de violence, d'ironie et de sérénité, à l'équilibre souverain de la folie visionnaire et de la rigueur formelle.

    

Huguenin (Jean-René)

Écrivain français (Paris 1936 – id. 1962).

Frôlant le Goncourt, le premier roman de ce jeune héros, la Côte sauvage (1960), éclaire sur fond d'inceste voilé les parts obscures de l'être, attire l'attention de Mauriac et d'Aragon. Participant à la revue Art, et l'un des fondateurs de Tel Quel, Huguenin, décédé à 26 ans des suites d'un accident de voiture, est l'auteur d'un Journal posthume (1964) placé sous le signe du dépassement de soi et de la constante exigence morale, assurément l'un des écrits intimes les plus tendus en même temps que la peinture d'une jeunesse romantique. De ce beau, jeune et noble romain que Dieu ne laisse pas indifférent, les initiales JRH sont aussi celles, disent ses amis, de : « Je rends heureux. » Une autre jeunesse (1965), le Feu à sa vie (1987) sont également posthumes.

Hugues de Rutland
ou Hue de Rotelande

Écrivain anglo-normand (fin XIIe s.).

Son premier roman, Ipomédon (après 1174), raconte les aventures d'un jeune prince amoureux de la « Fière Pucelle », duchesse de Calabre, et qui multiplie ses épreuves, en dissimulant son identité, pour mériter par une prouesse incontestable l'amour de sa dame. L'œuvre comporte une suite, Prothesilaus, consacrée au fils d'Ipomédon. Les deux récits rassemblent de nombreux motifs pour la plupart empruntés à la tradition bretonne, et donnent une image, exaltée jusqu'à la caricature, de l'esprit courtois.

Huidobro (Vicente)

Poète chilien (Santiago 1893 – Cartagena 1948).

Admirateur passionné de Ruben Darío, influencé par Apollinaire et Reverdy, rencontrés à Paris, il est l'animateur et l'âme du Creacionismo (le Miroir d'eau, 1916 ; Horizon carré, 1917). Son lyrisme trouve sa plus haute expression dans deux recueils publiés en 1931 : Altazor, où l'auteur (azor en espagnol) dans son haut vol à travers l'espace de l'imaginaire est l'incarnation du poète, et Tremblement de ciel. Mon Cid Campeador (1929) est aussi un manifeste esthétique.

humanisme

Le mot a d'abord existé sous la forme de l'adjectif « humaniste », le substantif « humanisme » étant apparu tardivement. L'adjectif, dont on situe la première apparition dans la langue française vers 1539, proviendrait d'une adaptation du néolatin «  umanista », qui désignait dans l'Italie du XIVe s., professeurs et étudiants qui se spécialisaient dans l'étude de la langue et des littératures de l'Antiquité, domaine que l'on appelait encore récemment les « humanités ». L'humanisme serait donc avant tout une activité fondée sur l'étude des textes anciens – les studia humanitatis – qui ouvrent un champ de découverte dont l'homme est l'objet central. Derrière les « humanités », c'est bien l'étude de ce qui est humain qui est visée. L'humanisme peut ainsi se définir comme un mouvement intellectuel lié à l'époque de la Renaissance et à ses nouveaux modes de diffusion du savoir, tels que l'imprimerie, fondé sur une nouvelle méthode d'investigation des textes et donnant lieu à un renouvellement de la représentation du monde et de la place que l'homme y occupe.

Le renouveau philologique et critique

Ce mouvement est avant tout lié au renouveau de l'érudition : sous l'influence des grammairiens byzantins fuyant Constantinople, après la prise de la ville par les Turcs en 1453, les érudits améliorent significativement leurs compétences linguistiques en grec. Dès lors, des auteurs tels que Platon, Aristote, Diogène Laërce ou Homère deviennent accessibles dans le texte d'origine ; il n'est plus besoin d'être tributaire de traductions ou de réécritures latines tardives. Les editio princeps (premières éditions imprimées) de la plupart des auteurs grecs fleurissent alors entre la fin du XVe et le XVIe s. De même, l'hébreu est de plus en plus pratiqué et, avec le grec et le latin, devient une des trois langues maîtrisées par les humanistes.

