Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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KRACAUER (Siegfried)

écrivain, essayiste allemand (Francfort-sur-le-Main 1889 - New York, N. Y., 1966).

Architecte de formation, il s'oriente vers la philosophie et la sociologie à Berlin, et publie en 1922 Soziologie als Wissenschaft. Il recourt à cette discipline nouvelle pour analyser l'univers d'Offenbach, le roman policier, le film. Influencé par Walter Benjamin et le jeune Georg Lukács, lié à l'école de Francfort, il se fait connaître par ses chroniques cinématographiques de la Frankfurter Zeitung, qu'il signe de 1921 à 1933, date de l'arrivée des nazis au pouvoir et de son exil. C'est aux États-Unis, à Princeton, qu'il publie en 1947 la première édition de son ouvrage le plus connu, From Caligari to Hitler, A Psychological History of the German Film, qui ne sera traduit en français que tardivement (De Caligari à Hitler, Lausanne, 1973). Comme dans Theory of Film (Oxford, 1968), Kracauer écarte le gestaltisme (« Gestalttheorie »), moins intéressé par l'évolution des formes que par l'analyse de la représentation du réel — et de l'imaginaire fantastique ou mythique —, car cette représentation, pense-t-il, est un miroir de l'inconscient collectif, de la « dualité de l'âme germanique », des refoulements et névroses politiques. L'intérêt de ce travail est considérable et ses attendus, fondés sur l'étude méthodique des œuvres, n'ont jamais été remis en cause. Kracauer, qui met en évidence les « prémonitions profondément enracinées qui se propagèrent dans le cinéma allemand » entre 1895 et 1933, grâce à sa connaissance précise de la production, éclaire également les procédés employés par les nazis pour faire du film un outil de propagande et falsifier l'information. In fine, les questions de forme se retrouvent éclairées d'un jour complémentaire, les faisant apparaître inséparables du tissu socio-historique.

KRAGH-JACOBSEN (Soeren)

cinéaste danois (Copenhague 1947).

Formé à l'École de cinéma de Prague, il est aussi musicien – il utilisera ses compositions dans son premier film de cinéma en 1978, après quelques années à la télévision où il est responsable d'un programme pour enfants. Ses films sont tout d'abord destinés au public jeune, qu'il aborde dans une veine humoristique : Gummi Tarzan (1981) est représentatif de cette approche. En 1988, l'Ombre d'Emma (Skyggen av Emma) tranche sur cette production, et si le personnage principal est une petite fille, la thématique et la mise en scène insistent sur le décor social et le réalisme. Sur la base d'événements authentiques, les Garçons de Saint-Pierre (Drengene fra Sankt Petri, 1991) évoquent de manière bien conventionnelle un groupe d'adolescents sous l'occupation allemande, passant de la blague à une véritable résistance.

Depuis ses débuts le cinéaste se partage entre la télévision et le cinéma dans un style plutôt classique. Or, en 1999, on découvre dans son Mifune (Mifunes sidste sang), par une sorte de dynamisation des modes de tournage (caméra légère, style documentaire, absence de techniques d'appoint, etc.), une vivacité qu'on ne lui connaissait pas, une vraie modernisation due à l'adhésion aux méthodes « Dogma » théorisées à l'époque par Lars von Trier.

KRAHL (Hildegard Kolačňy, dite Hilde)

actrice allemande d'origine croate (Brod, Autriche-Hongrie, 1917).

Elle débute en Autriche presque simultanément au théâtre et au cinéma, avec notamment Mädchenpensionnat (G. von Bolvary, 1936) et devient très vite une des vedettes féminines du cinéma du IIIe Reich — et pour beaucoup la plus belle — tournant principalement comédies et drames sentimentaux : Serenade (W. Forst, 1937), la Fille de la steppe (W. Klinger, 1939), la Double Vie de Laura Menzel (Das andere Ich, W. Liebeneiner, 1941), et d'autres films de Wolfgang Liebeneiner, son mari. Ses meilleures interprétations sont sans doute celles du Maître de poste (G. Ucicky, 1940) et des Comédiens (G. W. Pabst, 1941). Toujours présente sur les scènes de théâtre allemandes après la guerre, elle tourne de nombreux films jusqu'en 1962, parmi lesquels Liebe 47 et Vienne, 1er avril, an 2000 (1 April 2000) de Liebeneiner (1949 et 1952), et Des enfants, des mères et un général de Laszlo Benedek (1955).

