Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

COCHRAN (Robert Alexander Cochran, dit Steve) (suite)

D'abord sous contrat chez Samuel Goldwyn, il débute dans le Joyeux Phénomène (Wonder Man, Bruce Humberstone, 1945), aux côtés du couple Danny Kaye-Virginia Mayo, qu'il retrouve dans le Laitier de Brooklyn (N. Z. McLeod, 1946) et Si bémol et fa dièse (H. Hawks, 1948). Il poursuit sa carrière à la Warner, incarnant le plus souvent des personnages de gangsters veules et retors. Il est le rival trop ambitieux de James Cagney dans L'enfer est à lui (R. Walsh, 1949), le chef de bande de Dallas, ville frontière (S. Heisler, 1950), le prolétaire exalté de Storm Warning (Heisler, 1951), qui apaise ses frustrations dans les rangs du Ku-Klux Klan. Devenu vedette, il achève son séjour à la Warner dans deux comédies musicales : Catherine et son amant (She's Back on Broadway, G. Douglas, 1953) et The Desert Song (B. Humberstone, id.), avant d'incarner, en Italie, l'ouvrier suicidaire du Cri (M. Antonioni, 1957). Il tourne avec Roger Corman (I Mobster, 1959) et Sam Peckinpah (New Mexico, 1961), puis réalise, en 1964, Tell Me in the Sunlight, qui sera distribué deux ans après sa mort dans le Pacifique, des suites d'une infection.

COCTEAU (Jean)

poète, écrivain, dramaturge et cinéaste français (Maisons-Laffitte 1889 - Milly-la-Forêt 1963).

Issu d'une famille de notaires et d'agents de change, ses études (de « cancre », dit-il) achevées à Paris, Cocteau s'impose en littérature dès ses vingt ans. Il a résolu d'être, définitivement, agressivement, moderne. Mobilisé en 1916, bientôt réformé, il rentre à Paris, se rend célèbre avec le ballet Parade (1917), collabore avec Picasso, Erik Satie, Serge de Diaghilev (les Ballets russes), Stravinski. Il inspire le groupe des Six (1918), découvre et lance Raymond Radiguet (1920), auteur à dix-sept ans du Diable au corps. Hormis le Sang d'un poète (1931), film d'avant-garde que le mécénat du vicomte de Noailles (qui, en même temps, commandite l'Âge d'or de Buñuel) lui permet de réaliser. Cocteau ne s'intéresse activement au cinéma qu'à partir des années 40. Il élabore alors des adaptations, écrit des dialogues, rédige et souvent commente lui-même des films « poétiques » jugés difficiles ou insolites par leurs distributeurs. En 1942, il travaille pour Marcel Carné aux dialogues de Juliette ou la Clé des songes, qui sera tourné neuf ans plus tard, mais selon le scénario de Jacques Viot et Georges Neveux. En tant que dialoguiste, c'est au film de Robert Bresson, les Dames du bois de Boulogne (1945), qu'il apporte son concours le plus étonnant d'intelligence, d'élégance, de dépouillement et d'efficacité dramatique. Il met en scène son deuxième film en 1943, son dernier, le huitième en 1960. L'Académie française l'élit en 1955.

On a dit de Cocteau qu'il avait un talent polymorphe ou qu'il était un touche-à-tout de génie. Lui-même se définit comme « un franc-tireur du cinéma ». Le film est une corde de plus qu'il ajoute à son arc. À sa « poésie de roman », sa « poésie de théâtre », sa « poésie critique », sa « poésie graphique », il ajoute une « poésie cinématographique ». Pratiqué à l'égal du poème (le poète s'y expose et s'y découvre au double sens du mot : il se connaît, il se dévoile aux autres), le cinéma devient écriture, « encre de lumière ». Non plus 7e art mais dixième muse, Cocteau l'appelle « cinématographe ». Dans ses films, comme ailleurs dans son œuvre, Cocteau bâtit sa poésie en cartésien. Elle est concrète et raisonneuse. Elle a besoin des artifices du merveilleux comme les machineries féeriques du cirque, du théâtre, de la fête foraine ; comme les ressorts des contes : miroirs magiques qu'on traverse, statues qui bougent, animaux qui parlent, passages enchantés, métamorphoses. Elle repose sur les données précises d'une expérience vécue : « Je capte mes mythes et mes souvenirs de jeunesse. » Elle doit surprendre, « saisir la chance au piège » car « il n'y a de beauté qu'accidentelle ». Pour la Belle et la Bête, et plus tard avec Melville pour les Enfants terribles, Cocteau, sur la table de montage, recherche, entre partition musicale et images, « un synchronisme accidentel ». Le côté artisanal du cinéma le ravit : l'univers filmique se crée aussi avec les mains. Le bric-à-brac des décors renvoie au foisonnement des greniers de l'enfance, puis vient l'art qui épure, ordonne, simplifie. Au dernier plan de l'Éternel Retour, l'entrepôt des pêcheurs est un capharnaüm. Patrice/Tristan y meurt ; Nathalie/Iseut s'étend près de lui pour elle aussi mourir. Alors le décor se vide absolument et s'archaïse ; l'endroit devient crypte romane, tombeau antique, grandiose, austère, nu.