   En outre, ce renouveau passe par une modification radicale du rapport que l'on pouvait entretenir avec les textes : la recherche et l'étude des œuvres antiques commencent dès le XVe s. à être considérées pour leur intérêt propre : ces textes ne sont plus simplement considérés comme des matériaux à intégrer au théocentrisme médiéval : Pétrarque, Boccace, Salutati en ont donné l'exemple. De plus, il ne s'agit plus de passer par des intermédiaires, qu'ils soient traductions, commentaires ou autres gloses diverses, mais d'atteindre le texte dans son authenticité originelle en éliminant tous les ajouts et toutes les transformations qu'on a pu lui faire subir. Cet exercice de remontée au texte primitif, qui vise à lire à nouveau le texte tel que l'auteur l'avait réellement conçu, a pour nom la philologie, discipline que l'humaniste français Guillaume Budé définit comme « amour des bonnes lettres et inclination à l'étude ». Aimer les textes, rechercher leur fréquentation sans les maltraiter et en respectant leur identité implique une véritable éthique des professions liées à l'érudition.

   L'humanisme, fondé sur cet exercice de la philologie, passe alors par deux gestes fondamentaux. Tout d'abord « trouver ». Les humanistes de l'Europe tout entière se rendent dans les grandes cités italiennes – Venise au premier chef – pour s'approvisionner en profitant des caisses de manuscrits débarquées de l'Empire Byzantin avec les savants grecs en fuite. Les libraires-imprimeurs comme Henri Estienne viennent de loin pour traquer des textes qui leur permettront de préparer des publications imprimées. Ils ne sont pas les seuls : des copistes sont dépéchés dans les bibliothèques afin d'alimenter les fonds d'autres bibliothèques, comme la Librairie royale que François Ier décide de fonder vers 1522. Cette recherche fiévreuse se prolonge par la tâche philologique par excellence, l'établissement des textes : il s'agit de reconstituer, à partir des manuscrits recopiés par plusieurs scribes successifs au fil des siècles, le texte réellement écrit par l'auteur. Une telle restitution demande de « collationner » – c'est-à-dire de comparer – les différentes versions afin de remonter par hypothèses successives vers le texte le plus proche de celui que Cicéron, Plutarque ou Virgile avaient pu composer de leur vivant. Ce travail de « nettoyage » du texte définit peu à peu ses règles qui en font une discipline à part entière.

   La première « conquête intellectuelle » de l'humanisme fut donc d'arracher les textes à l'oubli ou aux métamorphoses que leur avaient fait subir les générations successives de lecteurs irrespectueux. Elle entraîna logiquement l'essor d'un nouvel esprit critique : dans la mesure où l'on ne se satisfaisait plus des acquis légués par la tradition et où il fallait tout vérifier par soi-même, on réaffirmait les droits de l'individu à refuser l'autorité des textes disponibles fondée le plus souvent sur l'ancienneté et le prestige. La volonté de Lefèvre d'Étaples de traduire les textes bibliques et de les commenter en langue vulgaire est significative de l'insatisfaction éprouvée par ces humanistes face à la Vulgate, traduction latine établie par saint Jérôme sur laquelle l'Église se fondait depuis le VIIIe s. Il fallait revenir aux sources grecques et hébraïques, établir à nouveau le texte dans sa pureté pour le traduire ensuite en une langue qui serait accessible à tous. Ainsi, les humanistes tels que Lefèvre, Érasme ou Budé mirent en œuvre cette volonté de « dépoussiérer » pour mieux comprendre, ce qui permit une approche renouvelée de textes primordiaux pour la vie sociale tels que les saintes Écritures ou encore les Pandectes, recueils de textes de droit romain.

   S'ouvre ainsi, entre les spéculations scolastiques et les disciplines formelles du trivium, un champ de recherches aux frontières imprécises où les questions morales, politiques, religieuses, esthétiques se profilent sous l'éclairage contrasté de tous les foyers de pensée de l'Antiquité païenne et judéo-chrétienne, ravivées par leur confrontation. Et les difficultés s'accroissent dans la mesure même où les travaux se font plus rigoureux : entre hellénisme et christianisme, Budé marque les différences qu'estompait Ficin, et invite à « passer » de l'un à l'autre (De Transitu, 1534) au lieu de les confondre ; c'est là une perception plus nette de la question, requise par les exigences mêmes de l'humanisme.