KRÄLY (Hans)

scénariste américain d'origine allemande (Hambourg 1885 - Hollywood, Ca., 1950).

Collaborateur d'Urban Gad puis d'Ernst Lubitsch dès 1918 (les Yeux de la momie), porteur d'un certain humour berlinois, excellent constructeur de situation, dialoguiste brillant, Kräly était le compère idéal du cinéaste à la « touch » magique. Qu'il s'agisse de la Du Barry (1919), de la Poupée (id.), d'Anne Boleyn (1920), puis, aux États-Unis, de Paradis défendu (1924), de So This Is Paris (1926), du Prince étudiant (1927) ou du Patriote (1928), l'importance de son écriture est nette. Au parlant, il cesse sa collaboration avec le maître berlinois, car, dès le muet, il avait commencé à prendre ses distances en réussissant ses collaborations avec Clarence Brown (l'Aigle noir, 1925, et Kiki, 1926), Sidney Franklin (Quality Street, 1927), Lewis Milestone (le Jardin de l'Éden, 1928) et Jacques Feyder (le Baiser, 1929). Au parlant, on lui doit surtout un curieux scénario pour James Whale (Court-Circuit, 1933) et une bonne intrigue pour Henry Koster (Ève a commencé [It Started With Eve], 1941). Il s'est retiré en 1943.

KRAMER (Robert)

cinéaste américain (New York, N. Y., 1939 - Rouen, France, 1999).

S'il compte parmi les metteurs en scène les plus originaux du cinéma indépendant américain, Robert Kramer est aussi l'un des chantres de la contre-culture qui s'est développée aux États-Unis à la fin des années 60. Mal acceptées dans son pays, ses œuvres austères ont connu un accueil plus favorable en Europe et particulièrement en France, où il vint d'ailleurs travailler. Son premier long métrage, In the Country (1967), long dialogue d'un couple qui s'est retiré à la campagne pour fuir la lutte politique (contre la guerre au Viêt-nam), à laquelle l'homme ne croit plus, établit l'univers et les préoccupations de Kramer. En marge (The Edge, 1967) et Ice (id., 1968) évoquent les groupes engagés qui flirtent avec le terrorisme. Mais le discours politique n'est pas le seul centre d'intérêt de Kramer : il est tout aussi attentif aux rapports humains, aux sous-conversations qu'il évoque de manière oblique, elliptique, sur un ton feutré. Milestones (1976), évocation polyphonique d'une communauté à la campagne, film-fleuve, résume les recherches structurelles et éthiques de Kramer. Fondateur d'un groupe de cinéma indépendant, The Newsreel, Kramer a également réalisé des documentaires : People's War (1975) et Scenes From the Class Struggle in Portugal (1977). Sa fascination pour les activités clandestines se retrouve dans Guns (id., 1980), qu'il tourne en France tandis qu'À toute allure (1982), mis en scène pour l'INA et la télévision, montre sa sensibilisation aux problèmes de la jeunesse. Notre nazi (Unser Nazi, 1984) est un étonnant reportage sur le tournage du film de Thomas Harlan, Wundkanal, qui devient une réflexion sur la culpabilité et la recherche de la vérité. Diesel (1985), en revanche, également réalisé en France, marque sa rencontre (peu heureuse) avec le film policier. Il tourne ensuite au Portugal Doc's Kingdom (1987) et propose dans Route One USA (1989) sa vision très personnelle, du Canada en Floride, de l'Amérique profonde à l'aube du XXIe siècle. En 1993, de retour au Vietnam (où il avait tourné en 1969 People's War), il cherche à comprendre à travers diverses rencontres à Hanoi l'évolution d'un pays marqué par une guerre traumatisante dans Point de départ (Starting Place). Il signe en 1995 un film de fiction, l'Avenir (Fear / Far / Future).