Ce goût du concret fait le réalisme magique que Cocteau revendique pour sa poésie. « Tout poème est un blason. Il choisit des objets réels et en fait un documentaire. » La féerie, la légende sont d'autant plus prenantes qu'elles sont réelles. Sur l'écran, « ce qu'on voit, on le voit  ». La fable, sans aucun doute, est fiction, fantaisie ; les mythes qu'elle sert sont vrais, sont universels. Bien moins désinvoltes, bien moins étincelants de pirouettes et de préciosités que ne le sont souvent ses vers, les films de Cocteau affichent et parfois cachent une fantaisie grave, une souriante « difficulté d'être » et cette hantise de la mort que doit fournir, à l'œuvre, selon l'auteur même, son éclairage définitif. (Tous les films de Cocteau cultivent le thème du renfermement.) Avec le Sang d'un poète, Cocteau ne s'est nullement proposé de faire (ce que beaucoup croient) un film surréaliste : André Breton le combattit d'ailleurs farouchement comme un faux, un ersatz. On n'y trouve ni dictée de l'inconscient, ni écriture automatique, ni ouverture métaphysique. C'est un rêve dirigé, très machiné et déjà, comme plus tard Orphée et le Testament d'Orphée, une parabole et une méditation sur la destinée du poète parmi les hommes. Visualisation dynamique d'un poème, tous les thèmes tenaces de l'auteur s'y rassemblent : la boule de neige frappant au cœur, la marche sur les plafonds, la traversée des miroirs, les portraits qui mordent. Dans l'Éternel Retour, comme il aime à le faire au théâtre, Cocteau rajeunit la légende, ici celle de Tristan et Iseut. Il la « désanachronise » en quelque sorte ; merveilleux et tragique, du coup, versent dans le quotidien. La même opération apporte à la Belle et la Bête, sans rien retrancher de sa magie, une interprétation psychanalytique du conte, plus vigoureuse de demeurer discrète. Filmant sa pièce les Parents terribles, respectant scrupuleusement ses trois actes et ses deux décors, Cocteau accomplit un double tour de force. D'une part, il dépasse, il retourne — comme on retourne un gant — le théâtre du Boulevard (Buñuel au Mexique réussira le même dépassement, mais dans le mélodrame). De l'autre, il abolit la traditionnelle synthèse cinéma-théâtre filmé. Le théâtre, assumé dans sa théâtralité, devient cinéma par la grâce d'un magistral découpage en continuité. La peinture cruelle et grinçante de l'intimité bourgeoise se retrouve dans Orphée. L'échec de cette nouvelle actualisation d'un mythe condamne Cocteau à un silence de dix ans. Il ne fera plus que le Testament d'Orphée, qui est aussi le sien propre. Il y lègue à la postérité la somme de ses thèmes, de ses manières stylistiques comme aussi de ses tics d'écriture, la synthèse de tous ses films. Mais, prisonnier de son image (celle que, sa vie durant, il a voulu donner de lui-même, celle qu'on a forgée de lui), Cocteau, mégalomane et pontifiant, plus que jamais enfant terrible de l'art, peine à dresser sa statue au milieu de cent métaphores ésotériques. Décevant congé qui contredit l'un des plus singuliers mérites de Cocteau cinéaste et que l'on n'a guère relevé : tous ses films — et Orphée tout particulièrement — hormis ce Testament, ménagent à tous les publics un accès immédiat à sa poésie pourtant subtile, raffinée, intellectuelle plus encore que sensible. Cocteau poète populaire grâce au cinéma, cela vaut d'être souligné.